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Mauritanie

Jeu de chaises musicales à Nouakchott

Plus d’un mois après la tentative de coup d’Etat du 8 juin, les têtes politiques continuent de changer en Mauritanie. Volonté de rompre avec l’équipe en place au moment des événements, mais aussi nominations stratégiques qui doivent aider le chef de l’Etat Ould Taya à préparer les élections présidentielles du 7 novembre.
De notre correspondante à Nouakchott


C’est l’homme qui connaît les secrets du président Maaouiya ould Taya, un compagnon de l’ombre mais de confiance depuis 25 ans. Louleid ould Weddad, secrétaire général du Parti républicain démocratique et social, le parti au pouvoir, vient pourtant d’être remercié en début de semaine. Il est remplacé par Boulah ould Megueya. Plusieurs fois ambassadeur ce dernier n’a pas eu de fonctions politiques directes dans le pays depuis 7 ans. «C’est le moins inféodé à un groupuscule connu de façon systématique», selon un député du parti au pouvoir, autrement dit le moins marqué par son appartenance à une tribu ou à une région.

En coulisse on lui prête la mission de recadrer et de canaliser les différents courants du parti, parfois jugés trop virulents, et de donner un nouveau souffle à la gestion du PRDS. Il s’agit aussi d’un retour aux sources car l’homme était déjà secrétaire général du parti pendant quatre ans, au tout début de sa création, il y a douze ans. Il fait partie de ceux qui ont donné une existence au PRDS.

Ce changement politique est représentatif de ce qui se passe en Mauritanie depuis la tentative de déstabilisation du pouvoir le 8 juin. Le départ de celui qu’on appelle ici Louleid intrigue. Limogeage, mise à l’écart temporaire, réel tournant politique ou remaniement tactique préélectoral ? Certes Louleid vient de quitter le parti, certes il n’a pas le soutien d’une partie de la population qui le diabolise et met en avant certaines de ses pratiques douteuses contraires à l’intérêt général. Mais Louleid ould Weddad «comprend le président, et a sa part de pouvoir» dit-on. Ici personne ne serait surpris de le voir revenir dans quelques mois comme ministre.

Et c’est le cas de beaucoup de proches écartés ces derniers jours. Mis à part ceux dont le départ semble lié directement à la tentative de putsch, comme la secrétaire d’Etat à la condition féminine Mintata Mint Hedeid et le président de la cour suprême Mahfoud ould Lemrabott, les autres personnalités civiles écartées pourraient simplement s’être pliées à de petits arrangements politiques temporaires.

Un descendant d’esclaves Premier ministre

Des questions se posent également au sujet de la nomination récente d’un nouveau Premier ministre et de son gouvernement en début de semaine. Sghaïr ould M’Bareck est un haratine, un descendant d’esclave et c’est la première fois qu’un haratine accède à la fonction de Premier ministre. Une nouveauté qui pourrait apporter au président l’assurance d’un ralliement des haratines lors des prochaines présidentielles, mais rien n’est moins sûr. Sghaïr, ancien ministre de la Justice, n’est pas un activiste de sa cause et certains doutent qu’il soit l’acteur de grands changements. Sa crédibilité est aussi entachée par le scandale du baccalauréat en juin 2000 lorsqu’il était ministre de l’Education : des sujets distribués dans les rangs du pouvoir et très vite vendus et photocopiés dans les boutiques de la capitale avant les épreuves. Sa fille était candidate au bac cette année là. Il a été remercié quelques mois plus tard. Pionnier du PRDS il est néanmoins originaire de l’Est du pays, une région clé pour le président, c’est en effet là que réside la plus grand partie de la population en dehors de la capitale. Ses origines et son appartenance à la grande tribu Laghlal pourrait expliquer son arrivée au poste de Premier ministre.

Pour le reste le gouvernement formé le lendemain de sa nomination ne marque pas de réel tournant. Si les ministres de l’Intérieur Lemrabott Sid Mahmoud et des Finances Boydiel ould Houmedi quittent le gouvernement, la plupart des autres sont reconduits. Ils changent parfois de poste comme l’ancien ministre de la Santé Mohamed Mahmoud ould Jaafar qui passe à la Défense, le ministre de l’Equipement Diabira Bakary qui prend la casquette de la Justice et l’ancien ministre du Développement rural Ba Bocar Soulé qui devient ministre de l’Equipement.

D’autres changements sont encore possibles, notamment au sein des administrations et notamment au ministère de l’Intérieur dont dépendent les wali, les gouverneurs des régions. Reste que la logique de ce jeu de chaise musicale est pour l’heure hermétique aux yeux de nombreux mauritaniens qui ne doutent pas, cependant, qu’il y en ait une. Aucune explication officielle n’a en tout cas été fournie. Les autorités ne reconnaissent pas non plus que le parti du président ait pu être ébranlé. «Le parti est toujours prêt à affronter les situations avec calme et sérénité, il est toujours au rendez-vous des moments difficiles», affirme un porte-parole du PRDS. La convocation d’une session extraordinaire du Conseil national du parti présidée par le chef de l’Etat en début de semaine, laisse pourtant penser qu’il y avait bel et bien nécessité de remettre les pendules à l’heure dans les rangs du pouvoir.



par Marie-Pierre  Olphand

Article publié le 13/07/2003