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Ouzbékistan

Chape de plomb sur Andijan

L'armée patrouille dans les rues d'Andijan.(Photo: AFP)
L'armée patrouille dans les rues d'Andijan.
(Photo: AFP)
Les bilans sur le nombre de victimes de la répression des manifestations à Andijan, en Ouzbékistan, sont contradictoires. Le pouvoir annonce 70 morts, alors que des témoignages d’habitants relayés par des associations humanitaires font état de plusieurs centaines de victimes (environ 500) parmi la population. Dans tous les cas, il semble que la reprise en main a été sans concession et que les autorités ont bien l’intention de gérer cette crise avec fermeté et sans publicité. Certains journalistes ont été priés de partir, d’autres se sont vus menacés, la télévision nationale diffuse des danses folkloriques à la place des informations : tout est fait pour que la révolte d’Andijan soit placée sous une chape de plomb malgré les protestations de la communauté internationale.

Andijan est en état de choc et sous contrôle des forces gouvernementales. Après la répression sanglante des manifestations populaires de soutien à un groupe d’insurgés qui demandait la libération de 23 chefs d’entreprises accusés de propager l’islam radical, un cordon de sécurité a été mis en place autour de la ville. Des blindés ont pris position et des patrouilles de police dissuadent toute tentative de nouvel embrasement. Le pouvoir qui ne semble pas disposé à jouer la carte de la conciliation avec la population, montre clairement qu’il entend utiliser tous les moyens pour maintenir l’ordre dans la ville. Un certain nombre d’habitants ont d’ailleurs préféré prendre la fuite de peur d’avoir à subir d’autres violences. Les autorités du Kirghizstan voisin ont donc décidé de rouvrir leur frontière, fermée dans un premier temps, pour permettre aux réfugiés qui ont afflué dans la région de Djalal-Abad, d’entrer sur leur territoire. Près de 900 personnes occupent déjà un camp de toile construit dans l’urgence pour les accueillir et les autorités craignent que le phénomène ne s’amplifie dans les prochains jours car plusieurs milliers d’Ouzbeks sont massés à la frontière.

Cette situation ne semble pas avoir incité le président Islam Karimov à la conciliation. Il a d’ailleurs donné le ton sur ce point lors d’une conférence de presse largement retransmise sur la télévision nationale. Sans état d’âme, il a justifié l’extrême dureté de la répression engagée contre les manifestants. Même s’il a affirmé ne pas avoir donné l’ordre de tirer sur la foule, il a bel et bien estimé qu’une intervention était nécessaire pour réprimer l’insurrection menée, selon lui, par des membres d’un groupe islamiste radical, Akromiya. Le dirigeant ouzbek a surtout insisté sur l’implication de terroristes désireux «de renverser l’ordre constitutionnel» dans le mouvement de protestation d’Andijan. Une manière de balayer les motivations économiques et sociales de la population particulièrement pauvre de cette région qui a apporté son soutien aux insurgés pour réclamer de meilleures conditions de vie et mettre en cause un pouvoir peu préoccupé de son sort.

Les associations dénoncent la répression

L’attitude des autorités de Tachkent a été dénoncée par un certain nombre d’associations et d’organisations internationales. L’ONG humanitaire Human Rights Watch (HRW) a critiqué très vivement la répression des manifestations d’Andijan. Holly Cartner, responsable pour l’Asie centrale, a mis en cause les explications fournies par le président Karimov : «Le gouvernement ne peut pas utiliser la guerre contre le terrorisme pour justifier de tirer sur des manifestants. Il ne s’agit pas de terrorisme, mais de personnes s’exprimant contre la pauvreté et la répression». Elle a aussi affirmé craindre «de plus larges représailles». Reporters sans frontières (RSF) a fait part de ses inquiétudes concernant l’attitude du pouvoir vis-à-vis de la presse. L’organisation a publié un communiqué où elle déclare : «Lorsque les autorités éloignent les journalistes d’une zone de conflit, c’est le plus souvent pour cacher les exactions qui y sont commises. Nous sommes très inquiets et nous exhortons le président Karimov à laisser nos confrères couvrir les évènements». L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a appelé toutes les parties à «renoncer à l’utilisation de la force» et demandé au gouvernement d’«agir avec retenue» et de «prendre en considération les droits de l’homme pour les personnes prises dans les troubles». Le secrétaire général de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (Otan), Jaap de Hoop Scheffer, a fait part de son inquiétude et a appelé à «une résolution pacifique» du conflit.

Carte de l'Ouzbékistan
(Carte : DK/RFI)

Du côté des capitales internationales, c’est la réaction de Londres qui a été la plus tranchée. Le ministre des Affaires étrangères, Jack Straw, a déclaré dès dimanche : «La situation est très sérieuse, il y a eu une violation claire des droits de l’homme, une absence de démocratie et une absence d’ouverture». Il a, en revanche, fallu attendre lundi pour que la France prenne position concernant les événements d’Ouzbékistan. Le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, en visite à Varsovie, a parlé «d’incidents très graves» et a affirmé : «Il n’y a pas d’issue par la violence, il n’y a d’issue que par le dialogue politique».

Mais ce sont surtout les positions exprimées par Moscou et Washington qui prennent un relief particulier dans le contexte régional marqué par un certain nombre de révolutions pacifiques qui ont permis le passage à un régime démocratique dans plusieurs Etats de l’ex-Union soviétique. Le dernier en date étant, bien évidemment, le Kirghizstan, voisin de l’Ouzbékistan, où un mouvement populaire a permis de chasser le président Askaïev.

Sans surprise, Moscou qui voit d’un mauvais œil les changements politiques dans la région et les rapprochements de certains Etats avec les démocraties occidentales, a accrédité la thèse défendue par le président Karimov. Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, a ainsi déclaré : «Nous sommes face à plusieurs groupes de personnes, dont certaines sont recherchées pour terrorisme, venant de la région, de l’Afghanistan et du camp des talibans». Et de conclure : «Si nous laissons agir les terroristes, nous mettons toute la région au bord de la crise».

Washington dans l’embarras

Les Etats-Unis ont, quant à eux, tenté de concilier les exigences de leur politique en faveur de la démocratie avec des intérêts plus pragmatiques qui les lient au régime de Karimov, qui ne s’est pourtant jamais illustré par sa volonté de réaliser des avancées significatives dans le domaine des droits de l’homme. L’Ouzbékistan fait, en effet, partie des alliés des Américains dans la lutte contre le terrorisme engagée après les attentats du 11 septembre 2001. Il a d’ailleurs fait preuve d’une grande bonne volonté en autorisant Washington à utiliser une de ses bases aériennes pour mener son intervention militaire en Afghanistan. Dans ce contexte, la déclaration du porte-parole de la Maison Blanche, Scott McClellan, est révélatrice de la situation délicate dans  laquelle se trouvent les Etats-Unis à propos de cette crise : «Nous avons des inquiétudes sur la situation des droits de l’homme en Ouzbékistan, mais nous sommes inquiets de l’explosion de violence, provenant particulièrement de quelques membres d’une organisation terroriste récemment libérés de prison».

par Valérie  Gas

Article publié le 16/05/2005 Dernière mise à jour le 16/05/2005 à 17:23 TU

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Alain Renon

Envoyé spécial RFI à Kara-Suu

«L'administration civile et militaire ont été chassées samedi par les habitants et personne ne se préoccupe de savoir qui contrôle la ville.»

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