Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Mondialisation

Répudier la dette ou plaider son illégitimité

La construction d’une «autre Europe», débarrassée du néolibéralisme triomphant que les artisans du Forum social européen (FSE) dénoncent, intéresse la question de la dette dont nombre de leurs associations exigent l’annulation depuis plusieurs années. Les alter mondialistes estiment insuffisants, voire illusoires, les engagements des pays les plus riches rassemblés dans le G8. Ils sont désormais décidés à faire valoir des arguments juridiques permettant de fonder, en droit international, le non paiement de la dette.
La dette détruit écoles et hôpitaux, exactement comme la guerre, rappelle l’Irlandaise Jean Summers de l’organisation Debt and development coalition. Elle sert à promouvoir les exportations du Nord et exerce une terreur financière, après celle des canons de la colonisation, ajoute-t-elle, en invitant les participants à signer une pétition à l’intention du Club de Paris. Le constat des alter mondialiste n’est pas nouveau. La dette, accusent-ils, est un obstacle au développement des pays du Sud, un instrument de domination du Nord qui conditionne ses prêts. La dette a même parfois été payée plusieurs fois, en intérêts, sans pour autant apurer le capital initialement versé, ajoutent-ils.

De rééchelonnements en prêts relais, la dette a été l’instrument de pression privilégié du Fonds monétaire international (FMI) en particulier pour imposer des Programmes d’ajustement structurel (PAS). Ces derniers ont anéantis les efforts sociaux de pays qui peinaient déjà (pour cause de dette) à répondre aux besoins fondamentaux de leurs populations. Aujourd’hui, celles-ci doivent rembourser des emprunts qui ont souvent servi à les asservir en remplissant les poches de dirigeants corrompus, simples concessionnaires d’entreprises étrangères. Dans ces conditions, «doit-on laisser la résolution de la dette aux mains des créanciers ?», s’interrogent les alter mondialistes qui entendent modifier «l’économie politique de la dette».

Venue de Côte d’Ivoire, où elle milite dans des réseaux de quartiers et de villages pour «l’auto promotion de l’hygiène et de la santé», mais aussi dans le Forum national de lutte contre la dette et la pauvreté (FNDP), Solange Koné ne voit plus d’autre stratégie de sortie de la dette que sa répudiation pure et simple. En Côte d’Ivoire, explique-t-elle, les emprunts ont couru pendant les années soixante-dix, au temps où les cours du cacao et du café atteignaient des sommets. Depuis les années quatre-vingts, la chute des prix des matières premières, la croissance démographique (5% l’an)ou la montée des taux d’intérêts de la dette ont changé la donne. Aujourd’hui, il ne reste plus rien des infrastructures mal entretenues, les services publics se sont effondrés, l’emploi est en chute libre, les engrais chimiques font des ravages, la forêt recule. Avant la guerre de septembre 2002, les Ivoiriens vivaient en moyenne avec 700 francs CFA par jour (un euro et quelques centimes).

Dettes odieuses et état de nécessité

«Les créanciers fixent les cours des matières premières, les dettes n’ont pas répondu aux besoins prioritaires des populations, la société civile du Sud doit prendre sa place dans les organisations régionales comme la Cedeao, Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest, pour soutenir les dirigeants qui iraient dans le sens de la répudiation de la dette», propose Solange Koné. Et elle appelle les alter mondialistes du Nord à soutenir en Afrique une stratégie qui ne manquera pas d’entraîner de lourdes mesures de rétorsion contre les gouvernements qui s’y risqueraient. «Au Sud, de nombreux citoyens demandent à leurs gouvernements de prendre une position officielle dans ce sens», renchérit un militant français de l’organisation «Plate forme : dette et développement». Et les arguments juridiques ne manquent pas en droit international où il existe également une jurisprudence.

«Un changement fondamental de circonstances peut remettre en cause un accord ou un traité commercial»,rappelle le Belge Eric Toussaint. Le relèvement très important des taux d’intérêt par la Réserve fédérale américaine, par exemple, conjugué avec la baisse drastique des cours des matières premières, facteurs d’étranglement d’une économie nationale ont permis en 1982 au Costa Rica de faire valoir devant une cour américaine son incapacité à honorer sa dette extérieure, explique-t-il. Autre argument juridique reconnu : l’état de nécessité invoqué par un Etat qui serait mis en danger par le fardeau du service de la dette. Une économiste brésilienne rappelle que c’est ce qu’a fait l’Argentine en décembre 2001. Mais le droit international retient aussi la notion de «dette odieuse».

«Des dettes contractées par un régime despotique et qui n’ont pas servi aux populations tombent en cas de changement de régime», explique Eric Toussaint. Parmi les exemples historiques cités : les créanciers de Napoléon Bonaparte déboutés quand ils ont demandé le remboursement des dettes du conquérant au régime de la Restauration, mais aussi les banquiers du nord des Etats-Unis renvoyés à leurs pertes sans profit quand ils ont présenté leurs créances sur les Sudistes esclavagistes auprès des Nordistes vainqueurs de la guerre de sécession. Tout récemment, le concept de dette odieuse a même ressurgi aux Etats-Unis à propos des créances de la Russie, de la France, de l’Allemagne ou de la Belgique sur l’Irak de Saddam Hussein.

Pour les juristes des réseaux alter mondialistes qui réfléchissent à la question, la chute de dictatures comme celles de Suharto en Indonésie, de Marcos aux Philippines ou de Mobutu au Congo-Zaïre devrait entraîner l’effacement de «dettes odieuses». Mais, ajoutent-ils, «les dettes contractées depuis vingt ans dans le cadre de plans d’ajustement structurels entraînant des désastres sociaux» sont, elles aussi, des dettes odieuses. Reste à trancher (ou à conjuguer) la question des stratégies de non paiement, entre décisions gouvernementales unilatérales ou arbitrage international.

«La dette n’est pas un malheur historique accidentel…Il faut changer les structures» où les créanciers sont juges et parties, vérifier la légalité des contrats, voir si les économies concernées peuvent supporter le paiement de la dette sans contrarier les droits humains et sociaux, et surtout obtenir l’accès à la comptabilité bancaire, recommande la présidente de l’Observatoire de la mondialisation, Susan George, qui est aussi vice-présidente de l’association Attac-France (favorable à une taxe sur les flux financiers pour soutenir le développement) et auteur d’un ouvrage accablant pour les politiques ultra-libérales (Le rapport Lugano, aux éditions Fayard).

La question de la surveillance de l’impénétrable architecture financière internationale reste ouverte. Mais, dans un contexte national, il serait impensable que des créanciers soient présents à tous les niveaux et sous toutes les casquettes à l’instar des décideurs internationaux qui décrètent les règles du jeu imposées aux débiteurs et arbitrent en fonction de leurs propres choix. «La Banque mondiale devrait être fermée, sans dommage aucun pour les pays en développement. Il faudrait à la place un stabilisateur de l’économie mondiale», suggère le Péruvien Oscar Ugarteche. Pour sa part, il retient le modèle des cours pénales internationales qui traitent des crimes contre l’humanité pour préconiser l’établissement d’un tribunal international chargé de juger des crimes économiques.

Dette et développement



par Monique  Mas

Article publié le 15/11/2003