Afghanistan
Le combat des chefs
(Photo : AFP)
De notre correspondant à Kaboul
Le président Hamid Karzaï sera donc opposé à 17 concurrents pour les élections du mois d'octobre. La commission électorale a rendu public, le 10 août, la liste définitive des candidats à la présidentielle. Initialement composée de 23 inscrits, seuls 18 ont été retenus, les autres ne répondaient pas aux critères établis par la commission : ne pas être un criminel, ne pas posséder une milice privée ou ne pas avoir reçu de l'argent illégalement. «Les seigneurs de guerre vont essayer de s'entendre sur le dos de Hamid Karzaï. Ils feront tout pour s'opposer au candidat des Américains», affirmait un observateur des Nations unies, à la sortie de la conférence de presse de la commission électorale.
Le candidat numéro un, Latif Pedram, un démocrate francophone sans étiquette, très critique sur le bilan de l'administration Karzaï, affirme déjà avoir pris langue avec d'autres candidats pour s'opposer à la très probable réélection de l'actuel président. D'âpres négociations entre plusieurs commandants locaux, notamment l'Hazara Mohammad Mohaqqiq et l'Ouzbek Rachid Dostom ont commencé. Malgré des critères qui apparaissaient plutôt stricts, la commission aura tout de même permis à d'authentiques chefs de guerre, dont les crimes sont reconnus, de se présenter. «Leur puissance leur a permis de rester en course», confie le même observateur.
Rachid Dostom, pour ne citer que lui, dispose encore de nombreux combattants dans sa province du nord, près de la frontière avec l'Ouzbekistan. Les cent-quinze plaintes déposées contre des candidats ont toutes été rejetées, même si le président de la commission a confie que des soupçons planaient sur trois candidats : Dostom, Mohaqqiq et Khalili. En quittant la conférence de presse, Mohammad Mohaqqiq, qui fut ministre du Plan jusqu'en mars dernier, menaçait de rendre public des documents en sa possession contre Karzaï. Un autre candidat annonçait, furieux : «Nous nous battrons jusqu'au bout contre Karzaï». Avec l'ouverture de la campagne électorale, le combat des chefs commence. Le président Hamid Karzaï s'en est plutôt pas trop mal tiré jusque là, mais son pouvoir ne dépasse guère la capitale. La société afghane, traversée par les lignes de front ethniques qui ont en partie détruit le pays entre 1992 et 2001, se trouve désormais face à un défi considérable : asseoir définitivement la paix.
Les Taliban ont promis de réduire à néant ces élections
Après avoir été repoussée deux fois à cause du manque de progrès dans le désarmement des milices, la présidentielle devrait donc bien se tenir le 9 octobre. Les Nations unies ont enregistré plus de 90% de l'électorat potentiel, soit neuf millions d'Afghans. Un succès. Mais la période d'enregistrement s'est tout de même soldée par dix assassinats et 33 blessés. Les Taliban, toujours présents dans le sud et l'est du pays, ont promis de tout faire pour réduire à néant ces élections. Résultat : il ne se passe pas un jour sans escarmouches. Et là aussi, le bilan est lourd, avec près de 300 morts depuis le début de l'année, dans les provinces proches du Pakistan, traditionnellement acquises aux thèses fondamentalistes. Début août, les combats les plus meurtriers depuis fin 2001 se sont déroulés dans la province de Khost, sur la frontière avec le Pakistan. «Des Taliban, épaulés par des éléments étrangers, ont attaqué un poste-frontière. Nous avons dû faire appel à l'aviation américaine», annonçait alors un porte-parole des militaires afghans. Deux ans et demi après le départ des Taliban et malgré la présence de 18 000 soldats sous commandement américain, les fondamentalistes ont toujours un réel pouvoir de nuisance.
Pour George W. Bush, la paix en Afghanistan est un challenge qui conditionne sa possible réélection en novembre prochain. « Nous sommes certains que les gens se rendront en masse dans les bureaux de vote. Les Afghans témoignent d'un grand intérêt pour ces élections», annonçait récemment Manoel de Almeilda da Silva, porte-parole de l'Unama, la mission des Nations unies en Afghanistan. La campagne électorale commence. Elle sera placée sous la surveillance d'une force de paix, l'ISAF, déjà présente à Kaboul. Sous commandement de l'Otan, dix mille soldats veilleront au bon déroulement de la campagne et du scrutin. Mais l'ISAF va se déployer dans le nord et l'ouest du pays, laissant les régions les plus sensibles sans observateur.
Dans ce contexte forcément tendu, les organisations humanitaires ont rapatrié leur personnel sur la capitale afghane. Plus grave : après 24 ans de présence, l'association Médecins sans frontières a quitté l'Afghanistan. Pour des questions de sécurité. Autant dire qu'en cette veille d'élection, le pays entier retient son souffle.par Eric de Lavarene (avec Akbar Khan)
Article publié le 11/08/2004 Dernière mise à jour le 11/08/2004 à 12:21 TU