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Guinée

La contestation gagne la province

La Guinée 

		(Carte : RFI)
La Guinée
(Carte : RFI)
Emeutes à Pita, répression musclée et ordonnée par les autorités politiques et militaires, de nombreuses victimes sont signalées, bref, la Guinée s’enfonce encore un peu plus dans une profonde crise qui dure depuis cinq ans.

A Pita, à quelque 350 kilomètres de Conakry, en plein cœur du pays Peulh, les abonnés de la Société guinéenne d’électricité (SOGEL) ont lancé un mouvement de protestation contre les factures qu’ils ont qualifiées de «fantaisistes». Ils se sont vus réclamer des sommes, parfois cent fois supérieures à leurs factures mensuelles habituelles d’une moyenne de 20 000 francs guinéens (moins de 10 euros). Ces brusques augmentations «surprises» ont d’autant choqué les abonnés qu’ils ne disposent pas tous de compteurs électriques personnels, pas plus qu’ils ne jouissent d’une fourniture régulière de courant. Ils ont jugé inacceptable cette hausse dont personne n’était averti et ont décidé alors de manifester aux abords des bureaux de la SOGEL. 

La manifestation du 2 novembre a rapidement dégénéré en colère violemment exprimée par les abonnés rejoints par d’autres habitants de la ville qui voulaient aussi crier leur mécontentement. Les bureaux de la SOGEL ont été saccagés et de nombreux véhicules ont été incendiés. Les autorités craignant un débordement dans cette région réputée contestataire ont dépêché sur place des renforts de forces de l’ordre venus de Labé au nord et de Mamou au sud, les métropoles régionales. La répression a été vive puisque les forces de l’ordre ont tiré à balles réelles faisant de nombreuses victimes. Selon plusieurs sources il y aurait au moins trois tués, une trentaine de blessés dont cinq dans un état grave. Mais le décompte officiel fait état d’un seul mort et de trois blessés graves.

Le ministre de l’Administration du territoire, Kiridi Bangoura s’est rendu le jour même à Pita où il a dirigé une réunion regroupant les notables, les autorités locales, le préfet et le gouverneur de la région. «C’est vrai aussi que le moment est mal choisi pour une augmentation des prix des produits de consommation, mais nous avions dès le départ de la protestation souhaité dialoguer avec les manifestants pour ne pas arriver à ce drame que nous regrettons tous», a précisé El-hadj Ibrahima Blacky Bangoura, le préfet de Pita. Mais toujours est-il qu’une dizaine de personnes ont été arrêtées et que la ville de Pita est soumise à un quadrillage rigoureux des forces de l’ordre. Le calme y revenu mais la tension est vive dans la région du Fouta.                       

La débrouillardise

Les événements de Pita ne sont qu’une conséquence directe de la profonde crise économique que traverse la Guinée depuis cinq ans. Une gestion chaotique dans les différents secteurs d’activités a provoqué une dévaluation continue et progressive de la monnaie locale, le Nouveau franc guinéen (GNF). Un euro valait, il y a moins de deux ans, 1 800 francs guinéens, mais est échangé aujourd’hui contre 4 500 francs guinéens. La fourniture de l’électricité et l’eau est aléatoire dans la capitale et les grandes villes du pays. Les villes secondaires et villages en sont tout simplement privés. En juillet dernier la hausse  de 30% du prix du sac de 50 kilos de riz, aliment de base, avait entraîné des émeutes qui ont fait de nombreuses victimes à Conakry.

La débrouillardise pour s’en sortir est devenue une activité à plein temps du Guinéen moyen qui n’a plus de revenus réguliers. De nombreux observateurs de la vie politique et économique guinéenne ont récemment évalué à 70% le taux de chômage qui touche la population active. Le pays compte 55 000 fonctionnaires et 25 000 travailleurs dans le secteur privé. Tous les indicateurs économiques sont au rouge et viennent s’ajouter à la crise politique qui mine la Guinée depuis quelques années. Réélection contestée du président de la République en décembre 2003, démission du Premier ministre en avril 2004 deux mois après sa nomination (non remplacé), le dialogue politique avec l’opposition dans l’incertitude, bref, les acteurs politiques guinéens ne prennent plus d’initiatives et semblent s’en remettre à la fatalité. Le pouvoir et l’opposition s’observent et attendent l’un de l’autre qu’une mort naturelle vienne régler les comptes.



par Didier  Samson

Article publié le 04/11/2004 Dernière mise à jour le 04/11/2004 à 14:21 TU