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Russie

Poutine inquiète l’Europe et les Etats-Unis

La presse écrite, qui a gardé une grande liberté de ton, estime que «&nbsp;<I>Vladimir Poutine s’assoit sur la constitution</I>&nbsp;». 

		(Photo : AFP)
La presse écrite, qui a gardé une grande liberté de ton, estime que « Vladimir Poutine s’assoit sur la constitution ».
(Photo : AFP)
L’annonce d’une réforme « radicale » des institutions par Vladimir Poutine, lundi, provoque de nombreuses réactions d’hostilité. Les diplomates, la presse russe et nombre d’intellectuels dénoncent le renforcement de « la verticale du pouvoir », annoncée par le président dès sa première élection, en 2000. A l’étranger, on s’inquiète de cette volonté d’encadrer la démocratie.

« Dans les faits, c’est un recul (…) par rapport à certaines réformes démocratiques mises en place par le passé », déclarait mardi à l’agence Reuters le secrétaire d’Etat américain Colin Powell, au lendemain de l’annonce par le président russe d’un important renforcement des prérogatives du Kremlin (et des siennes), pour défendre l’Etat contre les attaques terroristes.

Jusqu’à présent, l’association mise en avant par Moscou du terrorisme qu’il affronte sur le plan interne et de la guerre contre le terrorisme international, a permis au chef du Kremlin de modérer, voire de neutraliser, les critiques contre les méthodes brutalement militaires qu’il emploie pour tenter de réduire le foyer caucasien, tout en l’exonérant de toute responsabilité dans la dégradation du conflit. La situation internationale s’y prête, et nombre d’observateurs envisagent que le Kremlin met ce contexte au service de sa politique.

Cette fois, l’administration américaine veut émettre un signal sur les limites de l’exercice. « Nous comprenons la nécessité de lutter contre le terrorisme (…). Mais, dans l’optique de pourchasser les terroristes, je pense qu’il importe de trouver le bon équilibre, pour s’assurer que l’on ne va pas dans une direction qui éloigne des réformes démocratiques ou du processus démocratique », a déclaré le secrétaire d’Etat américain, ajoutant que Washington soulèverait cette question avec Moscou « dans les jours à venir ».

Son collègue, le secrétaire d’Etat adjoint Richard Armitage a été encore plus sévère : « il s’agit d’un pas en arrière sur le chemin de la transparence et de la démocratie que nous espérions voir emprunter par la Russie ». M. Armitage a également annoncé la volonté de son administration d’aller « en parler aux Russes ».

A chacun sa démocratie

Depuis le Kazakhstan, où il participait au sommet de la Communauté des Etats indépendants (la CEI regroupe les anciennes républiques soviétiques), le ministre russe des Affaires étrangères a balayé les « inquiétudes » américaines. « De tels processus sont des affaires internes de la Russie » et sont menées « dans le respect de la constitution russe », a déclaré Sergueï Lavrov. Puis, ce dernier a retourné la charge vers Washington indiquant, d’une part, que « les Etats-Unis, après le 11 septembre, ont pris des mesures assez dures dans le pays » et, d’autre part, que « la Russie ne commentait pas la procédure d’élection des présidents américains, qui ne sont pas désignés au suffrage universel direct ». M. Lavrov a soutenu l’idée de principes flexibles, à géométrie variable, en dénonçant la conception selon laquelle « la démocratie peut être (partout) identique et conforme à un certain modèle ».

L’Europe est également inquiète d’une possible dérive autoritaire du voisin. Après quelques précautions de langage visant à assurer Moscou de la solidarité européenne face au terrorisme, le commissaire aux Relations extérieures de l’Union a rappelé les deux principes qui sous-tendent la coopération avec Moscou : « enrayer » les causes du terrorisme et respecter le caractère « inaliénable » des droits de l’Homme. De son côté, le ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas, dont le pays assure actuellement la présidence tournante de l’Union, a fait part de son inquiétude face à l’instrumentalisation du dossier caucasien. « Les attentats terroristes ont convaincu Moscou de continuer à présenter la Tchétchénie comme une question touchant essentiellement à la lutte contre le terrorisme. Cela est un sujet de préoccupation », a dit Bernard Bot.

Les représentants des groupes politiques, moins contraints par l’exercice diplomatique, ont lancé des mises en garde à Moscou : « pas d’Etat policier », ni de « système autoritaire », proclamaient démocrates et socialistes, tandis que les écologistes dénonçaient en Tchétchénie « une guerre coloniale menée par un pouvoir colonial qui produit (…) des monstres ».

Les organisations de défense des droits de l’Homme sont beaucoup plus sévères. Selon l’américaine Freedom House, les projets présidentiels « menacent une démocratie déjà fragile et risquent de transformer le pays en un Etat autoritaire ». Freedom House estime que « après la tragédie de Beslan, le président Poutine semble utiliser avec cynisme le soutien international contre le terrorisme mondial pour éliminer une opposition interne d’ores et déjà faible et pour renforcer le contrôle du processus électoral ».

Parmi les réformes annoncées lundi, Vladimir Poutine a notamment indiqué que les dirigeants des républiques et des régions de la fédération (89 au total) seront dorénavant désignés par les parlement locaux, sur proposition du chef de l’Etat, et non plus élus au suffrage universel. Il a également déclaré son intention de soumettre au vote des députés une réforme du mode d’élection des représentants de la Douma : le projet est qu’ils soient tous élus au scrutin proportionnel (contre 50% aujourd’hui). L’objectif, selon M. Poutine, est de privilégier les partis « d’envergure nationale », et les candidats d’appareils, au détriment des indépendants.

La démocratie, question d’actualité

Mais c’est en Russie même que les commentaires sont les plus durs. Personne ne semble y croire. « Les autorités saisissent tout simplement une occasion pour renforcer leur contrôle, ce qui n’a rien d’inhabituel en soi », déclare un expert proche du Kremlin cité par le quotidien Vedomosti. Nombre de commentateurs observe que cette rupture avec le fédéralisme et les acquis institutionnels de la période Ieltsine, au profit d’une réhabilitation d’un certain « centralisme démocratique », était déjà inscrites dans son programme de gouvernement et n’ont donc rien à voir avec la situation dans le Caucase.

La presse écrite, qui a gardé une grande liberté de ton, estime que « Vladimir Poutine s’assoit sur la constitution » (Kommersant), parle de « restauration » (Nezavissimaïa Gazeta), de « révolution de septembre » (Izvestia), « contrôle sur les élections » (Gazeta). « Dans quel pays allons-nous nous réveiller demain ? », s’inquiète le quotidien populaire Komsomolskaïa Pravda, tandis que Vremia Novosteï constate, comme tant d’autres, que « la réforme politique ne concerne pas directement la lutte anti-terroriste ». Selon Vedomosti, la réforme était en préparation depuis le mois de mai et son annonce n’est qu’affaire de circonstances. « Ces réformes vont rendre le système de pouvoir moins efficace et plus corrompu », prédit enfin Nezavissimaïa Gazeta.

La classe politique russe est également sous le choc. Les opposants parlent de « coup d’Etat » de facto et de « mensonge » dans la relation établie entre terrorisme et réforme. Même au sein du camp présidentiel, les projets de Vladimir Poutine rencontrent le scepticisme. La nature des mesures, leur justification, le calendrier choisi pour les annoncer, tous ces éléments suscitent le doute en la bonne foi de l’administration russe plutôt que l’adhésion, comme en témoignent les réactions enregistrées au cours de ces dernières 48 heures. La question de l’accès des Russes au plein exercice de la démocratie est aujourd’hui toujours d’actualité, 97 ans après la révolution bolchevique, 13 ans après le démantèlement de l’Union soviétique. C’est toujours une question d’actualité, publique et internationale.



par Georges  Abou

Article publié le 15/09/2004 Dernière mise à jour le 15/09/2004 à 16:00 TU