Russie
Manifestation ambiguë
(Photo : AFP)
L’appel à la manifestation convoquée par les autorités au pied du Kremlin, au second jour de deuil national, avait été largement relayé par les télévisions russes, réputées sous strict contrôle d’Etat. La mairie de Moscou et les organisations sociales officielles sont à l’origine du rassemblement en hommage aux centaines de victimes de la prise d’otages de Beslan. Le trajet avait été placé sous très haute surveillance afin de ne prendre aucun risque. Avec pour slogan un consensuel « non au terrorisme », la manifestation s’est attirée une population soucieuse de préserver l’unité nationale en ces moments tragiques, au risque de soutenir la politique de ses dirigeants.
En raison des circonstances terribles qui ont accompagné le dénouement de la prise d’otages, et de la réaffirmation de ses intentions de fermeté, le président russe, confronté à un grave échec, doit rechercher le soutien de ses compatriotes pour mener à bien la poursuite de sa politique de normalisation dans le Caucase. Mardi, face à l’horreur du champ de bataille caucasien, les marcheurs de Moscou auront donc accompli un acte de protestation que les autorités veulent également interpréter comme un ralliement aux méthodes du Kremlin.
Le Kremlin en situation de monopole
Pourtant de nombreuses voix se sont élevées au cours de ces trois derniers jours, parmi les universitaires, porte-parole d’ONG et journalistes, pour réclamer un débat, tout en estimant que l’objectif de la manifestation de mardi est justement de le torpiller. Selon eux, les événements montrent l’incompétence de l’administration Poutine en matière de sécurité. Mais en matière d’opposition, la Russie est tragiquement dépourvue de relais d’opinion. Les ONG sont faibles et leur influence est réduite. La demande de l’organisation Memorial, d’ouvrir une enquête parlementaire et publique, a été écartée. Le sociologue Iouri Levada, évincé l’an dernier de l’institut de sondages qui l’employait pour ses enquêtes embarrassantes, décrit une société russe captive d’une angoisse et d’une agressivité qui « éclipsent tout autre sentiment et toute autre réflexion ». Quant à l’opposition, elle a été laminée lors des législatives de décembre dernier par un raz-de-marée pro-Poutine et la Douma passe pour n’être plus qu’une chambre d’enregistrement des décisions du Kremlin.
De la presse, le pouvoir s’est approprié la télévision, mise au pas. Reste quelques espaces de libre expression fournis par quelques radios et quotidiens. Et encore : leur audience ne dépasse guère Moscou et les grandes villes de la fédération. Les relations presse-pouvoir commencent d’ailleurs à rappeler furieusement les méthodes d’antan. Lundi, le patron des Izvestia, Raf Chakirov, a été contraint à la démission pour sa couverture jugée « trop émotionnelle » de la prise d’otage. Samedi 4 septembre, le quotidien avait publié des reportages complets sur les événements dont, justement, une très sévère critique de la couverture des chaînes de télévision nationales. Pourtant le pouvoir éprouve un urgent besoin de convaincre sans contraindre, afin d’échapper à l’image stéréotypée de censeur qui entache sa réputation de gouvernement démocratique.
Offensive médiatique
Dans des entretiens lundi soir et mardi avec les représentants de la presse internationale et des chercheurs, Vladimir Poutine, mais également son ministre des Affaires étrangères Sergueï Ivanov, ont tenté un remarquable effort d’explications à l’intention de l’opinion internationale, signe qu’elle ne leur est pas indifférente. Les deux hommes ont rappelé que les événements n’avait pas modifié la perception officielle de la situation et qu’ils n’entendaient pas changer de ligne de conduite. Pas de discussion avec les rebelles : « autant demander aux Occidentaux de discuter avec Ben Laden », déclare le président russe. Celui-ci reconnaît que des injustices ont été perpétrées contre les Tchétchènes par Staline, et que des erreurs ont été commises par ses prédécesseurs, mais qu’elles ne peuvent justifier le séparatisme, créature du terrorisme international, dont il explique la permanence par l’affaiblissement du pouvoir central.
De son côté le chef de la diplomatie russe a affirmé qu’il n’y avait « aucun Tchétchène » parmi les preneurs d’otages, mais qu’il y avait en revanche « des Arabes », parmi les ravisseurs. Cette déclaration vient en contradiction des informations révélées par les enquêteurs qui affirment que quatre Tchétchènes (dont un a été arrêté), ainsi que des Ingouches et un Ossètes du Nord faisaient partie du commando terroriste.
Signe enfin de la préoccupation présidentielle, l’agenda demeure bousculé par les événements. Après l’annulation de la visite officielle qu’il devait effectuer en Turquie, la semaine dernière, Vladimir Poutine annonce le report de sa visite en Allemagne, prévue pour vendredi et samedi.
par Georges Abou
Article publié le 07/09/2004 Dernière mise à jour le 07/09/2004 à 15:38 TU