Mauritanie
Au procès des présumés putschistes, les avocats suspendent leur participation
(Photo : AFP)
De notre correspondante à Nouakchott.
Sidi Mohamed ould Mahame, avocat du chef des présumés putschistes et parent du chef de l’Etat a été transféré hier soir à la maison d’arrêt de Rosso, à la frontière sénégalaise. Son mandat de dépôt a été délivré par le président de la cour après un échange virulent avec les avocats. Sidi Mohamed ould Mahame avait notamment demandé à ses collègues et à la cour, plus de solennité et de sérieux pour juger une telle affaire. Depuis le premier jour les avocats rappellent au président de la cour, plutôt très détendu et souriant, que l’heure est grave. « Mais il fait toujours preuve de beaucoup de légèreté et de frivolité, regrette Maître Yacoub Diallo, un ancien bâtonnier. Ce ton et ce comportement ne sont pas adéquats quand il s’agit d’une affaire aussi importante où des peines capitales risquent d’être prononcées ».
Lundi soir, suite au sit-in que les avocats ont tenu dans le village de Ouad Naga, près de la prison, ils ont décidé de suspendre leur activité devant la cour criminelle et devant toutes les autres juridictions du pays jusqu’à la levée des mesures initiées à l’encontre de leur confrère. « Cet acte entrepris par la cour criminelle constitue un précédent dangereux et une violation manifeste des procédures judiciaires. Même si nous supposons que l'appel au respect de la procédure, à la dignité et la sérénité de la justice constitue un délit d'audience, il eut fallu pour autant juger les faits séance tenante. Tout report de l'examen de ces faits à une audience ultérieure rend nul et de nuls effets les poursuites », a déclaré la défense dans un communiqué diffusé lundi soir.
A la fois juré et militaire
Au premier jour de l’audience, les avocats avaient déjà perdu la bataille concernant les vices de procédure. Le président de la cour a rejeté en bloc toutes les exceptions soulevées et notamment celle relative à la présence de deux jurés militaires. Même si un avis a été rendu au mois de mai par la cour suprême autorisant la présence de tels jurés dans certaines circonstances, « la loi existait auparavant, elles est très claire et doit être seule prise en compte », estime la défense qui assure que les fonctions de juré et de militaire sont incompatibles. Le président de la cour a seulement accepté de changer un des jurés militaires car il avait été cité comme témoin dans le dossier.
Malgré le retrait des avocats, hier, deux accusés ont été appelés à la barre mais ont refusé de répondre aux questions. Ils n’ont pas accepté non plus la présence des deux hommes désignés pour leur « intégrité morale » parmi le public afin de remplacer la défense et faire office d’avocat. « Je ne les connais pas, ils ne me connaissent pas, je ne leur dirai rien, qu’ils aillent se reposer », a scandé Mohamed ould Ahmed Abd, le N°3 parmi les instigateurs du putsch qui, devant cette situation cocasse, avait opté pour le ton de la plaisanterie.
« Mes supérieurs directs ont pris la fuite »
A l’issue des deux premiers jours d’audience, seuls deux accusés ont pu être normalement interrogés. Il s’agit de deux commandants qui ont plaidé non coupables. « J’ai refusé de collaborer avec les putschistes qui m’avaient contacté, j’ai informé les autorités de la préparation d’un coup d’état et ensuite apporté tous les renforts qu’il fallait aux troupes loyalistes », a déclaré le premier Mohamed ould Ahmed ould Vall, attaché à la 6ième région militaire de Nouakchott, assurant qu’il ne comprenait pas pourquoi il avait été arrêté. « Ce sont mes supérieurs directs qui ont pris la fuite pendant 36 heures et non pas moi », a-t-il déclaré dans un témoignage sous forme d’accusation. Le second, Mohamed Lemine ould Laghlal s’est lui aussi défendu d’être le « patron » d’un char le jour du putsch, contrairement à certains témoignages cités par l’accusation.
A Ouad Naga, à quelques mètres de la salle d’audience, quatre détenus sont toujours gardés à l’isolement sous très haute surveillance. Ils jugent eux-mêmes leur situation « très critique ». « Nous n’avons pas d’électricité, les cellules n’ont pas de fenêtre, nous sommes attachés par des chaînes aux mains et aux pieds et des éléments de la gendarmerie font un bruit continu sur le toit pour nous éviter de dormir », a témoigné l’un d’entre eux, via son avocat. Inquiètes, les familles font part également de leur préoccupation suite à l’interpellation de six femmes du public, les unes pour détention de tracts, les autres parce qu’elles auraient été trop bruyantes dans la salle d’audience.
par Marie-Pierre Olphand
Article publié le 23/11/2004 Dernière mise à jour le 06/01/2005 à 13:56 TU