Somalie
Abdullahi Yusuf, un président sans domicile fixe
(Photo : AFP )
Lundi après-midi, après la cérémonie d’adieu organisée par le président kényan, Mwai Kibaki, ministres et députés somaliens devaient plier bagages et prendre leur courage à deux mains – selon les termes d’Abdullahi Yusuf – pour rentrer au pays qu’ils sont censés servir. Finalement, les seuls à l’avoir fait sont les partisans d’un retour de l’administration centrale à Mogadiscio, où ils se sentent en force, comme le président du Parlement, mais aussi, pour des raisons de même nature, ceux qui ne veulent pas voir les hommes de la transition débarquer dans leurs fiefs, en l’occurrence Jowhar et Baidoa. Cette nouvelle pomme de discorde menace le GFT, un attelage institutionnel péniblement composé par l’Autorité régionale intergouvernementale de développement (Igad) pour restaurer l’Etat somalien disparu avec le régime Syaad Barre en 1991.
Fissuré avant même d’avoir commencé à mettre en œuvre les résolutions arrachées en août 2004 aux chefs de factions qui le composent, le GFT ne commencera sans doute pas avant longtemps à exercer ses maigres prérogatives en Somalie. Il faudra au moins le temps d’une gestation humaine – officieusement neuf mois de délai selon la mouvance présidentielle – avant d’accoucher d’un nouvel Etat somalien dont tout fait craindre qu’il soit encore une fois mort-né. On se demande d’ailleurs à quelles nouvelles tractations utiles pourrait bien servir un tel délai, l’arrivée des casques bleus promis par l’Onu n’étant pas de nature à faire changer d’avis – bien au contraire – les plus récalcitrants des chefs de factions, véritables boutiquiers de la guerre. En tout cas, bien qu’il soit sorti lundi de Nairobi par la porte solennelle de la cérémonie kényane, Abdullahi Yusuf n’est pas rentré au pays.
Impossible d'atterrir à Jowhar
A Nairobi, Yusuf avait annoncé une tournée dans les pays arabes sans trop crier sur les toits médiatiques qu’il allait quand même tenter un atterrissage en Somalie, dans la bonne ville de Johwar justement. Le soir même, le président par intérim a dû se dérouter sur «Djibouti en raison de l'obscurité et du fait qu'il était alors techniquement impossible d'atterrir à Jowhar, en raison du manque d'infrastructures sur place». C’est ce qu’à expliqué à la presse l’un de ses compagnons de vol. Mardi après-midi, Yusuf était aux côtés du président djiboutien Ismaïl Omar Guelleh, en partance pour Doha, au Qatar, où le Groupe des 77 (plus la Chine) se concertent mercredi et jeudi sur les relations Sud-Sud, la mondialisation et la réforme de l’Onu. Mais pendant que Yusuf prenait place au sommet de Doha, à Jowhar, un seigneur de la guerre faisait savoir qu’il coupait les ponts.
Le chef d’une faction qui contrôle la région de la Moyenne Shabelle, où se situe Djowhar, Mohamed Omar Habeb Dere est très remonté contre Yusuf. Si l’on en croit ses dires à l’Agence France Presse, Dere aurait pris la mouche après avoir attendu en vain l’arrivée de Yusuf lundi soir à Jowhar où il avait mobilisé toute une claque pour l’accueillir. Reprenant presque mot à mot les explications données à Djibouti par l’entourage présidentiel, il lance d’un ton amer que «sur le plan logistique, nous ne sommes pas capables d'accueillir le gouvernement, qui a besoin d'habitations, de bureaux et d'infrastructures pour diriger le pays», avant d’en conclure que «Jowhar est une petite ville et nous conseillons au gouvernement d'aller à Mogadiscio qui est la capitale». Le retournement est cinglant. Il est surtout menaçant pour Yusuf.
Le porte-parole du président Yusuf, Ismail Baribari assure aujourd’hui que le chef de la transition «voulait même passer la nuit à Jowhar» et qu’il entendait y revenir après la tournée de quinze jours dans les pays arabes qu’il commence à Doha. Reste un test manqué, quelle qu’en soit la véritable raison. Quant à la destination Baidoa, elle s’annonce encore plus risquée. Le mois dernier, le député Mohamed Ibrahim Habsade a déjà fait le coup de feu contre deux ministres, Sheikh Aden Madobe et Hassan Mohamed Nur Shatigadud qui lui disputent le contrôle de Baidoa et qui sont favorables à la ventilation des ministères de la transition entre Baidoa et Jowhar.
Les seigneurs de la guerre se sont partagés le pouvoir autour de la table des négociations de l’Igad. Mais force est de constater que le déploiement de l’administration butte maintenant sur des enjeux de territoires. Après avoir détruit l’Etat somalien, les factions ne laisseront pas leur emprise se dissiper dans la coquille déjà à demi vidée du gouvernement fédéral de transition.
par Monique Mas
Article publié le 15/06/2005 Dernière mise à jour le 15/06/2005 à 16:37 TU