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Congo démocratique

Les armées s'en vont, le pillage reste

En dépit du retrait des armées étrangères de République démocratique du Congo, le pillage des ressources naturelles du pays par des «groupes criminels associés aux armées rwandaise, ougandaise, zimbabwéenne et au gouvernement de la RDC» se poursuit d'après un rapport de l'ONU remis ce lundi au Conseil de sécurité.
De notre correspondant à New York (Nations Unies)

Voilà qui devrait tempérer les optimismes. Selon le dernier rapport de l'ONU, le retrait des troupes étrangères de République démocratique du Congo (RDC) est loin d'être achevé. Non seulement des troupes déguisées sont restées sur place, mais en plus, des réseaux criminels solidement établis continuent à contrôler la «prédation» des ressources naturelles. Même si la guerre perd de son intensité, des «microconflits étroitement imbriqués persistent (...) alimentés par les convoitises des minerais, des produits agricoles, de la terre et même des recettes fiscales», prévient le groupe d'experts de l'ONU sur l'exploitation illégale des ressources naturelles de la RDC, dont le rapport dépeint le sombre tableau d'un pays pillé par des élites locales et des armées étrangères, en collusion avec des réseaux criminels et au détriment du bien public.

«Les groupes criminels associés aux armées rwandaise, ougandaise, zimbabwéenne et au gouvernement de la RDC ont tiré avantage de ces microconflits et ne se démantèleront pas spontanément, même si les forces armées étrangères continuent de se retirer», avertissent les experts, alors que presque toutes les forces étrangères (Namibie, Angola, Ouganda, Rwanda) ont quitté la RDC. Selon les experts, dirigés par Mahmoud Kassem, ces groupes criminels ont «mis sur pied une économie de guerre qui s'autofinance et est axée sur l'exploitation des minéraux». Avant de se retirer du pays, le Rwanda, l'Ouganda et le Zimbabwe «ont pris les devants» en «adoptant d'autres stratégies pour maintenir en place, après le départ de leurs troupes, des mécanismes générateurs de revenus, dont de multiples activités criminelles». Et de préciser : «Le pillage, qui était auparavant le fait des armées, a été remplacé par des systèmes organisés de détournement de fonds, de fraude fiscale, d'extorsion de fonds, d'octroi d'options d'achat d'actions comme dessous-de-table et de détournement de fonds publics sous la direction de groupes assimilables à des organisations criminelles».

En prévision de son retrait, le Rwanda a, selon le rapport, «mis en place des mécanismes de contrôle économique qui ne nécessitent pas une présence clairement établie de l'armée patriotique rwandaise». Des hommes d'affaires de Kigali aurait ainsi pris le contrôle des entreprises paraétatiques dans l'est du pays, où la monnaie rwandaise est toujours en circulation. Pour conserver une présence physique sur place, des bataillons rwandais spécialisés dans la pose de mines se sont fondus dans la population en se débarrassant de leurs uniformes. La mission d'enquête a également eu vent d'une tentative à grande échelle pour fournir des passeports congolais à des officiers rwandais.

Une occupation «pour se procurer des biens»

Selon les experts, depuis le début, le Rwanda occupe l'est du Congo non pas pour se protéger contre des groupes hostiles, mais tout simplement pour «se procurer des biens». Dans l'administration rwandaise, le pillage des ressources congolaises est quasiment institutionnalisé par le biais du Bureau Congo de l'armée, dont les recettes «ont servi à financer 80% des dépenses totales de l'Armée patriotique rwandaise (APR) en 1999». Les «élites» rwandaises entretiennent d'étroites relations avec les réseaux criminels transnationaux, y compris ceux du trafiquant Victor Bout dont les avions «sont utilisés à diverses fins, y compris le transport de Coltan et de cassitérite, le transport de fournitures à destination des mines et le transport de soldats et de matériel militaire». Le sort de la population locale est toujours aussi tragique, avec son lot de «vols, les meurtres, la torture, le chantage, les viols et les actes de piraterie perpétrés sur le lac Tanganyika, d'abord par l'APR, puis par l'ANC, la police du RCD-Goma (rebelles congolais NDLR) et des Banyamulenge (Tutsis congolais du Sud-Kivu NDLR)» assurent les experts. En quatre ans, les experts estiment que «la guerre aurait causé plus de 3,5 millions de décès».

Toujours selon le rapport, les forces de défense du peuple ougandais (FDPO) continuent «d'alimenter les conflits ethniques» pour maintenir leur domination sur les ressources naturelles de l'est du Congo. «Des officiers de haut rang des FDPO ont pris des dispositions pour entraîner des milices locales et les constituer en forces paramilitaire placée directement et discrètement sous le commandement des FDPO», accusent les experts. Cette force serait placée sous l'autorité personnelle du général du corps d'armée Salim Saleh.

Comme le Rwanda, estiment les experts, l'Ouganda a occupé la RDC pour en exploiter les ressources, même si cette exploitation est moins institutionnalisée. Il s'agit là d'une «hiérarchie peu structurée» comprenant des officiers, des hommes d'affaires et quelques dirigeants de groupes rebelles qui ont tout intérêt à faire perdurer un commerce lucratif reposant sur «l'intimidation militaire, le maintien d'une façade de secteur public sous la forme de l'administration d'un mouvement rebelle et la manipulation de la masse monétaire et du secteur bancaire, par le biais de la fausse monnaie et d'autres mécanismes apparentés».

Souvent présentées comme protectrices du gouvernement de RDC, les forces de défense Zimbabwéennes sont également mises en cause. «Les officiers supérieurs de ces forces se sont personnellement enrichis grâce à l'exploitation minière des ressources de la RDC, sous couvert d'arrangements visant à rétribuer le Zimbabwe pour la prestation de services militaires» assurent les experts. Ces trois dernières années, un réseau «d'élite» congolais et zimbabwéen a ainsi «transféré des actifs représentant au moins cinq milliards de dollars du secteur minier public à des entreprises privées qu'il contrôle, sans verser aucune indemnité ni prestation au Trésor public de la RDC».

Dans la branche congolaise de ce réseau, les experts mettent en cause le ministre de la sécurité nationale, Mwenze Kongolo, le ministre de la présidence et du portefeuille, Augustin Katumba Mwanke, ainsi que le président de la société diamantifère d'Etat ou le ministre du plan. Chez les Zimbabwéens, le président du parlement, Emmerson Dambudzo Mnangagwa, est aussi nommé, de même que la société zimbabwéo-congolaise, la COSLEG, qui facilite le commerce des diamants, du bois d'oeuvre et des opérations bancaires. Dans ce vaste trafic interviennent également «trois clans d'origine libanaise» qui ont blanchi selon le rapport pour près de 150 millions de dollars de diamants congolais et entretiendraient des liens avec le Hezbollah.

Les matières premières illégalement prélevées en RDC transitent selon les experts par au moins 11 Etats africains. Ils aboutissent dans au moins 17 autres pays, parmi lesquels figurent les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (France, Russie, Etats-Unis, Chine, Royaume-Uni). Tout en refusant de préconiser un moratoire ou un embargo sur les exportations de matière première en provenance de RDC, par crainte de conséquences humanitaires catastrophiques, les experts suggèrent au Conseil de sécurité d'infliger des sanctions (gel des avoirs, limitation des déplacements, interdits bancaires) ciblées à un certain nombre d'individus et d'entreprises dont la participation au pillage de la RDC est avérée. Le Conseil de sécurité doit se réunir en fin de semaine pour étudier ces mesures.



par Philippe  Bolopion

Article publié le 21/10/2002