Proche-Orient
L'Etat palestinien en héritage
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RFI: Pourquoi Yasser Arafat incarne-t-il à ce point la résistance palestinienne ?
Xavier Baron: Il n’incarne pas seulement la résistance palestinienne. Il incarne tous les Palestiniens. Il y est parvenu après un long processus qui a commencé dans la clandestinité, il y a une quarantaine d’années, et qui a permis d’organiser les Palestiniens, de leur faire prendre conscience de leur identité nationale, en dépit de leur éparpillement entre différents pays d’exil. Petit à petit, Yasser Arafat s’est imposé comme l’homme qui les regroupait tous et qui a incarné leurs aspirations. Y compris dans l’habillement puisque, si on regarde tout au long de ces années les photos des responsables palestiniens, celui qui a toujours gardé le keffieh, c’est Yasser Arafat. Tous les autres sont généralement soit en treillis, soit en costume deux-pièces. Donc à la fois il les a incarné du point de vue des idées, et il a tenu à garder les traditions et les habitudes. Il appartient aussi sur le plan religieux au courant le plus important (de l’islam), qui est le courant sunnite, ce qui a eu son importance. Il a aussi, en créant le Fatah, créé un mouvement qui n’est pas idéologiquement marqué. C’est à dire qu’il a rassemblé le plus grand nombre de personnes, sans exclure personne.
RFI: Il a également réussi à réaliser un travail d’autonomisation de la résistance palestinienne à l’égard des régimes arabes. Comment est-il parvenu à ce résultat ?
XB: Ça a été pour lui un perpétuel jeu de bascule entre les Etats arabes. Il a magistralement joué de ce registre avec ses talents de tacticien et de politicien. C’est-à-dire qu’il a été perpétuellement en crise avec les Etats arabes, mais les uns après les autres. Et quand un Etat arabe le soutenait, il était en crise avec un autre. Ce qui lui a permis bien souvent de survivre. L’OLP s’est imposée, grosso modo, contre les Etats arabes qui n’en voulaient pas. Et quand Nasser, il y a exactement quarante ans, a favorisé la création de l’OLP, c’était pour la mettre sous sa coupe, c’était pour contrôler les Palestiniens. Ce n’était certainement pas pour qu’ils prennent leur indépendance !
RFI: Comment est-il passé du statut de « terroriste » à celui de Raïs aux yeux de la communauté internationale ?
XB: Ça a été long. D’abord il faut dire que pour un certain nombre de personnes, il est toujours un terroriste. Maintenant, pour la communauté internationale, on peut dire que le tournant a été sa venue aux Nations unies, en 1974, qui l’a présenté comme un dirigeant politique admis au sein de la communauté internationale. Jusqu’à cette date de l’automne 1974, il était un banni des réunions internationales, autres que les réunions du tiers monde et du monde arabe. Je crois que le Premier ministre occidental qui l’a rencontré, c’était le ministre des Affaires étrangères français, Jean Sauvagnargues (1974-1976), pendant l’été 1974. Il a été le premier ministre occidental à rencontrer Yasser Arafat. Ce qui montre que le chemin parcouru a été long : pendant très longtemps il a été tenu à l’écart et il n’était pas question de le rencontrer.
RFI: Est-ce que vous diriez que Yasser Arafat est davantage un «homme d’Etat» ou un «homme d’appareil» ?
XB: Je crains que la réponse est qu’il soit davantage un «homme d’appareil» et qu’il a eu énormément de mal à franchir l’étape du terrain, de l’activité clandestine, de l’animation et l’organisation d’un mouvement de lutte armée, de résistance, à la direction d’un Etat. Il n’a pas réussi à faire la transition.
RFI: Est-ce cette dimension-là qui a fait de lui le créateur des «Fatahland», que ce soit en Jordanie, en 1970, ou que ce soit au Liban, un peu plus tard ? C’est-à-dire créer des entités palestiniennes caractérisées par une politique interne pseudo-étatique au mépris du combat révolutionnaire pour la libération de la Palestine.
XB: Le «Fatahland», qui était la région du sud du Liban allant de la frontière israélienne jusqu’à la Syrie, avait un aspect purement militaire. C’était une voie de passage pour permettre aux commandos de passer. En Jordanie, c’était pratiquement tout le nord du royaume hachémite qui avait été infiltré par des bases militaires palestiniennes un peu partout. Mais cela avait pour but d’organiser pour la première fois tous ces camps qui se sont créés immédiatement après la guerre de 1967. Ces zones où se trouvaient les Palestiniens étaient les premiers lieux de retrouvailles pour les Palestiniens, après 1948.
RFI: Ce qui a été terriblement contre-productif puisque, à cette occasion, Yasser Arafat s’est mis à dos une bonne partie des Etats arabes.
XB: Il s’est mis à dos les Etats arabes et ça a provoqué des représailles israéliennes. Mais je crois qu’on ne peut pas dire que l’opinion arabe était contre. Ce fut la période pendant laquelle l’opinion arabe a été la plus pro-palestinienne: le héros de la rue, c’était le Palestinien, c’était le Fedayin.
RFI: Que peut-on dire de son héritage politique aujourd’hui ? On a le sentiment d’une difficulté de construire un «après-Arafat». Est-ce que c’est l’héritage de «l’homme d’appareil» dont nous parlions qui remonte à la surface et auquel nous assistons ?
XB : Je ne pense pas qu’il faille faire des pronostics sur ce qui va se passer après lui. Son héritage, actuellement, c’est d’abord qu’aujourd’hui la communauté internationale dit qu’il faut un Etat palestinien. Ça, c’est fondamental et c’est toute l’œuvre de sa vie. Quand il a commencé son action dans la clandestinité, le mot « palestinien » n’existait même pas. On parlait des réfugiés ou des infiltrés. Donc, quand même, quarante ans après, on dit : «Il faut un Etat palestinien». Alors, au-delà de ça, quel type d’Etat et comment fallait-il s’y prendre ? Ça, c’est encore un héritage politique. Le processus d’Oslo paraît aujourd’hui définitivement mort. Même la Feuille de route, qui était un mode d’action international, n’a pas donné d’effets. Evidemment la responsabilité n’est pas seulement chez Yasser Arafat. Aujourd’hui il est question de l’évacuation de Gaza, mais c’est un plan purement unilatéral israélien qui n’est pas du tout le résultat de discussions avec les Palestiniens et qui est un déguisement pour, en fait, un redéploiement puisque Gaza continuera a être encerclée et tout continuera a être contrôlé par les Israéliens. Mais ils seront dehors et non plus dedans. Donc aujourd’hui, quelle va être la route à suivre pour parvenir à cet Etat palestinien dont on parle ? Je ne sais pas du tout. Le président Bush va entamer un second mandat… Il y a incertitude de tous les côtés !
RFI : Parmi les dimensions extraordinaires du personnage: Yasser Arafat est aussi caractérisé par la colossale baraka dont il a bénéficié: il a survécu à des attentats, des accidents…
XB : Il a même échappé à un accident d’avion, en Libye !
RFI : Est-ce que ce n’est pas une dimension du personnage qui a contribué à alimenter le mythe ?
XB : Absolument. Il a eu la baraka pendant 40 ans car, pour diriger un mouvement révolutionnaire, de résistance, pour commander un mouvement armé sans avoir de bases et devant passer en permanence d’un Etat à l’autre, sachant que ces Etats ne lui veulent pas du bien, voyageant à travers le monde, condamné à de multiples exils, condamné à mort, vivant dans la clandestinité, ayant tous les services secrets des différents pays qui le traquaient : il a eu une baraka extraordinaire !
par Propos recueillis par Georges Abou
Article publié le 08/11/2004 Dernière mise à jour le 08/11/2004 à 09:55 TU