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Liban

Emotion et colère aux obsèques de Samir Kassir

Sur la façade du journal An-Nahar, où il écrivait, une immense banderole rend un dernier hommage au journaliste: «<EM>Samir Kassir, martyr de la guerre d'indépendance</EM>».(Photo: AFP)
Sur la façade du journal An-Nahar, où il écrivait, une immense banderole rend un dernier hommage au journaliste: «Samir Kassir, martyr de la guerre d'indépendance».
(Photo: AFP)
Des milliers de personnes en larmes ont fait leur dernier adieu au journaliste Samir Kassir assassiné jeudi et inhumé ce samedi à Beyrouth. Sa disparition constitue une grande perte pour le monde de la presse libre. Elle consacre la rupture entre deux des principales composantes de l'opposition.

De notre correspondant à Beyrouth

Une foule émue et en colère de plusieurs milliers de personnes a participé ce samedi aux obsèques du journaliste-écrivain Samir Kassir (45 ans), tué le jeudi 2 juin par l'explosion de sa voiture devant son domicile à Achrafié, en plein cœur du Beyrouth chrétien. Des figures de l'opposition anti-syrienne, des journalistes, des intellectuels, d'anciens étudiants de la victime ou de simples citoyens ont marché derrière le cercueil recouvert du drapeau libanais. L'office religieux a été célébré à l'église Saint-Georges des grecs-orthodoxes, dans le centre de Beyrouth, une ville dont Samir Kassir était amoureux et à laquelle il avait consacré un important ouvrage Histoire de Beyrouth, en 2003. Une église située à deux pas de la Place des martyrs, berceau de l'insurrection populaire dont Kassir était l'un des initiateurs, et qui a abouti au retrait de l'armée syrienne dix semaines après l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri.

Brandissant des portraits du journaliste ou des drapeaux libanais, la foule en larme a accompagné jusqu'à l'église, située à 20 mètres du Parlement, le cercueil de l'éditorialiste connu pour ses opinions anti-syriennes et hostile à ce qu'il appelait le «régime sécuritaire» libanais. Sur la façade du journal An-Nahar, où il écrivait, une immense banderole lui rend un dernier hommage: «Samir Kassir, martyr de la guerre d'indépendance».

Enquête internationale

Les funérailles de Samir Kassir sont intervenues alors que de nombreuses voix s'élèvent au Liban et à l'étranger pour réclamer une enquête internationale afin d'identifier les auteurs de cet assassinat attribué par l'opposition aux «régimes syrien et libanais», accusation vigoureusement démentie par Damas.

L'épouse de Kassir, Gisèle Khoury, célèbre animatrice d'une émission politique sur la chaîne satellitaire Al-Arabiya basée à Abou Dhabi, a exigé une enquête internationale. Un vœux repris par les Etats-Unis qui ont demandé au Conseil de sécurité des Nations unies d'élargir l'enquête sur la mort de Rafic Hariri à l'assassinat de Kassir. Les membres de cette commission, présidé par le procureur allemand Detlev Mahlis, se trouvent d'ailleurs au Liban depuis plus d'une semaine.

La contribution internationale à l'enquête ne s'est pas faite attendre. Selon une source proche des services de sécurité libanais, des agents du FBI ont commencé leurs investigations. Une équipe de cinq étrangers, dont deux vêtus de combinaisons blanches, a été vu sur les lieux de l'attentat en train d'examiner les débris de la voiture de la victime à la recherche d'indices. Des membres de la police technique et scientifique française auraient également été mobilisés. Samir Kassir, un chrétien grec-orthodoxe d'origine palestinienne, détenait la double nationalité libanaise et française.

L'opposition divisée

L'enquête préliminaire a montré que la charge piégée, constituée de 500 à 700 grammes de TNT, avait été fixée grâce à un aimant sous le châssis de la voiture à la hauteur du siége du conducteur. Elle a été actionnée par télécommande d'une très courte distance par l'assassin qui a attendu que Kassir soit installé derrière le volant de sa voiture avant de faire sauter la charge. La partie inférieure de son corps a été affreusement mutilée, alors que la partie supérieure est restée presque intacte.

Samir Kassir avait déjà été victime de vexations de la part des autorités libanaises. En 2001, les services de sécurité lui avaient confisqué son passeport et l'avait mis sous surveillance ostentatoire avant de le menacer d'arrestation. Il aurait également reçu de nombreuses menaces de mort. Pour Elias Atallah, président de la Gauche démocratique, la formation d'opposition à laquelle appartenait Kassir, «l'assassin est bien connu», faisant directement allusion à la Syrie et «à ce qui reste des services de sécurité chapeautés par le président Emile Lahoud».

Cependant, le fait de désigner des coupables avant le début de l'enquête ne fait pas l'unanimité au sein même de l'opposition. Bahia Hariri, la sœur de l'ancien Premier ministre assassiné, a affirmé qu'il fallait éviter de lancer des accusations avant que les conclusions de l'enquête ne soient connues. «Il ne faut pas se laisser emporter par la colère et l'émotion», a-t-elle dit, alors que son neveu Saadeddine Hariri, héritier politique de son père, a accusé «ceux qui ont les mains tachées du sang de Rafic Hariri» d'avoir tué Samir Kassir, en allusion aux Syriens.

Le général Michel Aoun, qui dirige une des principales composantes de l'opposition, a de son côté déploré le fait que «l'assassinat de Samir soit exploité dans les élections législatives» -qui ont débuté dimanche 29 mai à Beyrouth- par le chef druze Walid Joumblatt et ses alliés. Cet assassinat a d'ailleurs consacré la rupture entre les deux grands courants de l'opposition qui ont décidé non seulement de se séparer mais aussi de s'affronter dans sept des quatorze circonscriptions.


par Paul  Khalifeh

Article publié le 04/06/2005 Dernière mise à jour le 04/06/2005 à 16:52 TU