Russie
Ossétie: après le massacre
(Photo: AFP)
Le bilan effrayant de cette nouvelle tragédie russe soulève de nombreuses et graves question sur l’origine du drame, les responsabilités, la compétence des forces de l’ordre et l’attitude des autorités. Selon les témoignages, c’est la double explosion survenue vendredi 3 septembre vers 13 heures, heure locale, dans le gymnase de l’école où étaient rassemblés les otages, sous la menace d’un commando pro-tchétchène, qui a tout déclenché. La question de savoir si cette double explosion a été provoquée accidentellement ou volontairement par les preneurs d’otage ou par les forces de l’ordre n’est pas tranchée. C’est en tout cas à partir de cet incident initial que la tuerie a commencé et que les combats se sont engagés. Le plafond du gymnase s’est immédiatement effondré sur les otages faisant un grand nombre de victimes -une centaine- tandis que plusieurs dizaines d’entre eux tentaient de s’échapper sous les tirs des terroristes, certains réussissant à rejoindre les forces de l’ordre stationnées à l’extérieur du bâtiment.
La thèse officielle, toujours défendue par le Kremlin, est qu’il n’y avait pas de volonté de mener l’assaut sur l’école de Beslan. Les autorités l’avaient indiqué lors des deux jours de négociations qui avaient précédé la tuerie, et le président russe Vladimir Poutine l’a rappelé samedi : «toutes les variantes étaient à l’étude, mais l’emploi de la force n’était pas planifié». Sur ce point également, le doute subsiste car les témoignages des rescapés sont contradictoires. Alors que certains affirment qu’ils ont pris l’initiative de s’enfuir dés la première explosion, sans aide extérieure, d’autres au contraire soulignent la simultanéité entre la première explosion et l’assaut des commandos russes (qui déclarent avoir perdu 10 hommes dans l’attaque), et attribuent la responsabilité de l’offensive aux forces de sécurité.
«Tout le monde et n’importe qui dirigeait l’opération»
Outre cette question, l’engagement militaire a été déclenché, de toute évidence, dans la confusion la plus totale (ce qui tendrait à conforter la version des autorités selon laquelle un assaut n’était effectivement pas à l’ordre du jour). Des milliers d’hommes avaient été mobilisés pour assurer la sécurité du périmètre, mais la circulation autour du bâtiment, avec la présence de nombreux civils, laisse l’impression qu’il n’y a pas eu de commandement centralisé et que les forces de l’ordre étaient mal préparées ou ont été prises au dépourvu. Au moins trois corps distincts ont participé à la phase finale : les commandos des services secrets FSB (les Spetznaz), les troupes d’élites de la police (les Omon) et l’armée. Et ce ne serait pas tant l’entraînement et l’efficacité des professionnels qui seraient en cause qu’une coordination défaillante entre tous ces services. Et cette défaillance est d’autant plus dramatique que l’hypothèse d’un assaut, immédiat ou différé, est toujours restée pertinente dans cette affaire, compte tenu du traitement traditionnellement appliqué par Moscou dans ce type de situation.
Au cours de ces journées dramatiques, la télévision russe, contrôlée par le Kremlin, s’est encore discréditée en s’illustrant dans la rétention d’information, alors que les télévisions internationales, sur place, diffusaient en direct. Mais lundi, la presse écrite rappelait toutes les failles de l’affaire, et notamment l’absence des hauts responsables russes sur le terrain au moment des faits. «Tout le monde et n’importe qui dirigeait l’opération», déclare aux journaux une source proche du Kremlin, tandis que le politologue Andreï Riabov explique l’absence de hauts dirigeants par la volonté de ne pas s’engager: «Ils s’impliquent moins pour ne pas risquer d’assumer la responsabilité des conséquences de l’opération», affirme-t-il. Lundi matin, l’explication chère aux autorités russes, selon laquelle les attaques contre la Russie sont l’œuvre du terrorisme international, était battue en brèche dans le quotidien Kommersant qui écrit que la référence à «al-Qaïda et au terrorisme international permet désormais à tous les gouvernements du monde de ne pas assumer leur responsabilité pour la mort de leurs concitoyens»; c’est «comme si les enfants russes n’étaient pas morts à cause de la guerre en Tchétchénie qui dure depuis dix ans, mais parce que le terrorisme international attaque». Pour le député indépendant Vladimir Ryjkov, «la responsabilité incombe au président russe, au chef du FSB et au ministre de l’Intérieur».
Rares sont les otages qui s’en tirent indemnes
Parmi les points cruciaux qui restent à éclaircir, on ignore encore exactement le bilan de la tuerie. Officiellement, il est question de quelque 335 morts, dont une moitié d’enfants, sans compter les 31 ravisseurs. Mais une collaboratrice de la morgue de la ville voisine de Vladikavkaz a affirmé à l’AFP avoir compté «394 corps». Plus de quatre cents blessés sont toujours hospitalisés dans les établissement de la région. L’agence de presse française fait également état d’une liste de 200 disparus en circulation dans la république caucasienne. D’autre part, on sait maintenant que le nombre total d’otages a été largement sous-estimé. On annonçait officiellement quelque trois cent cinquante captifs, jusqu’à ce que le bilan de l’assaut révèle qu’ils étaient plus d’un millier. Et si l’on fait la somme des morts, des blessés et des disparus, rares sont les otages qui s’en tirent indemnes.
« Par l’âme et le cœur, nous sommes tous aujourd’hui en Ossétie du Nord, à Beslan », a déclaré le président russe, lundi matin, en recevant les membres du gouvernement. Samedi, Vladimir Poutine avait annoncé une réforme du système de sécurité russe pour faire face aux nouveaux défis terroristes internationaux qui menacent la Russie.
par Georges Abou
Article publié le 06/09/2004 Dernière mise à jour le 06/09/2004 à 14:20 TU