Irak
Un «tribunal mondial» demande des comptes à Bush
(Photo: Jérôme Bastion/RFI)
C’est devenu une habitude : chaque fois ou presque que les Etats-Unis envoient leurs «boys» faire le feu dans le reste du monde, il se trouve une poignée d’activistes pour contester la légalité et la légitimité de cet acte d’impérialisme. L’idée originelle en revient au philosophe britannique Bertrand Russel, dont l’engagement pacifiste remonte à la première Guerre mondiale et qui initia en 1967 la mise en accusation de l’administration américaine pour la guerre qu’elle menait contre le Vietnam. Depuis, la formule a fait florès, et la situation en Irak ne devait pas faire exception, surtout après la mobilisation mondiale qui a précédé, à l’hiver 2003, l’assaut contre Bagdad. La Turquie, saluée alors pour avoir refusé non seulement de participer mais en plus d’assister leur tout-puissant allié américain dans cette aventure, a tout naturellement hébergé le week-end dernier ce nouveau forum de mobilisation contre un ordre mondial dicté par les Etats-Unis.
Le principe de «guerre préventive» cher à l’entourage de George Bush a fait long feu dans les délibérations du «jury de conscience» du Tribunal mondial sur l’Irak (WTI en anglais), une quinzaine d’intellectuels de plus d’une dizaine de pays, qui a conclu à une «guerre d’agression» à l’initiative de Washington contre Saddam Hussein, et ce en contradiction avec la charte des Nations unies. Le prétexte de l’implication de l’Etat irakien dans les attentats du 11 septembre 2001 en territoire américain, pas plus que celui de la détention d’armes de destruction massive menaçant la paix mondiale, n’a pas non plus retenu l’attention de ces jurés, qualifiant d’illégales l’«invasion» et l’«occupation» de l’Irak par les forces de la coalition.
«Le véritable Conseil de sécurité est ici»
Après 3 jours d’auditions de témoins – tous à charge, cela va sans dire – appelés «avocats de la défense» sur les exactions américaines en Irak ou ailleurs, présentes ou passées, après une vingtaine de sessions tenues dans le monde entier – y compris à New York, en août 2004 – le verdict est donc sans surprise, et sans appel ! Outre le retrait immédiat et inconditionnel de l’Irak, le versement de compensations au peuple irakien, l’abrogation des lois adoptées sous cette présence et l’annulation de tous les contrats passés dans ce pays par des multinationales liées à Londres et Washington, le verdict du Tribunal mondial sur l’Irak d’Istanbul se distingue par deux aspects : la condamnation des journalistes coupables de «désinformation» (le New York Times a été nommément cité), notamment sur la clef de voûte de l’argumentation américaine qu’était le programme nucléaire militaire supposé de Saddam Hussein, et la dénonciation de la complicité de l’Organisation des Nations unies, institution elle aussi manipulée par les Etats-Unis. Deux hauts responsables de l’organisation, ayant démissionné en leur temps de leurs fonctions pour dénoncer justement les dérives ou limites de leur mission dans ce pays, ont fait part de leur expérience.
Adjoint du secrétaire général de l’Onu, Hans Graf von Sponeck était en charge du fameux programme Pétrole contre nourriture des Nations unies en Irak, il en a démissionné en 2001 «sur pressions américaine et britannique» parce qu’il en dénonçait l’absurdité. Il se dit aujourd’hui «très déçu» de ce que l’inévitable soit arrivé et «frustré» de n’avoir pas pu le prévenir. Militant pour de profondes réformes dans le processus de décision au sein de l’Organisation des Nations unies, M. Von Sponeck regrette que les Etats-Unis, au nom d’une politique «fondamentaliste et intransigeante», «froide pour ne pas dire sanguinaire», manipulent la machine onusienne à leur guise. Le secrétaire général en personne est «pieds et poings liés», constate-t-il, et il faut un «grand courage» à certains pays – comme la France ou la Turquie – pour s’opposer à des résolutions adoptées au principe de majorité, donc ouvertes à toutes les interprétations, et ajustées sur mesure ensuite à la politique d’hégémonie américaine. En fait, explique-t-il la main toujours posée sur la charte des Nations unies qui continue de guider son idéal, «le véritable Conseil de sécurité (de l’ONU) est ici, ce sont tous ceux qui participent à ce Tribunal».
«A la manière du fantasme hitlérien»
Cette opinion publique mondiale, la «voix des opprimés», pour reprendre l’expression de Arundathi Roy, brise l’imposition d’une vérité unipolaire, c’est le rôle premier de ce genre de tribunal, et participe à documenter, à instruire de possible futurs tribunaux officiels comme ce fut le cas avec le Tribunal de la Haye sur le Nicaragua, explique François Houtart, président du Centre tricontinental et déjà partie au Tribunal Russel sur la guerre américaine au Vietnam.
Samir Amin, président du Forum du tiers monde, définit la politique américaine actuelle visant au contrôle militaire total de la planète, notamment ses ressources en hydrocarbures, comme un projet «démentiel», «à la manière du fantasme hitlérien, c’est-à-dire condamné à l’échec». Il appelle à la mobilisation pour modifier le rapport de forces de l’actuel ordre planétaire, totalement aux mains des Américains, «la source des problèmes de la planète».
par Jérôme Bastion
Article publié le 27/06/2005 Dernière mise à jour le 27/06/2005 à 17:01 TU