Pays-Bas
Theo van Gogh, réalisateur controversé, assassiné à Amsterdam
(Photo: AFP)
De notre correspondante à La Haye.
Réalisateur controversé, éditorialiste polémiste, Theo van Gogh a été assassiné en pleine rue mardi matin, à Amsterdam. Cet arrière petit-neveu du célèbre peintre était en quelque sorte le «Michael Moore» des Pays-Bas: un physique similaire, un style et un ton volontiers provocateurs. A 47 ans, celui qui enrobait ses rondeurs par une paire de bretelles sur les plateaux de télévision, le sourire gouailleur, les cheveux blonds, hirsutes, a donc quitté de façon provocante, mais cette fois involontairement, la scène médiatique hollandaise.
Selon le procureur, Theo van Gogh aurait été poignardé puis achevé de sept balles tirées en pleine rue d’un quartier huppé d’Amsterdam, aux alentours de 9h du matin. Interpellé après une courte course poursuite, le tueur présumé, blessé, a ensuite été hospitalisé. Agé de 26 ans, il possède la double nationalité marocaine et néerlandaise et appartiendrait, selon la police, à un groupe islamiste basé aux Pays-Bas. Un tract a été retrouvé sur le corps, sans que le contenu n’en soit révélé. Près de la scène de crime, sécurisée par la police, des passants anonymes ont déposé, tout au long de la journée, quelques fleurs en hommages.
Dès l’annonce de l’assassinat, plusieurs personnalités politiques ont exprimé leur consternation. Lors d’une séance au parlement, le ministre de la Justice a dénoncé le crime odieux tandis que le maire d’Amsterdam organisait une conférence de presse au cours de laquelle il invitait à un grand rassemblement dans la soirée sur le Dam, au centre d’Amsterdam. «La liberté d’expression est un des fondements de notre société, mais elle a été ébranlée aujourd’hui», a t-il déclaré. Si les propos de Theo van Gogh, qui fustigeait notamment la société multiculturelle aux Pays-Bas, ne faisaient pas l’unanimité, son assassinat a provoqué un grand rassemblement. Quelques 20 000 personnes ont répondu à l’appel, pour une «manifestation bruyante», à la demande de ses proches. Les cloches des églises ont résonné dans toute la ville, les manifestants, de tous âges, sont venus avec des flambeaux pour protester contre les atteintes à la liberté d’opinion.
Theo van Gogh, l’insoumis
Cette liberté, Theo van Gogh en avait fait son credo, en dénonçant récemment, dans un documentaire de 10 minutes, le traitement réservé aux femmes dans l’islam. Basé sur un scénario écrit par la député libérale, Hirsi Ali -d’origine somalienne mais qui aurait fui le Kenya en 1991 pour échapper à un mariage forcé- Soumission raconte l’histoire d’une femme battue et violée par des membres de sa famille. Diffusé fin août sur plusieurs chaînes de télévision des Pays-Bas, le film avait valu quelques menaces à l’auteur et au réalisateur, sans que Theo van Gogh n’en soit apparemment ébranlé. Lors de sa diffusion, il avait ironisé, promettant qu’il enverrait son film à la chaîne arabe Al-Jazira.
A La Haye, le Premier ministre Jan Peter Balkenende a regretté «un climat qui pousse les gens à se réfugier dans la violence», rappelant à demi-mot l’assassinat, le 6 mai 2002, du leader populiste Pim Fortyun, dans des conditions similaires. Theo van Gogh venait d’ailleurs de terminer un film sur cet assassinat politique. Intitulé 0605, il devait être diffusé sur l’Internet fin 2004. «C’est un jour triste pour la liberté d’opinion, qui est la pierre angulaire de la démocratie», a regretté le Premier ministre. Tandis que l’un des représentants de la communauté musulmane aux Pays-Bas a estimé que «ses opinions sur l’Islam étaient effroyables et blessantes (…) mais que rien ne justifiait le meurtre». Même son de cloche du côté des représentants de la communauté juive.
Sur son site Internet, le réalisateur apparaissait mardi matin pointant d’un doigt dénonciateur le navigateur, les yeux bandés par un soutien-gorge de soie rouge, avec pour légende «Theo van Gogh est mort». Par opposition aux campagnes de santé publique, Theo van Gogh, fumeur compulsif de Gauloises, s’était lui-même surnommé «le fumeur bien portant».
par Stéphanie Maupas
Article publié le 03/11/2004 Dernière mise à jour le 03/11/2004 à 10:50 TU