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Médias

Un capitaliste à Libération

L'homme d'affaires Edouard de Rothschild (G) entre à 37% dans le capital du quotidien <EM>Libération.</EM> Le directeur du journal Serge July (D) garderait son poste jusqu'en 2012.(Photo : AFP)
L'homme d'affaires Edouard de Rothschild (G) entre à 37% dans le capital du quotidien Libération. Le directeur du journal Serge July (D) garderait son poste jusqu'en 2012.
(Photo : AFP)
Libération va mal et n’a pas d’autre choix que d’accepter l’entrée dans son capital d’un grand de la finance française. Certains craignent que l’esprit des origines disparaisse.

Edouard de Rothschild est le fils du baron Guy de Rothschild, une dynastie dans laquelle on est banquier de père en fils. Edouard, qui porte le prénom de son grand-père, a commencé par faire son droit, puis un MBA en finance à New York. En 1987, il entre dans la banque Rothschild et Cie créée par son frère David. Au bout de quelques années, il devient son associé. Après quelques lustres, Edouard prend une année sabbatique, il a « envie de réfléchir ».

Du côté des Rothschild, Edouard est considéré comme le gauchiste de la famille. Dans les cercles parisiens, on le décrit comme un dandy, « un homme aux idées claires, un homme direct et ouvert, très sympathique ». Il possède des chevaux de course et d’autres qu’il monte dans les concours hippiques. Ami de Nicolas Sarkozy, Edouard de Rothschild revendique des amitiés à gauche comme à droite mais « ne fait pas de politique ».

« Un oui de raison »

Edouard de Rothschild va donc entrer dans le capital de Libération. Le financier arrive avec 20 millions d’euros alors que l’endettement du quotidien est estimé à 18 millions d’euros. Edouard de Rothschild devient l’actionnaire principal du journal avec 37% des parts. Jusqu’à présent, ce sont les salariés qui avaient la majorité avec 36,4% du capital. Ces derniers ont finalement dit oui à l’entrée du financier dans le capital du journal, endetté : 161 oui sur 252 votants et 81 non. L’issue du scrutin était incertaine car le syndicat SUD est majoritaire chez les journalistes, eux-mêmes majoritaires chez les salariés avec 230 cartes de presse sur 370 salariés. SUD avait d’abord appelé à voter contre l’arrivée d’Edouard de Rothschild alors que le Syndicat national des journalistes (SNJ) avait appelé à un « oui de raison ».

Le oui remporte tout de même une victoire assez courte, ce qui montre que l’arrivée de l’homme d’affaires ne suscite pas l’enthousiasme au sein du personnel. Pour ne pas se heurter à un front du refus, Edouard de Rothschild s’est engagé à laisser à la Société civile des personnels de Libération (SCPL) sa minorité de blocage, ses droits de vote (33,34%). Le nouvel actionnaire a par ailleurs accepté de limiter ses propres droits de vote au conseil d’administration à 40% et il a affirmé qu’il n’interviendrait pas dans la politique éditoriale du journal.

Après le succès, vint le marasme

Tous les journaux français sont nés après la Seconde Guerre mondiale sauf Libération inventé, en 1973, par le philosophe Jean-Paul Sartre et un jeune militant maoïste, Serge July. Les deux hommes estiment alors que l’utopie post-soixante-huitarde a besoin d’un journal aux idées neuves et indépendantes n’ayant pas peur non plus d’une complicité plus directe avec les lecteurs. Petit à petit, Libération devient une institution. L’époque est bien finie où il était difficile de trouver ce quotidien chez les marchands de journaux en province.

Après le succès, vient le marasme. Avec sa sensibilité de gauche, Libération a du mal à coller aux années fric. Et les idées qui ont fait son succès ont été reprises ailleurs, le style est passé dans les mœurs. Le lectorat s’effrite, l’argent commence à manquer et en 1989, des actionnaires « historiques » entrent dans le capital du journal. C’est le groupe Com et Part, qui achète 20% des parts. Déjà, ce groupe est constitué de grandes entreprises et de personnes privées. Même Serge July, personnalité emblématique du quotidien, en devient actionnaire par le biais de ce groupement, même s’il ne possède pas directement des parts.

D’année en année, la diffusion du journal a régulièrement baissé pour atteindre à peine les 150 000 exemplaires vendus chaque jour aujourd’hui. On imagine le face-à-face entre le directeur et le financier qui vient sauver cette histoire de la déroute, tout en ayant l’envie, comme bien des patrons français, d’entrer dans ce monde de l’information. La fascination est peut-être réciproque entre ces deux personnages que tout, en principe, sépare.

Créer un nouveau groupe de presse

Même s’il faut enrayer le déclin du journal, les syndicats veulent rester vigilants. « Selon les termes de l’accord, Edouard de Rothschild peut, dès 2007, racheter les 10,8%  que le fonds d’investissement britannique 3i détient dans Libé et détenir ainsi près de 48 % du journal », remarque un syndicaliste.

Au moment où les lecteurs de Libération mais aussi du Monde se demandent pourquoi acheter un journal alors que les quotidiens gratuits leur tendent les bras, le nouvel actionnaire majoritaire a déjà annoncé son intention de baisser le prix unitaire de « Libé » à un euro. Edouard de Rothschild voudrait aussi créer un groupe de presse et regardait déjà du côté de Paris Turf que la Socpresse (groupe Dassault) ne devrait pas tarder à mettre en vente.


par Colette  Thomas

Article publié le 21/01/2005 Dernière mise à jour le 21/01/2005 à 17:06 TU