Constitution européenne
Chirac : «N’ayez pas peur !»
(Photo : AFP)
Le référendum n’est pas un plébiscite. N’en déplaise au général de Gaulle. A l’occasion du débat télévisé organisé avec 83 jeunes, trois animateurs pas politiques pour deux sous (Marc-Olivier Fogiel, Jean-Luc Delarue, Emmanuel Chain) et le journaliste Patrick Poivre d’Arvor, Jacques Chirac a tenté de convaincre les Français qu’il ne fallait pas réduire le référendum sur la Constitution européenne à un enjeu de politique intérieure. Et pour être limpide sur le sujet et couper court à toute supputation concernant ses intentions en cas de victoire du «non», il a précisé tout de suite qu’il ne démissionnerait pas. Revers ou pas revers, président il est (jusqu’en 2007), président il restera.
Drôle d’argument pour convaincre de voter «oui». Mais le fait que le débat ait tout de suite tourné autour des répercussions du référendum sur la politique intérieure française est révélateur de la difficulté des Français à se projeter dans les enjeux européens et à appréhender ce à quoi va servir ce nouveau texte constitutionnel. Cela a aussi montré les lacunes de la campagne en faveur du «oui». Jacques Chirac, rendu responsable du manque d’information dont souffrent les Français, a donc dû subir une première salve de questions sur le thème : une Constitution pour quoi faire ? Il y a répondu en expliquant que le traité était avant tout destiné à faire fonctionner l’Europe à 25 en établissant des «règles» et en affirmant des valeurs communes largement inspirées par celles que la France défend.
Le président est revenu à chaque fois qu’il l’a pu sur l’avancée que représente l’inscription dans la Constitution européenne d’une «série de grands principes qui incarnent les valeurs sociales auxquelles nous [Français] sommes attachés». Des principes qui garantissent de construire une «Europe humaniste» et non pas ultra-libérale. Jacques Chirac a ainsi essayé de combattre l’un des principaux arguments des partisans du «non» qui présentent la Constitution comme le texte de validation de l’entrée dans une Europe où les avancées sociales françaises seraient sacrifiées sur l’autel de l’ouverture des frontières et de la libéralisation des échanges.
Un président politique, des jeunes pragmatiquesL’argumentaire présidentiel sur ce thème, qui défend l’économie de marché reconnue comme «la plus productrice de richesses», tout en affirmant la nécessité d’empêcher une dérive ultra-libérale version «anglo-saxonne», s’est heurté au réalisme des jeunes venus à l’Elysée. Plusieurs d’entre eux ont placé le président devant ses contradictions en lui rappelant qu’il lui est difficile de faire croire que la Constitution qu’il défend offre des garanties sociales, alors que la politique que mène son gouvernement en France est ressentie justement comme trop libérale. Retour à la case départ et à la politique française. Un coup dans l’eau pour Jacques Chirac.
Tout le débat a été marqué par cette opposition entre un président politique et des jeunes pragmatiques. Les jeunes ont parlé vie quotidienne, ont demandé quel intérêt ils auraient à adhérer à une Europe dont ils ne perçoivent que les risques de délocalisation ou de chômage. Le chef de l’Etat a répondu en mettant en garde contre l’isolement de la France en Europe, en expliquant que «l’union fait la force» et que rejeter la Constitution ne permettrait pas d’améliorer la vie quotidienne des Français : «En affaiblissant la France, on ne règlera pas les problèmes, on les aggravera». Et de s’adresser aux agriculteurs en leur rappelant qu’une France politiquement faible en Europe ne pourrait continuer à leur garantir des aides aussi importantes que celles dont ils disposent actuellement, arrachées de haute lutte dans une négociation globale où Paris a pesé de tout son poids.
Face à l’évocation de nombreuses craintes par les jeunes, Jacques Chirac a manifesté son étonnement de voir la jeunesse aussi angoissée face à l’Europe et lui a lancé en reprenant la célèbre formule du pape Jean-Paul II : «N’ayez pas peur». N’ayez pas peur d’une Europe qui se porte bien, a-t-il rappelé, et ne mélangez pas les problèmes en faisant du référendum sur la Constitution européenne un exutoire. Malgré toutes les réticences exprimées par les Français et même si le «non» caracole en tête des sondages depuis quelques semaines, Jacques Chirac a affirmé qu’il ne regrettait pas d’avoir choisi de soumettre la ratification de la Constitution européenne à un référendum. Le président a déclaré que cela correspondait «à l’idée qu’il se fait de la démocratie» et que face à un «si grand» enjeu, «il fallait interroger tous les Français».
Jacques Chirac ne voulait pas un débat d’«initiés», il ne l’a pas eu. Le président a été confronté à des Français, des jeunes. Les a-t-il rencontrés et convaincus ? Peu importe les trois animateurs choisis pour conduire l’émission qui n’ont pas aidé à resserrer le débat. Ils ont fait ce qu’ils savent faire et rien d’autre. C’est d’ailleurs vraisemblablement ce qui était souhaité : donner un caractère de proximité à ce «show» sur la Constitution plutôt que faire la énième émission politique rébarbative. De ce point de vue, l’objectif a sûrement été atteint. Reste à savoir si cela était satisfaisant et correspondait aux attentes des Français. Les sondages des prochains jours le diront.par Valérie Gas
Article publié le 15/04/2005 Dernière mise à jour le 21/04/2005 à 14:44 TU