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Afghanistan

Présidentielle : l’armée américaine s’engage

Dans les provinces reculées, montagneuses, comme ici dans l’Uruzgan, les Taliban pourraient bien entraver les élections. 

		(Photo : AFP)
Dans les provinces reculées, montagneuses, comme ici dans l’Uruzgan, les Taliban pourraient bien entraver les élections.
(Photo : AFP)
Dans la perspective de l’élection présidentielle du 9 octobre, l’armée américaine met ses moyens militaires à la disposition des autorités et apporte son concours à la préparation du scrutin dans un climat d’indifférence, voire d’hostilité.

De notre envoyé spécial dans la province de l’Uruzgan.

L’hélicoptère décrit quelques tours au-dessus d’Uruzgan, village situé à l’extrême est de la province du même nom, dans le centre de l’Afghanistan. Il amorce sa descente. Les soldats sont crispés sur leurs mitrailleuses lourdes, prêts à tirer. Plus loin, un hélicoptère Apache, fleuron de l’armée américaine, surveille les environs, pointant ses roquettes sur les montagnes. Les montagnes de Doychapan, un refuge taliban régulièrement bombardé par les forces de la coalition. Quelques dizaines de militaires au sol se préparent à réceptionner le ravitaillement et les nouveaux arrivants, venus les épauler dans leur lutte contre le terrorisme et leur aide aux élections. « Sortez rapidement », crie le capitaine Andrew Brosnan. « Un hélicoptère qui atterrit est toujours vulnérable. Surtout ici », insiste-t-il.

Un nuage de poussière s’élève de la cour de la ferme fortifiée dans laquelle sont installés, depuis le mois de mai, cent-quarante soldats américains de la 25è division d’infanterie légère de Hawaï. Le capitaine Brosnan, recouvert d’une fine couche de sable brun, donne l’ordre à ses hommes de réceptionner le matériel électoral, puis rentre dans l’unique maison du camp, son quartier général. « Nous avons protégé le personnel des Nations unies qui procédait à l’enregistrement des électeurs. Nous allons les aider à informer la population sur les enjeux du vote. La région est très pauvre et les Afghans ici ne sont pas éduqués. C’est à peine s’ils connaissent le président Hamid Karzaï. Alors les dix-sept autres candidats aux présidentielles… », dit-il avec un geste de dépit, avant d’ajouter : « Le problème ici, ce sont les Taliban, insaisissables, qui tentent d’intimider les gens ».

« Nous tuerons les infidèles »

Le jour même, des tracts affichés durant la nuit sont retrouvés sur la porte de la mosquée, située à quelques encablures de la base. « Nous tuerons les infidèles et tous ceux qui se compromettront avec eux », peut-on lire. Le mollah, à peine surpris, les parcourt rapidement, avant de retourner vers son commerce dans le bazar, une épicerie. Un jeune soldat américain les arrache, en affirmant : « Ils sont tous complices. Ce que nous ne parvenons toujours pas à savoir, c’est le degré de leur implication avec les Taliban. Sympathiques villageois le jour, terroristes la nuit ». Quatre jours avant, une volée de roquettes s’est abattue sur le camp, avec de nombreux tirs de fusil-mitrailleur. « Ils ont tiré depuis les montagnes », raconte le sergent José Aranda. « Au milieu de la nuit, au moment de la pleine lune, ce qui nous empêche de voir correctement avec nos lunettes de vision nocturne. Ca n’a pas duré cinq minutes. Le plus ennuyeux, c’est qu’ils nous ont également tiré dessus depuis l’unique rue du bazar. Depuis, nous avons renforcé notre vigilance ».

Harcèlement, mines posées sur les chemins, intimidation, les fondamentalistes occupent le terrain. S’ils n’ont pas les moyens d’attaquer frontalement l’armée américaine, ils conservent un réel pouvoir de nuisance. Et dans des provinces reculées, montagneuses et difficiles d’accès comme l’Uruzgan, les Taliban pourraient bien entraver les élections.

« Sans les Américains, nous n’aurions enregistré personne », confie le docteur Ibrahim, responsable du petit bureau des Nations unies dans le district. « Les Taliban ont tué l’un de nos chefs d’équipe chargé d’informer les populations et plusieurs professeurs, qui parlaient des élections à leurs élèves. C’est bien simple, nous n’osons plus sortir ».

L’équipe électorale se sent abandonnée : « Les autorités afghanes ne nous ont pas aidés et les responsables de la composante électorale à Kaboul nous ont oubliés. Les Américains, quant à eux, font ce qu’ils peuvent. Ils nous assurent une protection relative. Ces élections sont organisées pour les citadins, pas pour nous. Ici, les gens ne savent pas écrire. Ils n’ont aucun moyen d’information et ne savent même pas qui sont les candidats. Comment vont-ils voter ? Et le pourront-ils avec toutes ces menaces ? », s’énerve l’homme, visiblement fatigué, en lissant sa longue barbe. Ce matin-là, il a réuni ses six chefs d’équipe, pour leur demander d’organiser une campagne d’information dans les villages.

« Une terrible bavure »

Les soldats américains ont confectionné un grand panneau avec les portraits des dix-huit candidats et quelques mots sur chacun. « Un bon soutien pour en parler », avance-t-il devant ses collègues. Mais l’un d’eux s’emporte : « Nous n’avons toujours pas été payés. Comment allons-nous parcourir le district avec ce truc si voyant ? Est-ce les Américains vont nous accompagner ? » La réponse est négative, les soldats de la coalition sont en patrouille. Une patrouille qui, l’apprend-on plus tard, a mal tourné. Alors que le groupe progressait vers le lieu d’affrontements entre les hommes du chef de district et des Taliban, ils ont tué un enfant et en ont blessé un autre.

« Une terrible bavure », avouera le capitaine Brosnan, visiblement très éprouvé. « Ils venaient vers nous en courant. Nous leur avons demandé de s’arrêter, mais ils ont continué de courir. Après deux sommations, nous avons tiré sur eux ». Apaisé, il ajoute : « Les élections présidentielles du 9 octobre sont menacées. Nous le savons. Surtout dans des régions comme celle-là. Nous ferons tout pour les protéger. Elles seront forcément imparfaites, car 80% d’Afghans sont illettrés et ne savent pas pour qui ni comment voter. Mais elles auront le mérite de permettre à ce pays de se construire enfin un avenir de paix, avec un semblant de démocratie ». Au cœur de l’Uruzgan, il est bien possible que personne, hormis les militaires américains, ne comprenne ce message.



par Eric  de La Varène

Article publié le 28/09/2004 Dernière mise à jour le 28/09/2004 à 09:14 TU

Uruzgan, chef-lieu du district de Khas Uruzgan, est situé à l’extrême est de la province d’Uruzgan. Ces vallées quasi-inaccessibles se trouvent à une dizaine de kilomètres des montagnes de Doychapan, sanctuaire taliban. Dans ce district, à peine 50% des électeurs ont pris leur carte électoral, soit 22 000 personnes, dont 4 000 femmes. Les femmes vivent recluses et voteront, apparemment, si leur mari le décide. L’Uruzgan, province natale du mollah Omar, le chef spirituel des Taliban, est une ancienne place forte des fondamentalistes. Ils seraient encore quelques centaines, retranchés dans les montagnes.