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Levée de boucliers contre Dassault à l'Express

Serge Dassault, le 5 mai 2005.(Photo : AFP)
Serge Dassault, le 5 mai 2005.
(Photo : AFP)
Pour la première fois en cinquante ans, l’Express est en grève. Au terme d’une assemblée générale, les journalistes de l’hebdomadaire français se sont mis en grève jeudi en l’attente d’une nouvelle assemblée générale en fin de journée, et des nouvelles propositions de Serge Dassault. L’ensemble du groupe l’Express-l’Expansion manifeste son indignation relative à l’éviction arbitraire, par le groupe Dassault, des personnalités indépendantes qui assurent le contrôle du Comité de surveillance de l’hebdomadaire, un conseil garant de l’indépendance éditoriale de ce dernier.

Mardi matin, un des proches de Serge Dassault (industriel, sénateur membre du parti majoritaire UMP), Rudi Roussillon, a annoncé qu'il prenait la présidence du Conseil de surveillance. Jusqu’ici, ce conseil -créé en 1997, et composé à la fois par des représentants du propriétaire, le président de la société des journalistes (SDJ) et des personnalités indépendantes- était présidé, comme le prévoit le statut, par une personnalité indépendante, le journaliste-écrivain et co-fondateur du Point, Jacques Duquesne. En remplaçant Jacques Duquesne -atteint par la limite d'âge de 75 ans- par Rudi Roussillon, l’instance chargée à l’origine de l’indépendance éditoriale n’est plus, de fait, composée que de représentants du propriétaire du groupe. Les journalistes exhortent donc Serge Dassault à reconsidérer « un diktat brutal, infondé, et néfaste pour tous ».

Jacques Duquesne a dénoncé un « coup de force », provoquant une « tension extrême » au sein de la rédaction, et témoignant d’un « mépris des hommes » : « Serge Dassault, a-t-il déclaré, est un actionnaire qui entretient le suspense sur sa stratégie, sur sa volonté concernant l’Express-l'Expansion. Il est un propriétaire qui joue contre lui-même en laissant le groupe dans l'incertitude à propos de sa stratégie (…). Dans ce contexte, estime-t-il, les responsables de la rédaction ne sont pas dans les meilleures conditions pour avancer même si le Groupe a considérablement progressé, et est ‘une affaire saine’». Selon Rudi Roussillon, ce remaniement du conseil de surveillance ne doit pas être interprété comme une reprise en main, mais comme «le fonctionnement normal d'une entreprise où chacun est à sa place : les dirigeants au directoire, l'actionnaire majoritaire au conseil de surveillance».

Outre Jacques Duquesne, les autres personnalités indépendantes du conseil de surveillance, parmi lesquelles Bernard Brunhes et Jean Peyrelevade, ont été écartées, d’où la levée de boucliers. Rudi Roussillon, lors de l’assemblée générale qui s’est tenue jeudi matin, aurait pris plusieurs engagements, notamment concernant le retour de personnalités indépendantes choisies en accord avec la rédaction au sein du conseil de surveillance et concernant l’avalisation de la charte qui régit la déontologie de l’hebdomadaire. En revanche, il a refusé que la présidence soit confiée à une personnalité indépendante, selon Vincent Hugeux, président de la SDJ. Selon la position du groupe Dassault, rapportée par les délégués, la présidence du groupe l’Express-l’Expansion doit revenir à un représentant de l’actionnaire de référence, en l’occurrence du groupe Dassault.

En dénonçant « avec une vigueur extrême le coup de force infligé le mardi 31 mai au Conseil de surveillance du groupe Express-Expansion par la maison Dassault »  et « un dévoiement grossier de cette instance originale et exemplaire », c’est l’ensemble du groupe l’Express-l'Expansion (Expansion, Lire, Classica, et l’Entreprise) qui manifeste son indignation. En effet, à la suite d'un vote à bulletins secrets, la motion proposée mercredi par la SDJ de l’hebdomadaire l’Express avait été adoptée avec 120 ‘oui’ et 9 ‘non’, soulignant que : « le démantèlement d'un Conseil perçu par tous comme le garant du respect de l'indépendance de la rédaction (…) ne peut qu'alimenter les inquiétudes maintes fois exprimées quant aux desseins véritables d'un actionnaire dont les engagements partisans sont connus ».

« remise en cause infondée du respect de l'intégrité et de l'indépendance de la rédaction »

En l'absence d'un geste d'apaisement de Serge Dassault, la publication du prochain numéro, qui sort le lundi, serait compromise, mais la menace ne sera pas mise à exécution si la grève est levée à 18h. En attendant, les journalistes attendent de pied ferme les nouvelles propositions car, « en plaçant de manière brutale ses hommes de main à la tête du conseil de surveillance de L'Express, Serge Dassault fait fi de l'indépendance du titre, provoquant la colère légitime de l'ensemble de la rédaction », a souligné le communiqué du bureau. « Cette restructuration néfaste pour tous, qui fait éclater le Conseil mis en place jusqu'à présent, est perçue par tous comme une remise en cause infondée du respect de l'intégrité et de l'indépendance de la rédaction vis à vis des pressions extérieures, à commencer par les pressions politiques et financières », a ajouté encore le Comité.

Le comité du groupe Socpresse qui représente l'intersyndicale -toutes catégories confondues- des différents titres du groupe contrôlé par Serge Dassault, dont le fleuron est le Figaro, avait  apporté mercredi 1erjuin, dans un communiqué, son soutien « plein et entier » à la rédaction de L'Express. « Le Bureau du Comité de groupe Socpresse a pris connaissance de la nouvelle intervention de la maison Dassault dans la marche des titres de la Socpresse, au mépris des règles de fonctionnement qui ont prévalu jusqu'alors », a souligné ce communiqué. Des assemblées générales des différents personnels sont convoquées pour vendredi en l'absence de nouveaux développements. Pour la CFDT, Serge Dassault menace la rédaction du groupe Express-Expansion et insulte « une certaine idée de la presse et de sa place dans une démocratie ».

Cette affirmation d'autorité intervient en effet alors que le groupe Dassault mène des négociations, « bien avancées » selon une source proche du dossier, avec le groupe belge de médias Roularta pour la vente de l'Express-l'Expansion. La valorisation du groupe Express-Expansion, selon des sources bancaires, est de l'ordre de 200 à 250 millions d'euros. Roularta, premier groupe média en Belgique (magazines, journaux gratuits, télévision et radio), réalise 10% de son chiffre d'affaires en France, soit 50 millions d'euros, dont 35 millions d'euros en presse magazine. Il édite en France 21 magazines (Studio Magazine, Atmosphères, Wanted). Il est associé avec le groupe Express/Expansion à 50/50 pour les titres Maison Magazine, Maison française, Côté Sud, Côté Ouest, Côté Est. Avec le groupe Express-Expansion, Roularta publie Le Vif/L'Express en Belgique.

par Dominique  Raizon

Article publié le 02/06/2005 Dernière mise à jour le 02/06/2005 à 17:17 TU