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Irak

L’accablant rapport de la Croix-Rouge

Pour qui mettrait encore en doute la réalité et le nombre des sévices infligés par les soldats américains aux prisonniers irakiens, le rapport de la Croix-Rouge internationale, publié par le Wall Street Journal, lève le voile sur la systématisation des mauvais traitements dans les centres de détention dirigés par la coalition. Ce document de 24 pages, qui n’épargne ni les forces américaines ni les forces britanniques, détaille les méthodes utilisées dans quatorze prisons pour faire parler les détenus qui vont de l’humiliation au passage à tabac. A peine plus épargné par la Croix-Rouge, le gouvernement de Tony Blair doit faire face aux accusations d’Amnesty international selon lesquelles des civils irakiens auraient été tués par des soldats britanniques alors qu’ils ne représentaient aucune menace.

La force du rapport de la Croix-Rouge réside sans doute dans le fait que les délégués de l’organisation internationale qui ont visité plusieurs centres de détention dirigés par la coalition ont constaté de leur propres yeux les mauvais traitements infligés aux prisonniers irakiens. Ils ont notamment découvert, révèle le document, «la pratique consistant à laisser les prisonniers entièrement nus dans des cellules en béton totalement vides et dans l’obscurité totale et semble-t-il pendant plusieurs journées consécutives». Ce constat, et bien d’autres encore révélés grâce aux témoignages et à l’examen médical de certains détenus, ont poussé la Croix-Rouge à interrompre un temps ses visites dans les prisons irakiennes et demander des explications aux autorités concernées. La réponse est à elle seule révélatrice de la systématisation des mauvais traitements puisque les responsables de la coalition ont indiqué que ces pratiques faisaient «partie de la procédure» d’interrogatoire.

Les conclusions du rapport de la Croix-Rouge sont d’ailleurs sans ambiguïté sur le sort réservé aux détenus irakiens. «Les personnes privées de leur liberté risquent d’être soumises à des contraintes physiques et psychologiques, équivalent dans certains cas à la torture, dans les premières phases de leur détention», explique le document qui révèle parallèlement qu’entre 70% et 90% des détenus sont arrêtés par erreur, la plupart lors de rafles nocturnes particulièrement brutales.

Le rapport de la Croix rouge, publié lundi par le Wall Street Journal contre le gré de l’organisation internationale, détaille en outre une douzaine de techniques de mauvais traitements appliqués d’«une façon systématique» à certaines personnes arrêtées en relation avec des atteintes présumées à la sécurité ou suspectées d’avoir une valeur sur le plan du renseignement afin d’obtenir leurs aveux. Ces détenus sont soumis, révèle le rapport, à toutes sortes d’exactions comme le fait d’avoir la tête recouverte d’un sac pendant deux à quatre jours, d’être menotté de façon si serrée que les dommages physiques sont visibles longtemps après, d’être battus avec des objets durs dont des fusils et des pistolets ou encore de recevoir des coups de poings, des coups pieds et de genoux portés en diverses parties du corps.

Les autorités de la coalition alertées

Les délégués de la Croix-Rouge ont également dénoncé les humiliations d’ordre sexuel qui consistaient à laisser des détenus nus, à les isoler dans le noir ou encore à les exhiber la tête recouverte de sous-vêtements féminins. Ils ont pu également constater que plusieurs prisonniers souffraient de troubles de la concentration, de la mémoire et de l’expression, d’anxiété, de comportements anormaux et de tendances suicidaires. «Ces symptômes, estiment les médecins de l’organisation internationale, semblent avoir été provoqués par les méthodes et les durées des interrogatoires».

La Croix-Rouge affirme en outre dans son rapport avoir, depuis le début de l’intervention américano-britannique en Irak, alerté les autorités de la coalition sur ces mauvais traitements sans qu’aucune mesure ne soit prise pour l’amélioration des conditions de détention dans les prisons irakiennes. Et le rapport de souligner: «cela semble indiquer que le recours à des mauvais traitements n’est pas exceptionnel mais pourrait être considéré comme une pratique tolérée par les forces de la coalition». Ce document, qui ne fait que confirmer ce que montre les photos de sévices diffusées depuis une dizaine de jours dans la presse, balaie la thèse défendue par l’administration Bush selon laquelle les abus révélés ne sont que des incidents isolés qui ne reflètent en rien le comportement général des troupes américaines en Irak.

Mais si la plupart des sévices décrits dans le rapport de la Croix-Rouge semble s’être déroulés dans des prisons dirigées par les forces américaines, l’organisation internationale n’absout pas pour autant les troupes britanniques. Le rapport décrit notamment le cas de soldats contraignant des prisonniers irakiens à s’agenouiller et leur piétinant la nuque. Cette pratique aurait même entraîné la mort d’un des détenus. Mais plus gênant pour le gouvernement de Tony Blair est le rapport publié par Amnesty international. L’organisation de défense des droits de l’Homme y accuse des soldats britanniques d’avoir tué au moins trente-sept civils irakiens qui ne présentaient pourtant aucune menace. Elle cite le cas d’une fillette de huit ans abattue d’une balle dans la poitrine alors qu’elle se tenait, selon un témoin, «au bout d’une impasse distante de 60 à 70 mètres d’un véhicule blindé de l’armée britannique». Selon cet homme, cité par Amnesty international, «un soldat a visé et tiré un coup de feu qui a atteint la petite Hanane dans le ventre».

L’organisation dénonce l’attitude de l’armée britannique qui dans nombre des cas cités n’a pas pris la peine d’ouvrir une enquête. «Et dans les cas où des enquêtes ont été ouvertes, la police militaire britannique a agi avec le plus grand des secrets, ne fournissant que très peu d’informations, sinon aucune, aux familles des victimes sur la progression ou la conclusion de ses investigations», dénonce Amnesty dans son rapport. Ce nouveau document qui met en cause directement les autorités britanniques alertées selon l’organisation depuis plusieurs mois sur ces exactions, met un peu plus la pression sur le gouvernement Blair dont la cote de popularité est au plus bas.



par Mounia  Daoudi

Article publié le 11/05/2004 Dernière mise à jour le 11/05/2004 à 16:36 TU

Audio

Nada Doumani

Porte-parole de la délégation CICR en Irak

«Certains mauvais traitements relèvent de la pratique de la torture.»

[09/05/2004]

Bernard Bajolet

Ambassadeur de France à Bagdad

«En Irak, les Français sont probablement «la mission» qui a les contacts les plus large. Nous parlons à tout le monde et la seule limitation, c’est que nous ne parlons pas aux gens qui portent des armes.»

[11/05/2004]

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