Constitution européenne
Les raisons du «non» français
(Photo: AFP)
Les sondages l’avaient prédit, ils n’ont pas menti. Le «non» l’a largement emporté lors du référendum sur la ratification de la Constitution européenne. Ce résultat est très significatif du mécontentement des Français qui les a poussé à manifester coûte que coûte leur désir de changement à l’occasion de ce scrutin européen. Le président de la République, le gouvernement mais aussi les responsables de partis politiques de gauche qui ont appelé à voter «oui», les socialistes au premier chef, sont les principaux destinataires de ce message.
Le «non» à la Constitution est, en effet, d’abord un «non» de gauche, un «non» des déçus devenus révoltés, après l’échec tonitruant de Lionel Jospin lors des élections présidentielles de 2002. Obligés de voter Chirac pour barrer le passage à Jean-Marie Le Pen qualifié surprise au deuxième tour de ce scrutin, de nombreux socialistes, et électeurs de la gauche au sens large, ont saisi l’occasion des consultations qui ont suivi pour montrer qu’ils ne renonçaient pas pour autant à s’opposer à la politique du gouvernement. Les régionales et les européennes de 2004 avaient déjà montré le désir de l’électorat de ne pas laisser Jacques Chirac dans l’état de grâce d’un président élu avec 80 % des suffrages pour cause de front démocratique. Le référendum a confirmé cette détermination des électeurs à manifester leur ras-le-bol.
Les conséquences du 21 avrilMais le fait qu’une forte proportion des sympathisants socialistes (59 %) aient décidé de rejeter le traité, alors que le PS appelait à le ratifier, est d’autre part significatif des difficultés de l’état-major de ce parti à rassembler ses troupes et à faire passer un message porteur, même sur un thème aussi traditionnel que celui de l’Europe. L’échec du candidat socialiste à la présidentielle, le 21 avril 2002, a discrédité durablement la direction socialiste. Certains l’ont compris très tôt, tel Laurent Fabius, et ont utilisé cette méfiance de la base pour faire passer, durant la campagne électorale, leur message en faveur du rejet de la Constitution.
Car si le «non» est politique, il est aussi, et peut-être surtout, social. Les résultats du référendum ont, en effet, mis en valeur des fractures au sein de la population. Paris et Lyon ont voté pour le traité. La France rurale et les périphéries ont décidé de le rejeter massivement. Les ouvriers (79 %), les agriculteurs (70 %), les employés (67 %), les professions intermédiaires (53 %), les artisans, commerçants, chefs d’entreprise (51%) ont voté contre la ratification de la Constitution. A l’opposé, c’est au sein des professions libérales et des cadres supérieurs que l’on trouve les plus fervents défenseurs de ce texte. Environ 65 % d’entre eux ont, en effet, choisi de lui accorder leurs suffrages.
La France d’en-bas a dit «non»Un autre élément d’analyse est important. Ce sont les électeurs les plus âgés qui ont voté le plus en faveur de la Constitution. Alors que 56 % des 60-69 ans et 58 % des plus de 70 ans ont voté «oui», 55 % des 25-34 ans et 62 % des 45-59 ont dit «non». La précarité et le chômage qui frappent ces tranches d’âge expliquent vraisemblablement en grande partie cette situation qui manifeste une crainte face à l’avenir. Il est indéniable que les catégories de populations les plus aisées ont voté plus sereinement pour le «oui». Un sondage réalisé à la sortie des urnes par l’institut Ipsos, a ainsi montré qu’au-dessous de 3 000 euros de revenus mensuels, les Français votaient plutôt «non», au-dessus plutôt «oui». Cette enquête a aussi mis en valeur le fait que les diplômés (au moins bac +2) étaient favorables au texte, alors que les sans-diplômes le rejetaient massivement.
Incontestablement, la France d’en-bas a voulu envoyer un signal fort à la France d’en-haut. Jean-Pierre Raffarin, le Premier ministre, qui avait fait de la réconciliation des ces deux parties de la population son cheval de bataille, va être le premier à faire les frais de l’échec de la réduction de la fracture sociale puisque c’est d’abord par son remplacement à Matignon que le chef de l’Etat, devrait répondre aux Français et donner «l’impulsion forte» qu’il leur a promis.
par Valérie Gas
Article publié le 30/05/2005 Dernière mise à jour le 30/05/2005 à 09:09 TU