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Proche-Orient

Les colons de Gaza entre déni et résignation

Manifestation de colons du Goush Katif, le 11 mai 2005.(Photo: AFP)
Manifestation de colons du Goush Katif, le 11 mai 2005.
(Photo: AFP)
A mesure que le retrait approche, l’unité des habitants du Goush Katif s’effrite. Alors que les religieux et les dirigeants locaux refusent de parlementer avec le gouvernement Sharon, certains résidents, plus pragmatiques, commencent à négocier leur relogement.
De notre envoyé spécial dans le Goush Katif

Le Goush Katif n’a pas changé. Ses habitants continuent à cultiver leurs serres au milieu des palmiers. Ils continuent à arroser la pelouse de leur pavillon face aux reflets dorés de la méditerranée. A moins de cent jours de leur évacuation, les colons de la bande de Gaza polissent comme si de rien n’était les contours de leur petit paradis privé. Chez le boulanger, le sac de courses sous le bras, ou attablé à un café, un journal à la main, ils exhibent leur normalité comme s’ils faisaient un pied de nez au calendrier. Et pourtant le compte à rebours est lancé. Depuis que la Knesset a voté le budget et que le  gouvernement a fixé le début du retrait à la date du 15 août, la routine n’a plus le même goût. Certains colons, souvent les plus religieux, refusent de l’admettre et suivent à la lettre les consignes des autorités locales qui proscrivent toute négociation avec «Sela», l’administration en charge des compensations et du relogement. D’autres, parmi les laïcs surtout, ont compris qu’ils ont probablement célébré leur dernier jour de l’Indépendance au Goush Katif le 11 mai dernier. Et ils se préparent en conséquence. Entre déni et résignation, voyage au pays des colons de Gaza.

Moshé: la tête dans les livres

La mine renfrognée, les yeux plissés, Moshé Shalwa, 53 ans, peine à parler du retrait. «C’est une folie, maugrée-t-il. Avec l’aide de Dieu, cela n’arrivera pas. Si on nous expulse, les obus palestiniens tomberont sur Ashkelon et Ofakim –deux villes voisines de la bande de Gaza–». Quand d’autres se réfugient dans leurs serres, lui s’immerge dans la librairie qu’il tient depuis vingt ans sur la place centrale du Goush Katif, à Névé Dékalim. Aussi encombrée et poussiéreuse qu’un grenier, elle le protège des pressions qui sapent peu à peu les résolutions des colons. Au milieu des rangées de bouquins pour enfants et de récits de rabbin, Moshé peut ignorer les calculs de superficie et d’ancienneté qui détermineront le montant des compensations. «De toute façon, très peu de gens sont allés voir Sela. Et ceux qui se sont humiliés à demander des renseignements sont repartis déçus».

Le sort de sa mère de 92 ans qui habite avec lui, ainsi que celui de ses douze enfants, dont la plupart résident au Goush Katif, ne l’inquiètent apparemment pas. Sa préoccupation principale, affirme-t-il, c’est la semaine du livre qui se déroule à la fin mai. «J’espère faire de belles ventes», dit-il. Et si, à dieu ne plaise, les soldats viennent frapper à sa porte le 15 août prochain ? «Je ne sais pas encore ce que je ferai. Mais je sais ce que j’ai fait à Yamit», répond-il en allusion à la colonie israélienne implantée dans le Sinaï et évacuée en 1982 dans la foulée des accords de paix de Camp David. «Quand les soldats sont arrivés, la vaisselle était dans l’évier et le frigidaire était plein. Nous n’avons opposé aucune résistance mais nous n’avons pas non plus aidé. Les soldats ont dû empaqueter nos affaires et nous porter un par un jusque dans le bus».

Naomi: la hantise de la ruine

Naomi Granot a fait ses comptes. Pour l’usine de textile qu’elle dirige dans la colonie de Rafiah Yam, elle redoute de ne pas recevoir un seul shekel de compensation. «Ni pour les murs car je suis locatrice. Ni pour l’équipement et les machines à coudre car leur achat était couvert par un dégrèvement fiscal. Et ni pour le manque à gagner car ces dernières années, je n’ai fait que rembourser mes dettes. C’est l’œuvre d’une vie qui s’effondre». Son usine emploie quatre-vingt ouvriers palestiniens venus de Rafah, la ville voisine, séparée de Rafiah Yam par un no man’s land de 500 mètres, jalonné de barbelés et de miradors. Couture, repassage, empaquetage : à chacun son poste. Pour dix à douze shekels l’heure –environ 2 euros–, un tarif à peine meilleur que les salaires palestiniens, ces hommes d’une trentaine d’années confectionnent des jupes et des t-shirts à la chaîne. «Au début, j’avais installé mon usine près d’une serre, raconte Naomi. L’armée m’a obligé à la fermer pour des raisons de sécurité. En 1995, avec le processus de paix, j’ai ouvert avec un associé palestinien un atelier dans la zone franche de Karni. Mais avec l’Intifada, tout s’est écroulé et maintenant que je suis à Rafiah, je dois à nouveau partir. L’Etat nous soutient tant que ça les arrange. Mais quand ça ne va plus, ils ne nous connaissent plus».

Son fils, Eyal, qui tourne dans l’atelier avec le M-16 en bandoulière et des cintres de t-shirts à la main ne s’estime pas mieux loti. «J’ai 29 ans, dit-il. Je suis arrivé dans le Goush Katif à 15 ans. Mais comme les calculs d’ancienneté ne commencent qu’à 21 ans, je ne toucherai que huit années d’indemnités». Bien sûr la famille Granot recevra de l’argent pour sa maison. «Mais ce n’est pas cela qui m’inquiète, dit Naomi. C’est mon travail, mon usine». Et elle ajoute, dans un grand élan de franchise : «Je ne pourrais jamais en Israël employer des ouvriers à 3000 shekels par mois –environ 550 euros–». 

Ilanit: se préparer au pire

Comme la plupart des habitants du Goush Katif, Ilanit Boukhra a planté cette année de nouvelles fleurs dans son jardin. Mais à l’inverse des irréductibles, cette mère de famille d’une quarantaine d’années a aussi signé la pétition en faveur d’un relogement en bloc des colons de Gaza à Nitzanit. Une zone vierge, en bordure de la mer, entre Ashkelon et Ashdod, où le gouvernement espère construire un Goush Katif bis. Aux yeux du conseil des colonies de Gaza, ce plan fait figure d’hérésie. Hors de question de cautionner le moindre projet qui pourrait laisser penser que les colons entérinent le retrait.

Mais pour un nombre croissant de familles, Nitzanit apparaît comme une option raisonnable. Suffisamment étendu pour accueillir des centaines de maisons, l’endroit permettrait de préserver l’aspect communautaire du Goush Katif. «Les gens ici, voient tout en noir et blanc, dit Ilanit. Comme si ceux qui acceptent Nitzanit étaient prêts à partir. C’est faux, on veut tous rester. Mais si par malchance le retrait doit se faire, on veut pouvoir être relogé tous ensemble. Quel funambule ne voudrait pas d’un filet de sécurité en dessous de lui ?» Le soir, dans son lit, Ilanit hésite parfois. «C’est le combat entre la foi et la réalité. Comme un tango. Un pas en avant, deux en arrière». Mais le matin, elle peste contre le jusqu’au-boutisme des dirigeants du Goush Katif. «Quand j’entends parler Eran Sternberg –le porte-parole du conseil des colonies–, quand il dit que les obus palestiniens sont des cadeaux de Sharon, j’ai les cheveux qui se dressent sur la tête. Il ne représente pas les gens d’ici». Sur les 1 600 familles juives du Goush Katif, près de 400 ont signé la pétition.


par Benjamin  Barthe

Article publié le 22/05/2005 Dernière mise à jour le 10/08/2005 à 13:29 TU