Mauritanie
Soulagement après le verdict
(Photo : AFP)
«On ne pouvait pas espérer mieux», «c’est le verdict presque idéal», «c’est bon pour le pays»... des commentaires inattendus ont salué la fin d’un long procès. Le verdict tant redouté a été rendu dans la matinée de ce jeudi, après deux jours de délibérations à peine, dans une caserne militaire balayée par un très fort vent de sable. Certaines femmes n’ont pas dormi dans l’attente de la sentence et plusieurs d’entre elles ont été prises de malaises dès l’annonce des premiers acquittements. Quelques-unes ont dû être expulsées de la salle d’audience, éprouvées aussi par deux mois et demi de voyages pénibles pour assister au procès.
Aucune condamnation à mort n’a été prononcée, contrairement à toutes les craintes nourries par le procureur qui avait requis 17 peines de mort et 49 peines de travaux forcés à perpétuité. Finalement le président du tribunal a rendu un verdict beaucoup plus clément même si quatre peines de prison à la perpétuité ont été décidées. Elles concernent l’ex-commandant Saleh ould Hannena et le capitaine Abderahmane ould Mini, deux des responsables du coup d’État manqué du 8 juin 2003 les seuls à avoir plaidé coupables à la barre, ainsi que deux putschistes en fuite, Mohamed ould Cheikhna et Mohamed ould Saleck.
Autre surprise, le grand nombre de libérations annoncées : 94 personnes ont été innocentées et 48 condamnées à 1 an et six mois, une durée équivalente à leur détention préventive. Donc au total 142 personnes devraient être libres dans les prochaines heures. Parmi les personnalités acquittées figurent les trois opposants Ahmed ould Daddah, président du Rassemblement des forces démocratiques, Mohamed Khouna ould Haidalla, ancien chef de l’État mauritanien, et Cheikh ould Horma, président d’un parti interdit par les autorités. Accusés d’avoir financés les putschistes, aucune preuve n’avait été présentée contre eux lors du procès.
Forte mobilisation internationalePlus d’une quarantaine de peines de prison ferme allant de 2 à 15 ans ont néanmoins été prononcées. L’opposant Ely ould Sneiba, porte-parole du mouvement radical l’Alliance patriotique, a été condamné à 5 ans par contumace, Moustapha ould Limam Chavi, conseiller du président burkinabé Blaise Compaoré, accusé d’avoir apporté un soutien financier et logistique aux putschistes en fuite a lui a été condamné à 15 ans par contumace.
Plusieurs avocats envisagent de se pourvoir en cassation pour leur client dans un délai de quinze jours même s’ils se sont sentis pour la plupart soulagés. Certains n’ont pas pu cacher leur émotion devant cette décision «inespérée», après un long procès difficile pour la défense.
Durant deux mois et demi les avocats ont dénoncé l’illégalité de la cour, composée de deux jurés militaires, et la violation de nombreuses règles de procédure pénale. Aucun témoin n’a été présenté par l’accusation, et aucune grande révélation n’a été faite car tous les accusés sauf deux ont plaidé l’innocence. Les responsabilités exactes concernant la mort chef d’état-major n’ont pas pu être déterminées et beaucoup de questions sont restées sans réponse après pourtant deux mois et demi d’audience.
Depuis le réquisitoire du procureur le 4 janvier, une forte mobilisation contre la peine de mort avait commencé. Les avocats et notamment ceux venus de l’étranger –Mali, Sénégal, France– ont largement plaidé pour la clémence afin d’apaiser la situation politique et sociale du pays. Un appel de plus de 20 barreaux français, belge et sénégalais a été lancé au président mauritanien Maaouya ould Taya, et plusieurs courriers ont été adressés à l’Élysée. L’Union européenne, partenaire important de la Mauritanie, notamment dans le domaine de la pêche a également alerté le gouvernement de Nouakchott. Ces dernières heures, l’ancien ministre de la Justice Robert Badinter a publié un communiqué afin de prier la Mauritanie de ne pas revenir en arrière, de ne «s’engager dans une voie abandonnée depuis 17 ans, celle du meurtre punissant les crimes politiques». Aucune condamnation à mort n’a en effet été exécutée depuis 1987 dans le pays.par Marie-Pierre Olphand
Article publié le 03/02/2005 Dernière mise à jour le 04/02/2005 à 08:35 TU