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Irak

La coalition discréditée par ses tortionnaires

Ce simulacre de torture à l'électricité, diffusé par CBS, montre un détenu cagoulé, forcé de se tenir debout sur une caisse, les mains reliées à des fils électriques: les Américains qui l'interrogeaient lui disaient que s'il tombait sur le sol, il serait instantanément électrocuté. 

		(Photo : DR)
Ce simulacre de torture à l'électricité, diffusé par CBS, montre un détenu cagoulé, forcé de se tenir debout sur une caisse, les mains reliées à des fils électriques: les Américains qui l'interrogeaient lui disaient que s'il tombait sur le sol, il serait instantanément électrocuté.
(Photo : DR)
La multiplication des rapports, fuites et témoignages rend difficile à accréditer la thèse des autorités américaines selon laquelle les tortures commises sur les prisonniers irakiens serait le fait d’une poignée de criminels dévoyés. Les langues se délient et c’est tout un système de renseignement basé sur les exactions qui est en train d’apparaître, causant une onde de choc aux conséquences incalculables.

Depuis la fin avril, l’affaire de la révélation des tortures infligées par les soldats américains, puis britanniques, de la coalition sur leurs prisonniers irakiens provoquent une onde de choc aux conséquences encore imprévisibles mais d’une gravité exceptionnelle pour la politique poursuivie par Washington et Londres tant au Proche qu’au Moyen-Orient. D’autant que de l’aveu même du secrétaire américain à la Défense, qui a présenté ses excuses le 7 mai, il existe d’autres photos et vidéos inédites «pas belles à voir».

La presse internationale, mais également les classes politiques et tout ce que les relais d’opinion comptent de porte-parole sont déchaînés après avoir pris connaissance de l’existence du rapport du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sur la situation des prisonniers irakiens détenus par les soldats américains. Vendredi, un document du CICR commençait à filtrer, révélant que les mauvais traitements infligés par les soldats américains à leurs prisonniers irakiens étaient «assimilables à des tortures» et étaient érigés en «un vaste système». Et l’organisation internationale déclarait son inquiétude sur les centres de détention tenus par les Britanniques.

Viols et passages à tabac

Le rapport du CICR fait part de sévices anciens, remontant à l’année dernière. Il a été rédigé et transmis aux administrations concernées au mois de février, ce qui renforce la colère des responsables politiques tenus dans l’ignorance des faits. Dans un rapport jusque-là tenu secret, aujourd’hui en circulation dans la presse, l’armée américaine affirme également le caractère systématique des tortures physiques et psychologiques pratiquées dans la fameuse prison d’Abou Ghraib, notamment des viols et passages à tabac.

Dimanche, l’ancien secrétaire britannique aux Affaires étrangères, Robin Cook déclarait attendre dès lundi une déclaration à la chambre des Communes (le parlement britannique). Robin Cook est indigné. «Je trouve intolérable que tout ce que nous savons de ce rapport ne sorte en fait que d’une fuite à Washington», a-t-il affirmé. Il souhaite que son gouvernement publie le rapport du CICR. La colère britannique est alimentée par les révélations du quotidien The Guardian selon lequel les brutalités commises entre dans le cadre d’une dynamique visant à briser la résistance des prisonniers aux interrogatoires et dont les humiliations à caractère sexuel, perpétrées par du personnel féminin pour en accentuer le caractère humiliant, sont l’une des dimensions. Selon le quotidien, ces méthodes sont enseignées par des spécialistes britanniques et américains du renseignement dans un centre commun installé à Ashford, dans le sud-est de l’Angleterre. Une fois formés et démobilisés, ces «spécialistes» des interrogatoires se mettraient à leur propre compte au service des forces de la coalition.


Des membres d'associations humanitaires brandissent des photos d'Irakiens torturés par des soldats britanniques et américains, lors d'une manifestation contre la coalition à Istanbul.  

		(Photo : AFP)
Des membres d'associations humanitaires brandissent des photos d'Irakiens torturés par des soldats britanniques et américains, lors d'une manifestation contre la coalition à Istanbul.
(Photo : AFP)

«Des tortures dans toutes les bases américaines»

Selon l’hebdomadaire français le Journal du Dimanche, publié ce 9 mai, les tortures continuent. «J’ai eu des informations sur de nouveaux sévices commis contre des prisonniers encore cette semaine», déclare Abdul Basset Turki, démissionnaire en avril du Conseil intérimaire irakien, où il était en charge des droits de l’Homme. Selon lui, les violations «ont commencé dès les tout premiers jours» de la présence de la coalition en Irak. Il déclare au journal français avoir fait part de son inquiétude à l’administrateur civil américain Paul Bremer, «mais j’ai vite compris qu’il n’avait pas le pouvoir de demander aux militaires de changer leurs méthodes», déclare l’ancien l’ex-membre du Conseil. Selon lui, «il y a des tortures dans toutes les bases américaines».

Le scandale provoqué par cette affaire soulève une vague de protestations internationales jusque dans les milieux officiels. «Ces tortures déshonorent la coalition dont nous faisons partie et qui est censée contribuer à la renaissance d’un Irak libre», déclare le chef de la diplomatie italienne. Dans le monde arabe, c’est un tollé unanime. Le Vatican évoque un scandale qui «offense Dieu lui-même». L’action américano-britannique et le discours de restauration démocratique qui l’accompagnait sont d’autant plus profondément discrédités qu’il apparaît que les responsables de ces exactions ne sont pas des électrons libres mais des soldats disciplinés et méthodiques qui répondent à des ordres, dans l’ignorance ou le mépris total des conventions de Genève (qui protègent les prisonniers de guerre).

Le responsable des prisons de la coalition en Irak, le général américain Geoffrey Miller, a déclaré que la fermeture de la prison d’Abou Ghraib, où des détenus irakiens ont subi des sévices, n’était pas à l’ordre du jour.

Sur le terrain, la résistance irakienne semble galvanisée par le discrédit qui pèse désormais sur l’armée d’occupation. Les affrontements meurtriers entre la coalition et la milice chiite radical ont gagné au cours de ces vingt-quatre dernières heures le sud du pays. Des combats ont notamment éclaté samedi à Bassorah et Amara, dans le secteur tenu par les soldats britanniques, faisant cinq morts parmi les miliciens chiites et neuf blessés par les britanniques.

«Images destructrices»

Commentant le scandale des soldats tortionnaires, le secrétaire d’Etat américain Colin Powell a reconnu vendredi que «ces images sont très destructrices pour nos efforts de politiques étrangères». En effet, le dossier du Proche-Orient subit de plein fouet le contre-coup de ces révélations. La politique américaine, déjà suspecte de partialité pro-israélienne, est durablement discréditée dans la région. Les autorités d’Israël ne peuvent plus se prévaloir du soutien de Washington sans renforcer la colère du monde arabe. Le Premier ministre israélien, qui vient de subir un échec au sein de son propre parti après le rejet de son plan d’évacuation de Gaza, est désormais très isolé sur la scène international.

Ariel Sharon a annoncé dimanche l’annulation d’une visite à Washington prévue de longue date et programmée initialement pour le 14 mai. Son plan avait reçu un appui sans réserve de l’administration américaine qui provoqué la consternation des capitales arabes qui l’avaient interprété comme une remise en cause de la «feuille de route» (le plan de règlement international parrainé par les Etats-Unis, la Russie, l’Union européenne et l’Onu) bien que la Maison Blanche s’en soit défendue. M. Sharon a annoncé qu’il mettrait au point d’ici trois semaines une nouvelle version de son plan de séparation.


par Georges  Abou

Article publié le 09/05/2004 Dernière mise à jour le 09/05/2004 à 14:33 TU

Audio

Nada Doumani

Porte-parole de la délégation CICR en Irak

«Certains mauvais traitements relèvent de la pratique de la torture.»

[09/05/2004]

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