Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Etats-Unis

Gonzales soumis à la question par les sénateurs

Alberto Gonzales face à la commission du Sénat pour les affaires judiciaires.(Photo : AFP)
Alberto Gonzales face à la commission du Sénat pour les affaires judiciaires.
(Photo : AFP)
Le conseiller juridique de la Maison Blanche, Alberto Gonzales, a été choisi par le président Bush pour remplacer le ministre de la justice John Ashcroft. Il a été criblé de questions sur les justifications juridiques de la torture qui ont émané de l’administration américaine, mais il devrait être confirmé par le Sénat.

De notre correspondant à New York.

Drôle de carte de vœux, le jour d’une audition devant le Congrès. En haut à gauche de l’encart figure une photo de Alberto Gonzales en costume cravate, dans une pose très officielle. En dessous, une image de la prison d’Abou Ghraib bien connue : un prisonnier avec une cagoule noire sur la tête, debout sur un seau, bras écartés, fils électriques attachés aux doigts. «Vous ne connaissez peut-être pas Alberto Gonzales, mais nous sommes certains que vous reconnaîtrez les fruits de son travail», clame la publicité, financée par Amnesty International et l’organisation de gauche MoveOn.org. Publié dans le New York Times, l’encart résume les critiques qui se concentrent sur l’homme choisi par le président Bush pour devenir le prochain ministre de la justice américain. Alberto Gonzales est accusé par les organisations de défense des droits de l’Homme et les ténors démocrates d’être, en tant que conseiller juridique de George Bush, l’architecte d’une politique juridique qui a ouvert la voix aux abus des prisonniers de l’armée américaine en Irak, en Afghanistan, et sur la base américaine de Guantanamo Bay à Cuba.

Face à la commission du Sénat pour les affaires judiciaires – un prélude à sa confirmation par le sénat – Alberto Gonzales a été sommé de s’expliquer. «Les positions juridiques que vous avez défendues ont été utilisées par l’administration, les militaires et la CIA pour justifier la torture et les violations de la convention de Genève par des personnels militaires et civils », a lancé Edward Kennedy, le sénateur démocrate du Massachusetts. Le « juge » – le surnom de Gonzales à la Maison Blanche – est l’auteur d’un mémo devenu célèbre, dans lequel il prenait parti début 2002 contre l’application des conventions de Genève au conflit en Afghanistan, alors même que le secrétaire d’État Colin Powell réclamait l’application des conventions. Selon lui, la « guerre contre la terreur » changeait la donne. «À mon sens, ce nouveau paradigme rend obsolète les strictes limitations de Genève sur l’interrogation des prisonniers ennemis et rend pittoresques certaines de ses clauses», ironisait-t-il. Par la suite, il avait supervisé la production d’une réflexion juridique toute entière tournée vers l’évitement des lois contre la torture, quitte à redéfinir le terme de manière extrêmement restrictive.

L’un des conseillers les plus fidèles de Bush

 Il est depuis apparu clairement que des méthodes d’interrogation équivalentes à de la torture avaient été utilisées de manière routinière en Irak, en Afghanistan et à Guantanamo Bay, en toute connaissance de cause de la hiérarchie militaire, et contre l’avis du FBI qui s’alarmait de ces méthodes contraires à ses pratiques. «La torture et les mauvais traitements ne seront pas tolérés par cette administration» a promis jeudi Alberto Gonzales, qui s’est engagé à faire respecter les conventions internationales, y compris les conventions de Genève « lorsqu’elles s’appliquent». Mais selon lui, sa décision de ne pas accorder les privilèges de ces conventions à des personnes qui ne respectent pas le droit de la guerre était la bonne décision. Il s’est également dit « dégoûté » par les images d’abus dans la prison irakienne d’Abou Ghraib. Sous le feu des questions, il a toutefois refusé de se démarquer des définitions excessivement restrictives des actes qui sont considérés comme étant de la torture par l’administration Bush.

«Les troupes américaines et nos citoyens sont plus en danger » à cause des politiques de l’administration qui sont « équivalentes à de la torture», a dénoncé Patrick Leahy, sénateur démocrate du Vermont. Plusieurs grands journaux américains ont également pris position contre Alberto Gonzales.  «Il ne partage peut-être pas le zèle de son prédécesseur lorsqu’il s’agit de traquer des réalisateurs de films classés X ou des malades du cancer qui fument de la marijuana, mais en tant qu’avocat en chef du président, il a été tout aussi dangereux », estime le Los Angeles Times. «En tant que principal architecte de la guerre contre la terreur du président Bush, avec pour précepte que la fin justifie les moyens, Gonzales a poussé pour justifier la torture (…) et a promu des tribunaux militaires qui rappellent les procès-spectacles de Staline ». «Le Sénat devrait demander si M. Gonzales est capable de donner à M. Bush un avis juridique dépassionné, et non –comme il semble l’avoir fait par le passé– dire au président ce qu’il veut entendre», a pour sa part suggéré le Washington Post.

À 49 ans, Alberto Gonzales est un des conseillers les plus fidèles du président Bush – et l’un des rares à s’entretenir avec lui en privé. Ses origines sociales ont été saluées par plusieurs sénateurs démocrates sceptiques quant à sa nomination : issu d’une famille hispanique pauvre de 8 enfants, il a été élevé dans la banlieue de Houston dans une maison sans eau chaude et sans téléphone. Il a fait de brillantes études avant de devenir avocat, puis de rejoindre le clan Bush lorsque « W » n’était que gouverneur du Texas. Il fut sévèrement critiqué pour ses conseils, jugés peu sérieux, concernant plusieurs dizaines de demandes de grâce de condamnés à mort rejetées par George W. Bush.

La loyauté de Alberto Gonzales envers le président prend parfois le pas sur son respect des lois, affirment ses détracteurs. Sa confirmation par le Sénat majoritairement républicain ne fait toutefois guère de doutes. Il pourrait aussi devenir le premier juge hispanique de la Cour suprême si un poste devenait vacant dans les quatre prochaines années.


par Philippe  Bolopion

Article publié le 07/01/2005 Dernière mise à jour le 07/01/2005 à 14:36 TU