Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Liban

Michel Aoun bat ses adversaires aux élections

Le général Michel Aoun s'apprête à voter à Haret Hreik, le 12 juin 2005. (Photo: AFP)
Le général Michel Aoun s'apprête à voter à Haret Hreik, le 12 juin 2005.
(Photo: AFP)
L’ancien chef du gouvernement, le général Michel Aoun, a créé la surprise en écrasant ses adversaires dans plusieurs circonscriptions, lors de la troisième étape des élections législatives au Liban. Ces résultats auront des répercussions importantes sur le réagencement du paysage politique libanais après le retrait syrien.

De notre correspondant à Beyrouth

La troisième et avant-dernière étape des élections législatives au Liban a donné lieu a une surprise de taille qui risque de bouleverser le paysage politique qui a commencé à se mettre en place depuis la fin du retrait des troupes syriennes, fin avril. Dans trois des quatre circonscriptions où ils avaient aligné des listes, l’ancien chef du gouvernement militaire le général Michel Aoun et ses alliés ont littéralement écrasé leurs adversaires, parmi lesquels figurent d’illustres hommes politiques qui ont occupé la scène publique ces quinze dernières années.

La troisième étape du scrutin a eu lieu dans les quatre circonscriptions du Mont-Liban et les trois circonscriptions de la plaine de la Bekaa. Cinquante-huit sièges (sur les 128 que compte le Parlement) étaient en jeu et plus d’un millions d’électeurs étaient appelés aux urnes. Contrairement aux deux premières étapes, le 29 mai à Beyrouth et le 5 juin au Sud-Liban où les noms des 42 députés à élire étaient pratiquement connus d’avance, faute d’adversaires de taille, la troisième étape a donné lieu à une rude compétition entre les listes adverses. Villes et villages concernés par ce scrutin étaient en effervescence, et des milliers de partisans des différentes listes ont envahi les rues pour mobiliser les électeurs et appuyer leurs candidats.

Le taux de participation a atteint des seuils inégalés depuis le début du processus électoral: 54% en moyenne dans le Mont-Liban à majorité chrétienne, et 49% dans la Bekaa. Dans certaines circonscriptions, il a enregistré des records historiques. Soixante-deux pour cent à Jbeil-Kesrouan, une des quatre circonscriptions du Mont-Liban, 51% dans le Metn, 54% à Baabda-Aley, et 49% dans le Chouf, où deux candidats druzes, le chef de l'opposition anti-syrienne Walid Joumblatt et son colistier, le député Marwan Hamadé, étaient élus d'office faute de concurrents. Dans la Bekaa, le taux le plus élevé a été enregistré à Baalbeck-Hermel, un fief du Hezbollah, avec 52%, contre 42% à Zahlé et 44% à Rachaya.

Ces taux de participation sont calculés sur la base des listes électorales qui englobent des centaines de milliers de Libanais hors du pays et qui ne sont pas autorisés à voter à l’étranger. Cela signifie qu’un taux de 50% est considéré comme très élevé et peut signifier dans certains cas 70% de participation. Ces chiffres montrent à quel point la population était mobilisée pour cette échéance.   

A Jbeil-Kesrouan, la liste du général Aoun a remporté les huit sièges à pourvoir et dans le Metn ses sept candidats ont tous été élus. Seul Pierre Gemayel, le fils de l’ancien chef de l’Etat Amine Gemayel, a pu percer la liste. Nassib Lahoud, une des figures de proue de l’opposition anti-syrienne a, quant à lui, été battu. Aoun et ses alliés ont également remporté sept des huit sièges en jeu dans la circonscription de Zahlé, dans la Bekaa.

Combat des chefs

Cette troisième étape revêtait une importance particulière car elle opposait deux chefs politiques de premier plan, Michel Aoun et Walid Joumblatt, qui avaient joint leurs efforts après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri le 14 février, pour obtenir le retrait des troupes syriennes. Mais d’importantes divergences ont commencé à apparaitre entre les deux hommes après le retour d’Aoun au Liban le 7 mai, à l’issue d’un exil forcé de quinze ans en France. Le divorce a été consommé entre eux après l’échec de longues négociations pour tenter de convaincre Aoun de rejoindre la coalition composée de Joumblatt, Saad Rafic Hariri, héritier politique de son père et de l’opposition chrétienne regroupé au sein du rassemblement de Kornet Chehwane.

Chacune des deux parties a rejeté sur l’autre la faute de l’échec des pourparlers. Aoun a refusé que son quota de candidats dans les listes de cette coalition soit fixé par Joumblatt et Hariri. Ces derniers ont affirmé que l’ancien chef du gouvernement réclamait plus de sièges que n’en lui conférait son poids réel. En réalité, Aoun n’acceptait pas l’idée d’occuper une place réservée d’avance et choisi pour lui dans le nouveau paysage politique libanais de l’ère post-syrienne. S’estimant comme un «opposant athentique» qui a lutté pendant 15 années contre les Syriens, il qualifie Joumblatt et Hariri de «néo-opposants» qui ont rejoint tardivement le camp de l’opposition.

Ce divorce s’est traduit par la naissance d’alliances électorales quelque peu bizarres entre, d’un côté, Joumblatt, Hariri, le Hezbollah, le président de la Chambre et l’ancienne milice chrétienne des Forces libanaises, de l’autre, entre Aoun, le vice-président du Parlement Michel Murr et l’ancien ministre de l’Intérieur, Sleimane Frangié, tous deux considérés comme des alliés de la Syrie. Mais pour Michel Aoun, la page est tournée avec Damas et toute la classe politique a coopéré à un moment à un autre avec les Syriens.

Cette compétition électorale a déchaîné toutes les passions et son issue a provoqué un choc chez Joumblatt et ses alliés. Commentant les résultats du scrutin, le chef druze a déploré le fait que «les chrétiens aient opté pour la voie de l’extrémisme», mettant en garde contre le fait que ce choix pourrait «conduire à la guerre civile». Reconnaissant la défaite de ses alliés, il a une nouvelle fois accusé Aoun d'avoir été renvoyé au pays par Damas pour diviser l'opposition. «Michel Aoun est un petit instrument (des Syriens)», a-t-il lancé, tout en concédant sa défaite: «C'est vrai, il a gagné». Réagissant à ces propos, l’ancien Premier ministre s’est défendu d’avoir choisi la voie de l’extrémisme et a accusé son adversaire d’avoir contribué à la corruption qui mine l’administration et à l’endettement du pays. «Laissez-le parler, il fait une dépression nerveuse», a-t-il dit.  

La victoire des listes de Michel Aoun va certainement remonter le moral de ses partisans qui se préparent à la dernière étape des élections, dimanche 19 juin, au nord du Liban. Dans cette région où 28 députés doivent être élus, l’ancien Premier ministre s’est allié à Sleimane Frangié. Le succès d’Aoun va également rendre plus difficile la réalisation de l’objectif affiché par Joumblatt et Hariri pour obtenir le départ du président de la République Emile Lahoud. Autre résultat important du scrutin de dimanche, la victoire complète des dix membres de la liste appuyée par le Hezbollah dans la circonscription de Baalbek-Hermel, dans la Bekaa.


par Paul  Khalifeh

Article publié le 13/06/2005 Dernière mise à jour le 13/06/2005 à 11:19 TU