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Afghanistan

L’homme de Washington

Le président Hamid Karzaï et son ancien ministre de l'Education, aujourd'hui son rival. Yunus Qanouni se serait engagé à retirer sa plainte en échange d'un ministère dans le futur gouvernement. 

		(Photo : AFP)
Le président Hamid Karzaï et son ancien ministre de l'Education, aujourd'hui son rival. Yunus Qanouni se serait engagé à retirer sa plainte en échange d'un ministère dans le futur gouvernement.
(Photo : AFP)
Les premiers résultats du dépouillement des urnes de l’élection présidentielle indiquent une nette avance du président Hamid Karzaï. Il apparaît néanmoins que ce dernier a bénéficié de moyens exceptionnels pour solliciter le vote de ses concitoyens et faire taire les critiques les plus virulentes de ses adversaires.

De notre correspondant à Kaboul.

C’est une longue allée faîte de hauts barbelés, qui traverse un champs de mines où sont entassés des vestiges de la guerre. Des chars, des camions militaires, des canons rouillés, mais également des carcasses d’avions trônent au milieu du terrain vague qui domine la plaine sud de Kaboul. Au loin, le palais du roi, très vaste demeure aux murs criblés d’impacts d’obus, à la toiture affaissée, qui fait face au camp militaire canadien. Au bout du chemin, une caserne fortement protégée. C’est là que sont regroupées les urnes qui contiennent les bulletins de vote des premières élections démocratiques organisées en Afghanistan. Les urnes des bureaux de vote de la capitale, mais également des provinces alentours, qui regroupent la plus importante population du pays. Autant dire un trésor.

Sur les collines environnantes, juchés sur des miradors, des centaines de soldats afghans guettent jour et nuit, munis de lunettes de vision nocturne. « Il suffirait d’une roquette sur l’un des hangars pour mettre en danger le scrutin », confie un responsable du NDS, les services de renseignement afghans. Dans ces hangars, les urnes sont empilées les unes sur les autres. Des milliers de boîtes transparentes entassées au fond du hangar, qui attendent d’être prises en main par les responsables du dépouillement. Auparavant, elles auront subi ce que les Nations unies en Afghanistan ont appelé la « réconciliation », puis le « mélange ». Etapes singulières permettant de constater d’éventuelles fraudes et de mélanger les bulletins par province pour qu’on ne sache pas quel candidat est arrivé premier dans les districts et les villages.

« Malgré un scrutin exceptionnellement calme, nous risquons toujours des règlements de compte dans les villages après le dépouillement. Nous savons qu’il y a eu de très nombreuses intimidations avec des mots d’ordre de vote. Si les commandants locaux se rendent compte que le candidat qu’ils soutenaient n’est pas premier dans leur district, ils risquent de se venger », explique un observateur chargé de superviser le dépouillement. Après trois jours de travail et près de 6% des bulletins comptés, le président de l’autorité provisoire en Afghanistan, Hamid Karzaï, installé par les Américains en 2002, arrive largement en tête. « Nous avions tous prévu sa victoire. Heureusement que je n’ai pas voté. A quoi bon », affirme avec un geste de dépit, Khaled Malistani, commerçant dans le grand bazar de Kaboul.

« Tu retires ta plainte, sinon nous te retirons ton pouvoir »

Et pourtant, jusqu’au 9 octobre, jour de l’élection, le bureau de Karzai était inquiet. D’où une campagne électorale marquée par des achats massifs de voix. « De l’argent, mais pas seulement de l’argent, des sacs de riz, des vêtements, ils ont tout distribué en demandant de voter pour Karzai. Jusqu’au jour du scrutin, ils étaient encore à l’entrée des centres de vote pour obliger les gens à voter pour lui. Dans la province de Kandahar, les gens, majoritairement illettrés, ne savaient pas qu’ils pouvaient voter librement, à l’abris des regards. Certains ont donc voté pour lui, par peur. Un véritable scandale », avance l’un des ses plus proches conseillers, profondément démocrate. Les autres candidats ont également utilisé les mêmes méthodes, mais sans bénéficier des mêmes moyens financiers. « Une goutte d’eau par rapport de Karzai », ajoute-t-il. Acculés, quatorze des quinze candidats d’opposition ont porté plainte pour fraude le jour du scrutin. Leur reproche : un problème d’encre censée prouver le vote et qui en fait s’effaçait, ce qui a permis à certains de voter plusieurs fois. Mais deux jours après, la plainte n’était plus qu’une coquille vide.

« Je ne sais pas bien ce qu’il a obtenu, certainement un ministère », confie le proche collaborateur de Hamid Karzaï. Selon lui, le président sortant se serait engagé à offrir un ministère en cas de victoire à son plus sérieux rival, le candidat Yunus Qanouni. En échange, l’ancien ministre de l’Education se serait engagé à retirer sa plainte. « Qanouni a aussi rencontré longuement Zalmay Khalilzad*. On ne sait pas ce qu’ils ont échangé, mais il est ressorti passablement énervé », affirme la même source, avant d’ajouter : « Rachid Dostom et d’autres candidats, qui avaient également porté plainte, ont aussi été reçu par l’ambassadeur américain. Ils ont retiré leur plainte ».

Dostom est l’un des derniers chefs de guerre en Afghanistan. Installé dans le nord-ouest du pays, il fait la loi et l’ordre dans sa région. Sa capitale, Shibergan est son royaume. Dostom est soupçonné de nombreux crimes de guerre. « Les Américains lui ont mis le marché en main : tu conserves tes droits sur ta province et tu retires ta plainte. Sinon, nous te retirons ton pouvoir », explique encore le conseiller du président. Après l’éviction par les forces spéciales américaines, courant septembre, du seigneur de guerre tadjik, Ismael Khan**, Dostom a retiré sa plainte. L’homme de Washington, Hamid Karzai, devraient donc avoir les mains libres pour cinq ans.



par Eric  de La Varène

Article publié le 18/10/2004 Dernière mise à jour le 18/10/2004 à 14:09 TU

*Ambassadeur des Etats-Unis en Afghanistan, Zalmay Khalilzad est le porte-voix de Washington. On lui prête le pouvoir de faire la politique afghane. Hamid Karzaï répète souvent que ses gardes du corps américains (45 anciens GI’s employés par l’entreprise de sécurité privée Dyn Corp, rémunérés par le département d’Etat américain) ne l’écoutent pas, comme l’ambassadeur.

** Le quotidien Libération a révélé que la chute du gouverneur de Hérat, Ismael Khan, appelé « l’émir », était en fait une machination politique conjointe des autorités de Kaboul et des Américains pour en finir avec les seigneurs de guerre en Afghanistan.