Grande-Bretagne
Blair, morne favori des élections
(Photo: AFP)
De notre correspondante à Londres
Les électeurs britanniques se rendent aux urnes jeudi prochain pour renouveler la Chambre des Communes. Ces législatives, à en croire les sondages, devraient être remportées par le Parti travailliste et permettre au Premier ministre Tony Blair de rempiler pour un troisième mandat, même si l'homme est critiqué au sein même du Labour et que son engagement en Irak l’a sérieusement déconsidéré aux yeux de l’opinion publique.
Il est vrai que huit ans après avoir soufflé le pouvoir aux Tories après l’ère Thatcher et l’intermède Major, Tony Blair est désormais en délicatesse avec son pays: envolée la confiance accordée en 1997 à un jeune et fringant Premier ministre dont le bagou et la conviction avaient enthousiasmé les britanniques. Aujourd’hui les électeurs demandent des comptes à un chef de gouvernement qui a déçu leurs attentes. Certes, le pays connaît le plein-emploi avec un taux de chômage de 4,7% à faire pâlir d’envie outre-Manche et une des croissances les plus soutenues d’Europe occidentale; certes Tony Blair a fortement augmenté les dépenses gouvernementales en faveur de l'éducation, de la santé et des transports; certes il a institué un salaire minimum en 1999, une petite révolution au pays de la flexibilité; certes le leader travailliste peut revendiquer la création du Parlement écossais, de l’Assemblée galloise et la restauration d’une mairie unique à Londres. Mieux encore, il peut fièrement citer l’accord du Vendredi Saint qui, en 1998, scellait les débuts du processus de paix en Irlande du Nord...
Reste que sa politique plus de centre-droit que de gauche n'a en fait que très peu profité aux classes les plus défavorisées, alors que les plus fortunées ont été confirmées dans leurs privilèges. Et sur le plan international, Tony Blair n’a pas pu arracher son pays à l’eurosceptisme. Enfin beaucoup d’électeurs ne lui pardonnent pas ce qui restera dans l’opinion comme le grand raté de son dernier mandat: l’intervention en Irak. Et pourtant...
les travaillistes sont d’ores et déjà donnés vainqueurs au scrutin de jeudi prochain. Et d'après un sondage ICM paru la semaine dernière, Tony Blair est le meilleur Premier ministre possible pour 44% des personnes interrogées, loin devant le chef du Parti conservateur Michael Howard (22%) et celui du Parti libéral-démocrate Charles Kennedy (19%). Tony Blair ne s'en sortirait sans doute pas aussi bien si les conservateurs n'étaient pas aussi impopulaires. Après l'ère Thatcher, le parti tory, divisé par la question européenne, a vu ses soutiens s'effriter dans les années 90 sous l'effet d'un nouvel impôt local (poll tax), très mal perçu par les contribuables, de scandales de corruption à répétition et, surtout, d'une grave récession économique.
Tandis que Tony Blair étendait la base de son « New Labour » aux classes moyennes et aux entrepreneurs, le Parti conservateur se débattait pour trouver un nouveau message et un chef capable de regagner le terrain perdu. Michael Howard est le troisième leader du Parti conservateur depuis 1997. Aux commandes depuis 18 mois, il a rétabli la discipline de parti, jusque là malmenée par des querelles internes livrées sur la place publique. Malgré tout l’opposition reste faible car le coup de maître de Tony Blair est d’avoir réussi à grignoter largement sur la droite de l'échiquier politique. Ce recentrage du Parti travailliste n'a guère laissé d'autres alternatives aux deux autres formations importantes que de se radicaliser: les conservateurs étant renvoyés vers une droite extrême aux accents anti-immigrés, tandis que les libéraux-démocrates, emmenés par Charles Kennedy accueillent pour leur part les déçus du blairisme, en premier lieu les opposants à la guerre en Irak. Des Libéraux-démocrates qui font de toute façon figure de poids plume, défavorisés par le système bipartite qui prévaut dans le pays.
Pragmatiques les britanniques devraient donc voter Labour par défaut, si beaucoup ne s’abstiennent pas au dernier moment...
Le pire ennemi: l’abstention
En effet la participation qui avec 59,4% lors des législatives 2001 avait atteint son plus bas niveau depuis 1918, pourrait encore décroître jeudi, selon les experts. A tel point que Tony Blair pourrait perdre son fauteuil à Downing Street. Le Premier ministre a aussi senti le danger, alertant désormais sans relâche contre un retour au pouvoir des tories par « la porte de service ».
Dimanche, en bon chef de parti, il a mis en garde le Labour contre un excès de confiance. « Nous n'avons pas encore gagné cette élection », a averti ce week-end Tony Blair qui craint que de nombreux britanniques ne prennent pas la peine de se déplacer ou ne votent libéral-démocrate, convaincus que le scrutin est joué d’avance.
Le problème est d'autant plus gênant pour le Labour que les électeurs tories sont plus mobilisés. Selon l’institut de sondage Mori, 80% d'entre-eux s'affirmaient prêts à voter mardi dernier, contre 64% chez les militants travaillistes. Le véritable risque reste donc l’apathie de l’électorat travailliste surtout dans les circonscriptions où le Labour dispose d’une faible majorité, ce qu’on appelle ici les « marginal seats » et c’est sur ces sièges que vont se concentrer les stratèges travaillistes ces prochains jours...
par Muriel Delcroix
Article publié le 02/05/2005 Dernière mise à jour le 05/05/2005 à 09:25 TU