République démocratique du Congo
Trésors du patrimoine éparpillés
(Photo: AFP)
L’exposition, conçue par le Musée royal belge de l’Afrique centrale, propose un parcours multi-thématique pour découvrir les liens unissant l’homme et la nature en RDC (République démocratique du Congo), à travers les ressources naturelles, les langues, la symbolique et la vie quotidienne. Les cinq sites inscrits sur la liste du patrimoine mondial en péril, recensés par l’Unesco, sont situés dans la zone de conflit, c’est-à-dire dans le nord-est du pays. Il s’agit des parcs nationaux de Virunga, de la Garamba, de Kahuzi-Biega, de la Salonga, et de la réserve de faune à okapis. Il s’agit donc maintenant «d’assurer la survie de cet incroyable écosystème qui constitue un élément-clé du second poumon de la planète après la forêt amazonienne».
Mais outre la biodiversité, c’est tout un héritage culturel qui est en danger. Il s’agit donc aussi de sauver la mémoire d’un pays, dont l’histoire et la culture se racontent à travers les pièces d’expression populaire, les objets de la vie quotidienne, et les objets rituels. Or peut-on protéger le patrimoine en temps de guerre ? «La diversité observée et les relations qui s’établissent entre l’homme, la culture, l’environnement, et la nature constituent un sujet aux multiples facettes qui peut être approché de différents points de vue», explique la commissaire à l’exposition Els Cornelissen, qui a souhaité montrer l’interférence des préoccupations.
«La plus ancienne manifestation de pensée mathématique»
Par exemple, pourquoi est-il si urgent de protéger la forêt ? parce qu’elle nourrit, parce qu’elle est ressource de matière première, parce qu’elle abrite une faune inscrite dans la mémoire culturelle de tout un peuple, et que sa destruction entraîne à terme la disparition des espèces qui y vivent comme le léopard, animal emblématique de la puissance. Le léopard, qui vit et chasse le jour et la nuit, est l’animal totem du chef supposé accéder au monde des vivants et des morts. Pour le rappeler, des coiffes composées de griffes de léopard, et un collier de dents de léopard, sont exposées non loin d’un léopard naturalisé et d’une borne explicative et interactive concernant la forêt et les enjeux économiques la concernant.
Un autre exemple concerne la protection des sols de ces parcs naturels, parce que c’est aussi toute la mémoire des hommes qui s’y trouve enfouie, une mémoire qui remonte à la nuit des temps, permettant aux historiens de lire le passé d’une région mais aussi d’un continent. L’exposition comprend une présentation multimédia des populations de pêcheurs qui occupaient les rives de la Semliki, un fleuve qui coule dans le parc des Virunga. Dans les sédiments de la rivière, on a retrouvé des traces de population ayant vécu là il y a 70 000 ans. Une vitrine expose des vestiges de harpons et d’os trouvés à Ishango lors de fouilles archéologiques, et «que d’aucuns tiennent pour la plus ancienne manifestation de pensée mathématique».
L’exposition repose donc sur la présentation de pièces de collection et sur l’expertise scientifique du MRAC pour sensibiliser le visiteur de manière militante: il est nécessaire et impératif de «protéger et conserver l’environnement autant dans l’intérêt du peuple congolais que dans celui de l’humanité toute entière», disent les organisateurs. Et, parce que «l’homme ne se contente pas d’exploiter la nature pour satisfaire ses besoins élémentaires, [mais] l’utilise aussi pour remplir des fonctions symboliques», l’exposition attire l’attention sur la richesse d’expression du langage artistique d’hommes vivant en symbiose avec la nature.
L’hémorragie des oeuvres d’art toujours d’actualité
L’alerte est donnée: la guerre détruit et disperse. L’hémorragie des oeuvres d’art, commencée sous Mobutu, est toujours d’actualité, indirectement encouragée par l’attrait des marchés étrangers pour les œuvres d’art africaines. Masques et objets rituels sont devenus des biens à valeur marchande. La population, appauvrie par le conflit, n’hésite pas à profaner les lieux de sépulture et piller des statues commémoratives susceptibles de trouver des acquéreurs sur le bord de la route. Il n’est pas rare non plus que les petits musées régionaux, ouverts par des amateurs d’œuvres d’art amoureux de l’Afrique, soient cambriolés. Pour autant, «aucune politique muséale véritable n’est en place pour endiguer l’hémorragie», regrette Guido Gryseels, directeur du MRAC, «tant aux frontières qui ne surveillent pas la sortie du territoire des objets d’art, qu’à l’intérieur du pays car les musées ne sont pas ou sont mal surveillés, et parce que les ministres de la Culture changent tous les trois mois et n’ont pas le temps d’installer une politique culturelle»: même les grands musées de Kinshasa et Lubumbashi sont très mal surveillés.
Nostalgique peut-être, la Belgique de son côté porte tous ses efforts sur le Musée royal de l’Afrique centrale, que Guido Gryseels estime être «tout simplement, le plus beau et le plus fascinant musée de l’Afrique (…) édifice historique somptueux [abritant] des collections d’une richesse fabuleuse». Situé à Tervuren, en Belgique, ce musée qui est «un des plus visités de Belgique [ est] aussi exceptionnel par sa multidisciplinarité dans les domaines des sciences humaines et naturelles, et par la combinaison de ses activités muséales et scientifiques», déclare son directeur qui ajoute: «Depuis le début de son existence, le musée accroît, conserve et gère des collections, conduit des recherches scientifiques et diffuse ses connaissances vers le grand public et le monde académique. Aujourd’hui, il veut aussi être un lieu de rencontre qui puisse encourager le dialogue interculturel, raviver l’intérêt pour l’Afrique contemporaine et apporter une contribution au développement durable de cette partie du monde». Car enfin, protéger, c’est aussi recenser, répertorier, restaurer et conserver.
par Dominique Raizon
Article publié le 12/09/2004 Dernière mise à jour le 12/09/2004 à 10:38 TU