Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Russie

La contre-attaque du Kremlin

Le médecin Leonid Rochal reproche aux journalistes français leurs <EM>«affirmations incorrectes»</EM>. 

		(Photo : AFP)
Le médecin Leonid Rochal reproche aux journalistes français leurs «affirmations incorrectes».
(Photo : AFP)
Depuis la fin de la tragique prise d’otages de l’école de Beslan, en Ossétie du Nord, Moscou se livre à une étonnante campagne de communication dans laquelle les autorités dénoncent notamment un traitement journalistique et diplomatique différencié du « terrorisme », selon qu’il affecte la Russie ou le reste du monde.

Lundi et mardi, dans un exercice de communication inédit dans le contexte russe, le président et son ministre des Affaires étrangères avaient longuement reçu les journalistes de la presse étrangère et nombre d’universitaires russes et occidentaux pour expliquer le point de vue du Kremlin. Mercredi, de passage à Paris, le négociateur durant la prise d’otages, le docteur Leonid Rochal, s’est également longtemps entretenu avec les journalistes français pour leur reprocher leurs « affirmations incorrectes » dans leur couverture des faits. Les explications qu’il a donné mercredi dans les locaux de l’ambassade de Russie à Paris confortent la thèse du Kremlin. Selon lui, aucun assaut des forces de l’ordre n’était planifié et le chaos des dernières heures n’est que la conséquence d’une intervention dans la précipitation, avec le seul soucis de sauver le maximum d’otages. Face au comportement admirable des forces spéciales, dont il rappelle le sacrifice de 10 hommes, le docteur Leonid Rochal conclut que la « méfiance » manifestée à l’égard de son pays est « insultante ».

Cette dernière mise au point traduit à la fois l’état d’esprit et la stratégie de Moscou pour reprendre l’initiative et contre-attaquer sur le terrain de sa réputation internationale et de sa légitimité. Le Kremlin, victime du terrorisme, n’est pas satisfait du comportement de ses alliés dans la guerre qu’il mène, souverainement, sur son front intérieur. La presse internationale est très sévère à l’égard des méthodes employées dans le Caucase, et doute de la pertinence du discours présidentiel qui réduit la volonté d’indépendance des Tchétchènes à un problème de terrorisme international.

Moscou doute de la loyauté de ses partenaires

Du côté des partenaires, les autorités russes s’insurgent contre le deux poids-deux mesures, selon que le terrorisme est qualifié par les Occidentaux, ou par les Russes. Après le président russe, lundi, le ministre des Affaires étrangères a déclaré jeudi au quotidien Vremia Novosteï que les dirigeants de certains pays occidentaux restent profondément marqués par les anciens schémas. « Aujourd’hui la politique est faite par les mêmes personnes qui étaient des fonctionnaires actifs de l’époque de la ‘guerre froide’. Il est difficile de se libérer des vieux stéréotypes », affirme Sergueï Lavrov. Selon lui, la présence sur les sols américain et britannique d’émissaires indépendantistes tchétchènes « nuit vraiment à l’unité de la coalition antiterroriste ».

En effet, si au nom de la « realpolitik » Paris et Berlin ont atténué ou remisé leurs critiques, Londres et Washington sont en revanche dans le collimateur du Kremlin. La Grande-Bretagne, en particulier, a accordé l’an dernier l’asile politique à l’opposant tchétchène Akhmed Zakaïev, un ambassadeur de l’ancien président tchétchène Aslan Maskhadov, aujourd’hui leader de la rébellion. Le chef de la diplomatie russe a également pointé les divergences d’appréciation entre son pays et les Etats-Unis, soulignant que « ni l’Iran, ni la Syrie, ni la Corée du Nord » ne représentait un « Axe du mal ».

« Liquider les bases terroristes dans n’importe quelle région »

De son exil londonien, Akhmed Zakaïev a fait part de son inquiétude après les dernières déclarations du chef d’état-major de l’armée russe, le général Iouri Balouïevski, indiquant sa volonté de tout entreprendre « pour liquider les bases terroristes dans n’importe quelle région » du monde. L’opposant tchétchène prend la menace très au sérieux. Rappelant l’affaire des deux agents russes condamnés en février à Doha pour l’assassinat de l’indépendantiste Zelimkhan Iandarbiev, Akhmed Zakaïev estime qu’il s’agit d’un « avertissement aux autres pays européens que la Russie peut venir et commettre un assassinat sur leur sol à n’importe quel moment ».

Les premières mesures d’ordre concrètes annoncées samedi, au lendemain de la tuerie de Beslan, par le président Poutine sont en cours de traduction. Jeudi, le ministre de l’Intérieur Rachid Nourgaliev a présenté au président les structures de coordination des forces de l’ordre déployées dans le Caucase du Nord pour renforcer le lutte anti-terroriste dans la région. M. Nourgaliev a annoncé la formation de cellules formées d’officiers supérieurs du ministère de l’Intérieur et du FSB (Service fédéral de sécurité) travaillant désormais en liaisons directes avec les chefs des treize régions ou républiques du Caucase du Nord. Ces cellules auront autorité directe sur les forces de l’ordre locales, qu’elles soient policières, militaires ou appartenant aux services spéciaux.

Dans sa contre-attaque, Moscou assiégé politiquement, diplomatiquement, militairement, ne revient pas sur le bien-fondé de sa politique et ne lâche rien sur la question centrale d’ouvrir des négociations avec « l’ennemi ». Pas question, dans le contexte intérieur et international, de consentir à tout ce qui pourrait être interprété comme un acte de faiblesse. A l’instar de l’Américain George W. Bush, Vladimir Poutine veut incontestablement donner de son pays l’image d’une nation puissante, unie et déterminée.



par Georges  Abou

Article publié le 09/09/2004 Dernière mise à jour le 09/09/2004 à 15:02 TU