Economie française
La croissance par la déréglementation
(Photo: AFP)
«Nous sommes subrepticement engagés dans un processus de décrochage qui peut nous conduire, si rien n’est fait, à une situation, à terme d’une dizaine d’années, difficilement réversible», écrit l’ancien directeur général du FMI dans le rapport Vers une nouvelle croissance pour la France qu’il a remis mardi matin au ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie qui l’avait chargé d’identifier «les freins à la croissance». Selon Michel Camdessus, «si nous ne changeons rien (…) notre croissance potentielle (…) est vouée à ralentir de 2,25% aujourd’hui à 1,75% à l’horizon 2015».
Le constat de l’équipe d’experts qui a travaillé cinq mois durant aux côtés de Michel Camdessus n’est pas à l’avantage de l’économie française. Selon le document, les performances comparées des économies française et nord-américaine, ou nord-européenne, de ces dix dernières années montrent clairement une difficulté hexagonale, là où les autres pays affichent des résultats plus qu’encourageants.
Dès 50 ans, les sans-emploi n’en trouvent plus
M. Camdessus propose l’adoption d’un «bouquet» de réformes visant à favoriser l’emploi, accroître la quantité de travail fournie et la compétitivité des entreprises, à permettre une plus grande flexibilité dans les secteurs des services et du commerce, à rendre le système fiscal français plus attractif et à contenir les dépenses publiques. Bref, à restaurer une croissance pourvoyeuse de richesses et d’emplois.
La question de l’emploi est donc centrale dans le rapport remis mardi à Nicolas Sarkosy. Le document rappelle notamment que la France entretient depuis vingt ans un taux de chômage proche des 10% de la population active et que les jeunes et les seniors sont «largement exclus du marché du travail». En France, en effet, dès 50 ans, les sans-emploi n’en trouvent plus. Le rapport Camdessus propose donc d’autoriser sans restriction le cumul d’un emploi rémunéré et d’une retraite et de démanteler tous les dispositifs de retraite anticipée. Quant au jeunes (16-25 ans), leur taux d’emploi est de 24%, contre une moyenne de 44% pour les pays de l’OCDE. Le rapport évoque la mise en place d’un mécanisme «leur fournissant une première expérience professionnelle venant vraiment compléter leur formation».
Passer de l’assistance au travail
Selon les rapporteurs, compte tenu de l’insuffisance de l’emploi à distribuer, la quantité d’heures travaillées en France est trop faible. C’est même, selon les auteurs du document, la principale cause de l’écart entre la croissance française et la croissance américaine ou britannique. Des assouplissements sont donc proposés sur cette question de la durée du temps de travail, aujourd’hui fixée à 35 heures par semaine. De même, les contrats de travail devraient être modifiés. Un contrat unique pourrait ainsi se substituer aux classiques CDI (contrats à durée indéterminée) et CDD (contrats à durée déterminée) afin de permettre une plus grande souplesse dans l’embauche et la débauche, tandis que l’assurance chômage serait rendue à la fois «plus généreuse» et «plus incitative», et assortie de «sanctions crédibles (…) en contrepartie des soutiens mis en place». Parallèlement, le rapport Camdessus juge « trop élevé » le coût actuel du travail et propose «que l’évolution du smic (salaire minimum) ne soit plus accentuée par des "coups de pouce"».
Le rapport propose une plus large marge de manœuvres dans la conduite des commerces et des services, visant à introduire plus de liberté dans la gestion des hommes (horaires) et des biens (fixation des prix). Concernant les dépenses publiques, la France est dotée «d’une voilure trop lourde et complexe» et doit notamment s’astreindre à réduire sa masse salariale et ses pensions en ne remplaçant qu’un départ à la retraite sur 3 au cours de ces cinq prochaines années.
«Diagnostic banal», «remèdes dangereux»
Evidemment la publication d’un tel rapport est de nature à satisfaire un patronat français demandeur d’allègement de charges et d’impôts, de réduction des coûts et de réforme des lois sociales en vigueur. Avec une pointe de provocation, le syndicat patronal Medef a salué l’appel au «sursaut nécessaire» lancé dans le rapport pour l’opposer à «l’immobilisme» du gouvernement en matière de réforme du droit du travail. Car ce rapport Camdessus, qui rejoint une volonté de dérégulation maintes fois manifestée par les chefs d’entreprises, survient dans un contexte intérieur marqué par une tentative d’apaisement du gouvernement sur le front social.
Le ministre de l’Economie et des Finances, qui joue sa propre partition au sein de l’équipe gouvernementale, dans l’attente de manifester ses ambitions présidentielles personnelles, en 2007, a accueilli le rapport avec satisfaction, déclarant qu’il se reconnaissait dans le travail de Michel Camdessus. L’opposition, pour sa part, n’y voit qu’un catalogue supplémentaire de recettes inspirées du «bréviaire libéral» (Alain Bocquet, communiste). L’ancien ministre socialiste Georges Sarre évoque les médecins caricaturés dans la pièce de Molière, Le malade imaginaire, et parle de «diagnostic banal» et de «remèdes dangereux».
par Georges Abou
Article publié le 19/10/2004 Dernière mise à jour le 19/10/2004 à 15:38 TU