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Mondialisation

Chirac appelle à une fiscalité internationale

Le président Chirac serre la main de son homologue brésilien Luis Inacio Lula da Silva avec, au premier plan, Michel Barnier, ministre français des Affaires étrangères.  

		(Photo: AFP)
Le président Chirac serre la main de son homologue brésilien Luis Inacio Lula da Silva avec, au premier plan, Michel Barnier, ministre français des Affaires étrangères.
(Photo: AFP)
Lors d’un sommet en marge de l’ouverture de l’assemblée générale de l’ONU, à New York, le président français a repris à son compte les propositions altermondialistes et plaidé en faveur d’un impôt international pour lutter contre la pauvreté dans le monde.

Confronté à l’amer constat que la mondialisation appauvrit les pauvres et n’enrichit que les riches, un groupe d’une cinquantaine «d’Etats pionniers» s’est lancé lundi à New York dans un difficile exercice de recherche de financements pour lutter contre la pauvreté. Quatre ans après le sommet et la déclaration du Millénaire, en 2000 à New York, il apparaît aujourd’hui évident que les objectifs de réduction de la pauvreté ne seront pas atteints. Et si la communauté internationale veut véritablement réduire de moitié le nombre de personnes vivant avec moins de un dollar par jour d’ici 2015, il faut trouver de l’argent. Actuellement plus d’1,2 milliard de personnes sont soumis à cette condition, dont trois cent millions en Afrique subsaharienne, tandis que 2,8 milliards de citoyens des pays en développement dispose de moins de 700 dollars par an pour vivre et que 33 000 enfants continuent chaque jour de mourir des conséquences malnutrition. Jacques Chirac a évalué le déficit à 50 milliards (de dollars) par an, d’ici l’échéance en 2015 pour espérer atteindre l’objectif.

Le président français a donc dressé un constat effrayant de l’élargissement du fossé entre riches et pauvres, qualifiant d’un «des plus grands scandales de notre temps» l’incapacité des uns à libérer les autres de la misère et de la faim. «Plus qu’un acte de générosité», c’est «un acte de justice, d’intelligence et de paix, car l’idée et l’espoir d’une vie meilleure sont les antidotes les plus efficaces aux poisons de la violence et du fanatisme», a indiqué M. Chirac à propos de l’obligation de soutenir le développement des pays pauvres. La cinquantaine de chefs d’Etat présents disposait dans leur réflexion du rapport du Bureau international du travail appelant à de vastes réformes de la gouvernance mondiale «pour que les institutions économiques et sociales fonctionnent sans à-coups et équitablement».

«Un tabou est en train de tomber»

La surprise est venue des propositions de financement de cette contribution. Face au plafonnement des aides publiques, l’utopie gagne du terrain et l’idée de la mise en place d’une fiscalité internationale contraignante, régulatrice de la mondialisation, fait son chemin. «Il est désormais établi que des solutions techniquement réalistes et économiquement rationnelles existent», a souligné Jacques Chirac. Parmi les idées défendues à la tribune, par les présidents français et brésilien notamment, émergent des propositions autrefois réservées aux franges les plus radicales de la société civile. Les deux hommes ont l’ambition de rendre possible l’adoption par la communauté internationale d’un régime de taxation des transactions financières transfrontalières, les opérations de change, le commerce des armes, les émissions de CO2, ainsi que le recours à de nouveaux types d’emprunts. «Un tabou est en train de tomber», a confirmé le président français. Rappelant que les énormes ressources dégagées par le revenu mondial (40 000 milliards de dollars), indiquant que le commerce international représentait à lui seul quelque 8 000 milliards de dollars, Jacques Chirac a rappelé qu’il suffirait de 3 milliards de dollars par an pour assurer une éducation primaire à tous les enfants d’Afrique subsaharienne, ou mener une «action décisive» contre le sida, la tuberculose ou le paludisme.

Le président français avait longuement médité son affaire. Dès l’année dernière, Jacques Chirac avait mis en place une commission d’experts, venant d’horizons divers, chargée de plancher sur des solutions. Les propositions «réalistes» et «rationnelles» du chef de l’Etat sont le fruit de la réflexion de cette «commission Landau» (du nom de l’inspecteur des finances Jean-Claude Landau, qui la présidait). Le président de la République, qui rappelle fréquemment sa préoccupation sur ces questions, vient donc de rendre public, et légitime, une vision jusqu’alors hérétique, dirigiste, des relations économiques internationales, fondée sur l’encadrement de l’activité, dans un contexte où le «laisser-faire» passait pour l’un des moteurs du développement.

«Si forts que soient les Américains…»

L’initiative n’est certainement pas dénuée d’arrières-pensées politiques. A une conception ultra-libérale et unilatéraliste des relations internationales, Jacques Chirac oppose une vision multipolaire et coopérative des rapports entre les pays. Il se pose à nouveau comme le porte-parole du tiers monde. D’autre part, le déplacement du président français à New York n’a guère durée plus de dix heures. Jacques Chirac a quitté la métropole américaine dans la soirée, alors que son homologue américain devait prononcer mardi le discours d’ouverture de la 60e assemblée générale de l’ONU, dont le siège est à New York. George Bush, pourtant invité à participer aux travaux, n’est pas venu. Les deux hommes ont donc délibérément choisi de ne pas se rencontrer, tout en continuant à s’affronter par forums interposés. Le réchauffement des relations franco-américaines, mises à mal par l’actualité internationale, attendront donc une meilleure occasion. Néanmoins messieurs Bush et Chirac auront l’occasion de revenir sur le sujet: il est inscrit à l’ordre du jour de la prochaine réunion des 8 pays les plus industrialisées (G8), qui se tiendra l’année prochaine en Grande-Bretagne. Et en 2005 encore, un nouveau «sommet du Millénaire» sera convoqué pour faire le bilan de cinq années d’efforts. «La communauté internationale n’a pas le droit d’esquiver ses responsabilités. Nous avons un an pour redresser la barre», a dit M. Chirac dans la perspective de ce prochain rendez-vous.

L’idée est lancée. Reste à la communauté internationale à s’en emparer et à la formaliser. C’est le début d’un processus et le délai peut s’avérer très long. On reconnaît en effet, côté français, qu’un tel projet ne peut faire, par exemple, l’économie d’une étroite collaboration avec Washington. Outre le fait que l’administration américaine est actuellement formellement opposée à l’adoption de ce type de mécanismes, les Etats-Unis traversent une période électorale qui n’est pas propice aux bouleversements de cette nature. D’ores et déjà, la réaction américaine est négative. La secrétaire à l’Agriculture, Ann Venneman, représentante de son pays à la réunion, a déclaré que l’imposition de taxes au niveau mondial seraient «non démocratique» et leur mise en œuvre, «impossible». «Si forts que soient les Américains, on ne s’oppose pas durablement et victorieusement à une position qui a déjà été approuvée par 110 pays, qui sera probablement approuvée par 150 pays et qui a créé une situation politique nouvelle», a néanmoins anticipé le chef de l’Etat français lors de la conférence de presse de clôture.



par Georges  Abou

Article publié le 21/09/2004 Dernière mise à jour le 21/09/2004 à 16:03 TU

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Marc Aurélio Garcia

Conseiller du président brésilien pour les affaires internationales

«La faim est la principale arme de destruction massive dans le monde.»

[20/09/2004]

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