Mauritanie
Le président Ould Taya proclame l'échec d'un putsch militaire
Le président Ould Taya est intervenu lundi après midi à la radio nationale pour déclarer que les forces loyalistes avaient déjoué un "complot" fomenté par "des officiers de l'armée nationale qui avaient mis la main sur une unité comprenant essentiellement des blindés". Selon les autorités, le chef d'état-major de l'armée mauritanienne aurait été tué dimanche par les putschistes.
"L'opération est terminée", selon le président Ould Taya qui est intervenu lundi après midi sur la radio nationale pour assurer que "les forces patriotiques ont déjoué ce complot qui visait à mettre fin au processus de développement et d'émancipation". Les combats se sont interrompus lundi en fin de matinée. Les loyalistes se sont déployés au centre de Nouakchott et les partisans du régime ont improvisé une "manifestation de joie" dans les rues subitement embouteillées de la capitale. Les autorités ont annoncé la mort du chef d'état-major de l'Armée nationale mauritanienne, Mohammed Lemine Ould N'Diayane. Selon elles, il aurait refusé de se rendre aux putschistes qui l'auraient alors passé par les armes.
Pour venir à bout de ces "officiers" qui avaient mis la main sur une unité de blindés, selon le chef de l'Etat, "cela a pris du temps parce qu'il a fallu détruire char après char". Il n'a pas révélé en revanche le nombre et le sort exact des acteurs de l'aventure militaire lancée dans la nuit de samedi à dimanche. Mais le combat a semblé âpre en effet et lundi, vers 6 heures locales, des tirs à l’arme lourde et des fusillades avaient repris alors que quelques heures plus tôt, vers minuit, une source proche du pouvoir affirmait que «le putsch a été totalement maîtrisé, les derniers mutins se sont rendus aux forces loyales».
Les autorités ont expliqué ces combats de lundi matin par une tentative de fuite de putschistes. Retranchés dans l'état-major de la gendarmerie, ces derniers auraient tenté une sortie à l'aube, pour s'échapper, au lieu de se rendre comme les loyalistes l'escomptaient. Jusque là et depuis dimanche vers 20 heures, Nouakchott avait connu une accalmie, après plusieurs heures d’intenses combats et l’arrivée de renforts, en particulier des artilleurs et des parachutistes en provenance des garnisons de l’est, du sud et du nord du pays, notamment de la ville d’Atar d’où est originaire le président-colonel Maaouya Sid’Ahmed Ould Taya. Les autorités accusent officieusement un ancien colonel radié de l’armée Salah Ould Hnana, un homme de l’Est à la réputation de baasiste.
C’est l’Agence marocaine de presse (MAP) qui a fait état, la première, d’accusations contre le colonel Ould Hnana, un officier de la division des blindés, chassé de l’armée l’année dernière. Lundi une «source gouvernementale» citée par l’Agence France presse reprenait cette charge que la MAP déclare tenir d’un «officier supérieur». Ce dernier aurait suggéré que Ould Hnana a bénéficié de complicité dans son ancien corps d’armes, au moment où «Ould el Ghazouani, qui commande les unités de blindés se trouve en stage à l’extérieur du pays». La caserne des blindés se trouve à quelque 3 kilomètres seulement au sud du centre-ville de Nouakchott. Samedi, des détonations provenant du centre et du sud de la capitale ont été entendus jusque dans les quartiers nord. Visiblement, loyalistes et putschistes se sont disputés le contrôle de la radio et de la télévision nationale, muets jusqu’à l'intervention présidentielle, à l’exception d’une brève reprise du programme radio dimanche en fin de matinée, à la gloire de Ahmed Ould Taya.
Des putsch militaires faute d’alternance par les urnes
Le colonel Ould Taya avait lui même pris le pouvoir par les armes, le 12 décembre 1984. Chef d’état-major des armées, il avait alors profité de l’absence, pour cause de sommet franco-africain, du colonel-président Khouna Ould Haidallah. Ce dernier était le tombeur du «père de la Nation» mauritanienne, Mokhtar Ould Daddah, renversé le 10 juillet 1978. Le colonel Ould Taya avait lui aussi participé à ce premier coup d’Etat. Au total, la Mauritanie n’a jamais connu d’alternance par les urnes et jusqu’à présent, en fin connaisseur, le président Ould Taya a régné d’une main de fer. A 62 ans, il brigue un troisième mandat aux présidentielles de novembre prochain, après ses réélections controversées mais sans surprises de 1992 et 1997. Entre temps, le colonel Ould Taya a régulièrement purgé les rangs de l’opposition mais aussi ceux de l’armée.
Selon les organisations de droits de l'homme, entre 1990 et 1991, plusieurs centaines de soldats negro-africains mauritaniens seraient morts, souvent en prison, dans les violences à leur encontre qui ont suivi les sanglants affrontements de 1989 entre Mauritaniens et Sénégalais, mais aussi entre nationaux maures ou negro-africains. Ces événements avaient opposé Dakar et Nouakchott, provoquant l'exode ou l'expulsion de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Une manière pour le régime Ould Taya de traiter la question épineuse des relations entre les Maures et les négro-africains mauritaniens. Mais les conflits de pouvoir lui opposent d'autres adversaires au plan interne, et même à l'intérieur de son propre clan. Cela n'est pas indifférent à l'alignement du président Ould Taya sur l’axe Washington-Tel Aviv, au détriment du nationalisme arabe, qui l’avait vu s’engager en faveur de l’Irak de Saddam Hussein pendant la guerre du Golfe de 1991.
Le 28 octobre 1999, la Mauritanie a été le troisième pays arabe, derrière l’Egypte et la Jordanie, à nouer des liens diplomatiques avec Israël, avec échange d’ambassadeurs et autres bons procédés économico-militaires. Cela avait suscité l’émoi de la frange de l’opinion publique assez audacieuse pour s’exprimer publiquement. Après le 11 septembre 2001, Nouakchott a reçu les félicitations américaines pour sa chasse au terrorisme, avec l'interpellation de membres supposés d’Al Quaïda. A cette occasion, une homonymie a valu des sueurs froides à un Maure du clan Ould Taya dont le nom était affiché sur les listes noires américaines, une erreur corrigée suffisamment tard pour valoir rappel à l'ordre présidentiel.
Tout récemment, Nouakchott a donné de nouveaux gages tout en faisant le ménage dans les rangs de son opposition «islamiste» mais aussi baasiste (nationaliste panarabiste). Le 1er mai 2003, une vague d’arrestation a frappé ces deux mouvances. Le 6 mai, deux ministres suspectés d’appartenir à la première ont été limogés. Le 3 juin, 32 personnes ont été inculpées «de complot contre l’ordre constitutionnel» pour cause d’islamisme. Onze ont été relâchées deux jours plus tard. Enfin, à l'occasion de ce dernier "complot" militaire, les autorités ont accusé le colonel déchu Salah Ould Hnana, un homme de réputation «baasiste». Ces derniers temps, Nouakchott a constamment brandi le chiffon vert de l’islamisme, assurant que «des attentats ont été déjoués en 1998 grâce, notamment, à la vigilance des citoyens et à leur coopération active avec les services de sécurité» . Selon le Premier ministre, le terrorisme religieux constituerait néanmoins «un danger rampant», certains de ses partisans essayant de «faire de la Mauritanie un terrain de rechange après leur échec dans d’autres contrées».
Le régime a promis de faire toute la lumière sur les événements commencés ce 8 juin. Mais dans le climat politico-militaire extrêmement pesant qu’ils connaissent depuis des années, les Mauritaniens répugnent pour le moment à se perdre en conjonctures. D’ailleurs, les violents combats des dernières 24 heures n’avaient encore donné lieu à aucun bilan humain lundi. Mais on sait qu’ils ont fait de nombreuses victimes civiles. Des pillards inopinément sortis de prison en ont fait d’autres. Pour le reste, la seule certitude, c’est que la grande muette a parlé, avec ses fusils, dans ce qui apparaît comme une tentative de coup d’Etat militaire, une révolution de caserne, pour ne pas dire de palais, apparemment ratée.
Pour venir à bout de ces "officiers" qui avaient mis la main sur une unité de blindés, selon le chef de l'Etat, "cela a pris du temps parce qu'il a fallu détruire char après char". Il n'a pas révélé en revanche le nombre et le sort exact des acteurs de l'aventure militaire lancée dans la nuit de samedi à dimanche. Mais le combat a semblé âpre en effet et lundi, vers 6 heures locales, des tirs à l’arme lourde et des fusillades avaient repris alors que quelques heures plus tôt, vers minuit, une source proche du pouvoir affirmait que «le putsch a été totalement maîtrisé, les derniers mutins se sont rendus aux forces loyales».
Les autorités ont expliqué ces combats de lundi matin par une tentative de fuite de putschistes. Retranchés dans l'état-major de la gendarmerie, ces derniers auraient tenté une sortie à l'aube, pour s'échapper, au lieu de se rendre comme les loyalistes l'escomptaient. Jusque là et depuis dimanche vers 20 heures, Nouakchott avait connu une accalmie, après plusieurs heures d’intenses combats et l’arrivée de renforts, en particulier des artilleurs et des parachutistes en provenance des garnisons de l’est, du sud et du nord du pays, notamment de la ville d’Atar d’où est originaire le président-colonel Maaouya Sid’Ahmed Ould Taya. Les autorités accusent officieusement un ancien colonel radié de l’armée Salah Ould Hnana, un homme de l’Est à la réputation de baasiste.
C’est l’Agence marocaine de presse (MAP) qui a fait état, la première, d’accusations contre le colonel Ould Hnana, un officier de la division des blindés, chassé de l’armée l’année dernière. Lundi une «source gouvernementale» citée par l’Agence France presse reprenait cette charge que la MAP déclare tenir d’un «officier supérieur». Ce dernier aurait suggéré que Ould Hnana a bénéficié de complicité dans son ancien corps d’armes, au moment où «Ould el Ghazouani, qui commande les unités de blindés se trouve en stage à l’extérieur du pays». La caserne des blindés se trouve à quelque 3 kilomètres seulement au sud du centre-ville de Nouakchott. Samedi, des détonations provenant du centre et du sud de la capitale ont été entendus jusque dans les quartiers nord. Visiblement, loyalistes et putschistes se sont disputés le contrôle de la radio et de la télévision nationale, muets jusqu’à l'intervention présidentielle, à l’exception d’une brève reprise du programme radio dimanche en fin de matinée, à la gloire de Ahmed Ould Taya.
Des putsch militaires faute d’alternance par les urnes
Le colonel Ould Taya avait lui même pris le pouvoir par les armes, le 12 décembre 1984. Chef d’état-major des armées, il avait alors profité de l’absence, pour cause de sommet franco-africain, du colonel-président Khouna Ould Haidallah. Ce dernier était le tombeur du «père de la Nation» mauritanienne, Mokhtar Ould Daddah, renversé le 10 juillet 1978. Le colonel Ould Taya avait lui aussi participé à ce premier coup d’Etat. Au total, la Mauritanie n’a jamais connu d’alternance par les urnes et jusqu’à présent, en fin connaisseur, le président Ould Taya a régné d’une main de fer. A 62 ans, il brigue un troisième mandat aux présidentielles de novembre prochain, après ses réélections controversées mais sans surprises de 1992 et 1997. Entre temps, le colonel Ould Taya a régulièrement purgé les rangs de l’opposition mais aussi ceux de l’armée.
Selon les organisations de droits de l'homme, entre 1990 et 1991, plusieurs centaines de soldats negro-africains mauritaniens seraient morts, souvent en prison, dans les violences à leur encontre qui ont suivi les sanglants affrontements de 1989 entre Mauritaniens et Sénégalais, mais aussi entre nationaux maures ou negro-africains. Ces événements avaient opposé Dakar et Nouakchott, provoquant l'exode ou l'expulsion de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Une manière pour le régime Ould Taya de traiter la question épineuse des relations entre les Maures et les négro-africains mauritaniens. Mais les conflits de pouvoir lui opposent d'autres adversaires au plan interne, et même à l'intérieur de son propre clan. Cela n'est pas indifférent à l'alignement du président Ould Taya sur l’axe Washington-Tel Aviv, au détriment du nationalisme arabe, qui l’avait vu s’engager en faveur de l’Irak de Saddam Hussein pendant la guerre du Golfe de 1991.
Le 28 octobre 1999, la Mauritanie a été le troisième pays arabe, derrière l’Egypte et la Jordanie, à nouer des liens diplomatiques avec Israël, avec échange d’ambassadeurs et autres bons procédés économico-militaires. Cela avait suscité l’émoi de la frange de l’opinion publique assez audacieuse pour s’exprimer publiquement. Après le 11 septembre 2001, Nouakchott a reçu les félicitations américaines pour sa chasse au terrorisme, avec l'interpellation de membres supposés d’Al Quaïda. A cette occasion, une homonymie a valu des sueurs froides à un Maure du clan Ould Taya dont le nom était affiché sur les listes noires américaines, une erreur corrigée suffisamment tard pour valoir rappel à l'ordre présidentiel.
Tout récemment, Nouakchott a donné de nouveaux gages tout en faisant le ménage dans les rangs de son opposition «islamiste» mais aussi baasiste (nationaliste panarabiste). Le 1er mai 2003, une vague d’arrestation a frappé ces deux mouvances. Le 6 mai, deux ministres suspectés d’appartenir à la première ont été limogés. Le 3 juin, 32 personnes ont été inculpées «de complot contre l’ordre constitutionnel» pour cause d’islamisme. Onze ont été relâchées deux jours plus tard. Enfin, à l'occasion de ce dernier "complot" militaire, les autorités ont accusé le colonel déchu Salah Ould Hnana, un homme de réputation «baasiste». Ces derniers temps, Nouakchott a constamment brandi le chiffon vert de l’islamisme, assurant que «des attentats ont été déjoués en 1998 grâce, notamment, à la vigilance des citoyens et à leur coopération active avec les services de sécurité» . Selon le Premier ministre, le terrorisme religieux constituerait néanmoins «un danger rampant», certains de ses partisans essayant de «faire de la Mauritanie un terrain de rechange après leur échec dans d’autres contrées».
Le régime a promis de faire toute la lumière sur les événements commencés ce 8 juin. Mais dans le climat politico-militaire extrêmement pesant qu’ils connaissent depuis des années, les Mauritaniens répugnent pour le moment à se perdre en conjonctures. D’ailleurs, les violents combats des dernières 24 heures n’avaient encore donné lieu à aucun bilan humain lundi. Mais on sait qu’ils ont fait de nombreuses victimes civiles. Des pillards inopinément sortis de prison en ont fait d’autres. Pour le reste, la seule certitude, c’est que la grande muette a parlé, avec ses fusils, dans ce qui apparaît comme une tentative de coup d’Etat militaire, une révolution de caserne, pour ne pas dire de palais, apparemment ratée.
par Monique Mas
Article publié le 09/06/2003