Irak
Accueil glacial pour Rusmsfeld à Abou Ghraïb
(Photo : AFP)
Sept heures et demie pour convaincre qu’il est toujours aux commandes du Pentagone. Le voyage effectué en Irak par Donald Rumsfeld, sur la sellette depuis que le scandale des tortures infligées dans les prisons sous contrôle américain a éclaté, a pris des allures de défi à l’encontre de ceux, nombreux, qui réclament en vain sa tête. Plus soucieux que jamais de montrer qu’il est en mesure d’assumer sa mission, le secrétaire à la Défense, accompagné du fidèle chef d’état-major interarmes, Richard Myers, est en effet venu constater sur le terrain l’évolution de la situation. «Je suis venu écouter les responsables en charge au quotidien des opérations concernant les prisonniers», a-t-il affirmé. «Nous sommes soucieux de voir les détenus bien traités, de voir nos soldats se comporter correctement et nous voulons que la chaîne de commandement fonctionne bien», a-t-il ajouté.
Même s’il s’en défend –«si quelqu’un pense que je suis en Irak pour éteindre un feu, il se trompe», a-t-il notamment affirmé–, Donald Rumsfeld est à n’en pas douter venu à Bagdad pour tenter de calmer la tempête au coeur de laquelle se trouve l’administration Bush. Après s’être entretenu avec plusieurs responsables de la coalition, le secrétaire à la Défense s’est ainsi rendu à la prison d’Abou Ghraïb, le lieu d’où le scandale est parti. L’accueil glacial qui lui a été réservé par les quelque 3 000 détenus semblait à la mesure du sentiment de colère qui prévaut aujourd’hui dans le monde arabo-musulman, choqué par la diffusion des photos de prisonniers torturés et humiliés. Donald Rumsfeld a effectué sa tournée d’une demi-heure à Abou Ghraïb dans un bus blindé sous le regard impassible des prisonniers maintenus à distance par des barbelés. Certains n’ont pas hésité à tendre le bras, le pouce tourné vers le sol, en signe de désapprobation. D’autres, plus provocants, l’ont défié en brandissant un drapeau irakien.
Cette visite de quelques heures en Irak n’avait donc rien de bien glorieux pour Donald Rumsfeld toujours attaché à défendre contre vents et marées la thèse d’actes isolés. Il a en effet répété que l’affaire d’Abou Ghraïb était le fait d’une poignée de soldats qui avaient «trahi les valeurs et souillé la réputation de notre pays».
Kerry entre dans la batailleTous ces efforts du secrétaire à la Défense n’ont semble-t-il pas convaincu la minorité démocrate, en tête des critiques les plus virulentes contre la politique menée en Irak par l’administration Bush. Le sénateur Edward Kennedy a ainsi estimé que la visite de Rusmfeld à Abou Ghraïb venait trop tard pour changer quoi que ce soit. «Ce voyage aurait dû être effectué en janvier dernier lorsque la Croix-Rouge a informé le Pentagone de ce qui se passait», a-t-il assené ajoutant que les Etats-Unis étaient désormais devenus «la nation la plus haïe au monde à cause de ce désastre survenu dans les prisons».La polémique est en outre loin d’être terminée puisque de nouveaux clichés ont été présentés aux membres du Congrès, provoquant des réactions violentes aussi bien chez les démocrates que chez les républicains.
Le chef de la majorité républicaine au Sénat, Bill Frist, a ainsi parlé de photos «écoeurantes»bien pires que celles montrées jusqu’à présent au public. «Il y avait des scènes horribles. J’avais l’impression d’une descente aux enfers et ce qui est déplorable c’est que c’était de notre fait», s’est pour sa part indigné le sénateur démocrate Richard Durbin.
Intervenant pour la première fois véritablement dans le débat, le rival de George Bush à la présidentielle de novembre a dénoncé les «graves erreurs». Reprenant les termes du secrétaire d’Etat Colin qui a reconnu «une faille dans la chaîne de commandement militaire», John Kerry a ainsi affirmé que l’administration Bush avais «commis une grave erreur en faisant montre de laxisme dans toute la chaîne de commandement». Mettant ouvertement en doute la thèse du Pentagone concernant des actes isolés, le candidat démocrate s’est dit «convaincu que tout cela n'était pas arrivé uniquement parce que six ou sept personnes en ont décidé ainsi». «Cela s'est produit en raison de la manière dont les interrogatoires ont été menés et du laxisme en matière de commandement de haut en bas», a-t-il insisté.
Portant le coup de grâce à la politique menée par son rival, l'ancien héros de la guerre du Vietnam a dénoncé les sévices infligés aux prisonniers. «Je n'aurai jamais jeté aux orties les obligations découlant des conventions de Genève. Pourquoi ? Parce que je sais en tant qu'ancien combattant, que si j'avais été fait prisonnier, j'aurai voulu que notre morale soit sauve, respectueuse des conventions de Genève», a-t-il déclaré.par Mounia Daoudi
Article publié le 14/05/2004 Dernière mise à jour le 14/05/2004 à 16:06 TU