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Constitution européenne

Un « nee » franc et massif

Après la France, les Pays-Bas ont voté massivement Non.(Photo : AFP)
Après la France, les Pays-Bas ont voté massivement Non.
(Photo : AFP)
Les électeurs néerlandais ont rejeté à 61,6 % des voix, trois jours après les Français, le projet de Constitution européenne. Avec un taux de participation de 62,8 %, le rejet s’avère aussi catégorique qu’en France. Un nouveau camouflet pour l’Europe des 25, mais aussi pour le gouvernement de centre-droit de Jan Peter Balkenende.

De notre correspondante aux Pays-Bas

« C’est très inquiétant. Je ne m’attendais pas à un tel dégoût de l’Europe. De champions de l’ouverture et de la tolérance, nous voilà le dos tourné au monde et à l’Europe ». Dick Pels, sociologue à Amsterdam, ne fait pas partie de ceux, militants d’extrême-gauche et d’extrême-droite, qui ont écumé les bars, hier soir, pour fêter la victoire écrasante du « nee ». Le refus de la Constitution européenne, qui n’était défendu aux Pays-Bas que par des petits partis, aux deux pôles de l’échiquier politique, marque une rupture sans précédent avec les élites au pouvoir.

« Le gratin de La Haye », selon une expression populaire désormais consacrée, ne se limite pas aux chrétiens-démocrates au pouvoir (CDA, 28 % des sièges au Parlement). « Se trouve en cause aujourd’hui une gauche qui s’est très longtemps parlé à elle-même », affirme Dick Pels. Consensuel, le camp du « oui » a rassemblé les chrétiens-démocrates, le parti libéral, les travaillistes et les Verts. Il représente 85 % des sièges au Parlement, qu’un « gouffre » sépare maintenant de la population, de l’aveu même de l’opposition travailliste.

Jan Peter Balkenende, le Premier ministre néerlandais, a accusé le coup.

« Naturellement, je suis très déçu », a-t-il déclaré mercredi soir, tout en indiquant son intention de respecter le verdict des urnes. Alors que beaucoup de commentateurs s’attendaient à une forte abstention, les enjeux étant moins forts après le « non » français, les 12 millions d’électeurs néerlandais ont surpris par leur forte mobilisation. Le taux de participation, de 24 points supérieur aux dernières élections européennes, a fait du « nee » un véritable raz-de-marée.

La coalition de centre-droit au pouvoir, au plus bas dans les sondages (17 % d’opinions positives), essuie un sérieux camouflet. Mais la bourrasque fera moins de dégâts immédiats qu’en France : le Premier ministre chrétien-démocrate a clairement annoncé son intention de ne pas démissionner, pour poursuivre son mandat jusqu’aux prochaines élections législatives, en mai 2007.

Invités pour la première fois à se prononcer par voie de référendum, les Néerlandais ont exprimé un mécontentement profond. « J’ai voté non à cause de l’euro », déclare Daniela, une commerçante du marché aux fleurs d’Amsterdam qui n’est pas restée insensible à la médiocrité de la campagne des tenants du « oui ».

L’Europe n’inspire plus confiance

En brandissant le spectre de la guerre ou du chaos économique, en fustigeant les « eurosceptiques » et en leur demandant de s’abstenir, les ministres ont aggravé le ressentiment contre leur propre gouvernement. Les motifs d’insatisfaction se sont accumulés, ces dernières années. Outre l’introduction de l’euro, l’éventuelle entrée de la Turquie en Europe, la crainte d’une dilution de l’identité nationale dans une Europe des 25 devenue trop grande, les réformes entreprises sur les retraites, le chômage et l’assurance maladie ont renforcé les électeurs dans leur rejet. Dans un pays qui a perdu beaucoup de son optimisme avec le déclin de la croissance et un chômage qui a dépassé le seuil des 6 %, l’Europe n’inspire aucune confiance.

« C’est une fête pour la démocratie », a commenté hier soir Ruud Koole, président des travaillistes (PvdA, opposition), comme pour se consoler. Son parti, qui a défendu l’organisation de ce référendum consultatif se retrouve avec un « oui » ténu, qui n’a pas remporté plus de 38,4 % des suffrages. Les députés, qui entérineront en dernier ressort le verdict des urnes, avaient promis de le faire à condition que le taux de participation dépasse les 30 % - sans se douter qu’il atteindrait le double. Après la publication des résultats définitifs et officiels, lundi 6 juin, ils vont devoir voter un « non » contraire à leurs opinions.

En fait, c’est une révolution politique qui se poursuit aux Pays-Bas, commencée en 2002 avec la percée fulgurante du mouvement de Pim Fortuyn, leader populiste assassiné la même année par un militant de gauche. Les idées de cet intellectuel de droite, le premier en son genre aux Pays-Bas, lui ont survécu. « La Hollande est pleine », l’une de ses formules choc, est aujourd’hui reprise sans complexe par Geert Wilders, nouveau chef de file d’une extrême droite qui n’a plus honte de son nationalisme. « Pim Fortuyn a provoqué une lame de fond, conclut Dick Pels. Il a donné une nouvelle légitimité au nationalisme le plus étroit. Ses idées ont  débordé le cadre de son mouvement pour se diffuser largement dans la classe politique et la société ».


par Sabine  Cessou

Article publié le 02/06/2005 Dernière mise à jour le 02/06/2005 à 08:42 TU