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Chili

Enquête sur la fortune cachée de Pinochet

Augusto Pinochet, le 30 août 2000.(Photo : AFP)
Augusto Pinochet, le 30 août 2000.
(Photo : AFP)
L’ancien président chilien voit la justice s’intéresser à sa fortune dont l’origine serait des détournements de fonds massifs et du blanchiment d’argent sale.

De notre correspondante au Chili

«Pinochet Pinocchio». C’est ainsi qu’un des hebdomadaires chiliens, La Nacion Domingo, a qualifié récemment l’ancien dictateur, aujourd’hui âgé de 89 ans. Car celui qui s’est toujours présenté comme un exemple de probité passe aujourd’hui davantage pour un bandit de grand chemin.

Aujourd’hui, la cour d’appel examinera si elle lève ou non l’immunité (1) de Pinochet –immunité que lui confère son statut d’ancien président (autoproclamé)– dans l’affaire Riggs. En juillet dernier, le Sénat américain publie un rapport qui épluche en détail les comptes de cette banque de Washington, tombée sous le coup de la loi américaine contre le blanchiment d’argent sale. Il révèle une fortune secrète de l’ancien dictateur aujourd’hui estimée à plus de 17 millions de dollars par le juge d’instruction Sergio Muñoz, en charge de l’affaire au Chili. Une fortune inexplicable pour un simple fonctionnaire, même aux plus hautes fonctions de l’Etat, qui a, en outre, circulé de par le monde.

Un rapport complémentaire du Sénat publié en mars dernier révèle qu’entre 1979 et 2004, Augusto Pinochet Ugarte a piloté plus de 125 comptes bancaires sur le territoire américain dans neuf institutions bancaires différentes. Des comptes ouverts en son nom propre, mais aussi sous 12 faux noms (José Pinochet Ugarte, José Ramon Ugarte ou encore Daniel Lopez), notamment à l’aide de faux passeports, afin de dissimuler ses opérations et ses affaires. Certains membres de sa famille, des proches ainsi que de hauts gradés sont également impliqués. Leurs noms, leurs alias aussi, figurent dans le maillage bancaire qui compte aussi une dizaine de sociétés offshore dans des paradis fiscaux, les Bahamas et les îles Caïmans, et qui s’étendrait à d’autres pays: l’Argentine, Gibraltar, le Luxembourg, l’Espagne, la Suisse et le Royaume-Uni.

Les fonds secrets, notamment, ont fini sur les comptes de Pinochet

«Toutes ces opérations sont typiques du blanchiment d’argent, et l’argent se blanchit quand son origine est illégale», estime l’avocate Carmen Hertz qui a déposé plainte contre Pinochet pour détournements de fonds et corruption. Une affirmation que soutient le Conseil de défense de l’Etat (CDE), à l’origine de la plainte contre Pinochet pour blanchiment d’argent. Même si l’organisme représentant l’Etat chilien face à la justice dans ce cas n’a pas encore pu le prouver: reste à connaître la provenance de l’argent. On sait pour le moment que l’ancien président et commandant en chef de l’armée de terre s’est allégrement servi dans les fonds secrets de l’Etat.

Le rapport américain souligne aussi que si Pinochet n’a jamais été condamné, des soupçons planent sur sa participation dans des trafics de drogue, de la corruption et des ventes d’armes. Ce qui est sûr, c’est qu’entre 1984 et 2004, Pinochet a omis de déclarer sa fortune aux impôts, ce qui élèverait sa dette au fisc à plus de 5,7 millions de dollars. Or, la fraude fiscale se traduit au Chili par une amende de 50 à 300 % de la valeur non déclarée et surout à 5 à 10 ans de prison…

Un gestionnaire soucieux des intérêts de sa famille

Le juge chilien Sergio Muñoz accuse Pinochet de six autres délits, notamment de faux et usage de faux et obstruction à la justice. Quand en 1998, au lieu de respecter l’ordre d’embargo de ses biens, formulé par le juge espagnol Baltasar Garzon, il fait en sorte que sa fortune soit transférée vers une société off-shore.

La justice n’épargne pas les proches de Pinochet. Quand sa secrétaire et son exécuteur testamentaire sont déjà mis en examen, sa femme Lucia Hiriart et leurs cinq enfants sont dans le collimateur du juge Muñoz. Concernant l’épouse Pinochet, qui n’a jamais fait une seule déclaration d’impôt, étant «femme au foyer», elle aurait omis de déclarer plus de 2,4 millions de dollars correspondants à ses comptes à l’étranger. Quant aux militaires mouillés, ils gênent. La question se pose: jusqu’où l’armée chilienne est-elle impliquée ?

L’étau de la justice se resserre donc sur le vieillard qui pourra difficilement cette fois se cacher derrière sa supposée démence, qui lui a permis d’échapper à nombre d’affaires de droits de l’homme. Selon ses quelque 60 employés, interrogés sur ordre du juge, il s’avère que Pinochet commence sa journée par des exercices physiques et la lecture de 4 quotidiens, il mène des réunions avec ses collaborateurs, ses avocats, il va acheter des livres à la librairie. Et, jusqu’au 29 décembre dernier, il gérait lui-même l’ensemble du patrimoine familial. Difficile d’arguer la démence donc, d’autant que les Etats-Unis sembleraient faire pression sur la justice chilienne pour que ce procès contre l’ancien dictateur -celui-là au moins- aboutisse.


par Claire  Martin

Article publié le 18/05/2005 Dernière mise à jour le 18/05/2005 à 15:59 TU

(1) Au Chili, si l’immunité est levée dans une affaire, elle reste efficiente dans toutes les autres affaires. C’est la Cour suprême qui décide au final s’il y a ou non levée d’immunité.