Etats-Unis-Cuba
Le terroriste anti-castriste qui embarrasse Washington
(Photo: AFP)
De notre correspondante à la Havane
En décidant finalement d’arrêter Luis Posada Carriles mardi après-midi, Washington a mis fin à six semaines d’un silence embarrassé, que La Havane n’a eu aucun mal à dénoncer comme un aveu de complicité. Le dénouement –provisoire– de cette affaire (les services d’immigration américains ont maintenant 48 heures pour décider du statut du détenu) a donc eu lieu quelques heures à peine après le défilé massif des Havanais sur le Malecón, le boulevard du front de mer de la capitale cubaine.
Convoqués par leur gouvernement à une «marche historique pour la justice et contre le terrorisme», les Cubains ont été plus d’un million selon les autorités à reprendre des slogans réclamant «justice et non vengeance», devant la section d’intérêts américaine. Une marche ininterrompue qui a déroulé la file de ses participants pendant plusieurs heures, lancée par un bref discours du président cubain en personne à 8h du matin.
Car depuis la mi-avril, Fidel Castro n’a cessé de parler de Luis Posada Carriles dans ses longs discours retransmis en direct à la télévision, quasi quotidiennement depuis deux mois. Mais les Cubains connaissent le nom de cet exilé depuis longtemps. Presque du même âge que le Comandante, Luis Posada Carriles, né en 1928 dans le centre de Cuba, a dédié les quarante-cinq dernières années à lutter de façon violente contre le régime castriste.
Tentative d’assassinat de Fidel Castro
Entraîné par l’armée américaine pour participer à l’opération de la baie des Cochons en 1961, il ne débarquera finalement pas sur l’île. Mais il travaillera pour la CIA dans les années 60, avant de s’installer au Venezuela, tout en restant en contact avec les exilés cubains de Miami. En octobre 1976, un avion de ligne cubain, qui relie Caracas à La Havane, explose en plein vol, faisant 73 victimes. Des documents du FBI et de la CIA, qui viennent d’être déclassifiés la semaine dernière, le mettent directement en cause dans cet attentat. Il avait déjà été arrêté pour cela à l’époque: emprisonné pendant neuf ans, en attente du jugement d’appel, il s’était échappé en 1985, et avait gagné l’Amérique centrale.
C’est en 1997 que les Cubains entendent parler de lui à nouveau, au moment d’une série d’attentats contre des hôtels de l’île communiste, qui commence alors à s’ouvrir au tourisme. Un jeune vacancier italien est tué. « Il se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment » aurait dit à son égard Luis Posada Carriles, qui a revendiqué la paternité de ces attentats dans une interview au New York Times, avant de se rétracter.
En décembre 2000, Luis Posada Carriles est arrêté à Panama, en compagnie de trois autres anticastristes notoires. Ils sont accusés d’avoir voulu assassiner Fidel Castro, qui devait y tenir un discours. Condamné à huit ans de prison, il est finalement gracié dans des circonstances étonnantes par la présidente sortante du Panama, Mireya Moscoso, en août 2004. Il avait, depuis lors,disparu, jusqu’à son entrée illégale sur le sol américain, fin mars, et sa demande d’asile politique, en tant qu’ancien membre de la CIA.
Cette réapparition a été l’occasion pour La Havane de dénoncer publiquement le terrorisme dont l’île a été victime depuis la révolution de 1959. Selon des chiffres du gouvernement cubain, plus de 3 400 personnes auraient trouvé la mort dans des opérations violentes anti-castristes depuis cette date.
«Le pire terroriste du continent»
Au moment où l’administration américaine fait de la lutte contre le terrorisme la priorité de sa politique extérieure, le cas de cet exilé cubain s’avère embarrassant pour Washington. En témoigne le silence des autorités américaines pendant six longues semaines, face aux dénonciations quotidiennes venues de La Havane et de Caracas.
Aux Etats-Unis même, les critiques commencent à s’élever: c’est «un test pour la définition américaine du terrorisme», titrait la une du New York Times début mai, dans un long article sur Posada Carriles exhortant l’administration Bush à ne pas lui accorder l’asile politique.
Le journal résumait les trois options des autorités: lui accorder l’asile, au risque de décrédibiliser fortement son discours contre le terrorisme; le juger aux Etats-Unis, au risque de se mettre à dos la communauté cubano-américaine de Floride, un lobby politique important pour les Républicains; ou l’extrader vers le Venezuela, mais avec le risque d’offrir de cette façon une victoire politique à Fidel Castro et Hugo Chavez, tous deux ennemis déclarés de Washington.
En effet, le Venezuela a officiellement demandé l’extradition de Posada Carriles, dans le cadre du procès inachevé sur l’explosion de l’avion cubain. Les Etats-Unis ont un accord d’extradition avec Caracas, mais, peu après l’arrestation du terroriste cubain, les services d’immigration ont fait savoir qu’ils n’ont pas l’intention de l’extrader vers Cuba, ni vers un pays «qui agit comme intermédiaire de l’île». Cette allusion directe au Venezuela laisse planer l’incertitude sur le sort du «pire terroriste du continent», comme le désigne habituellement Fidel Castro dans ses discours récents.par Sara Roumette
Article publié le 18/05/2005 Dernière mise à jour le 18/05/2005 à 12:49 TU