Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Justice internationale

Un tortionnaire mauritanien présumé jugé en France

Une victime de sévices a dessiné les appareils sur lesquels elle a subi des séances de torture en Mauritanie. Un schéma publié sur le site de la <A href="http://www.fidh.org/" target=_BLANK>FIDH</A>.(Image: FIDH)
Une victime de sévices a dessiné les appareils sur lesquels elle a subi des séances de torture en Mauritanie. Un schéma publié sur le site de la FIDH.
(Image: FIDH)
Une Cour d’assises française entame le procès de l’officier mauritanien Ely Ould Dah. Accusé de crimes de tortures, l’officier est jugé par défaut. Protégé par les autorités de son pays, il est l’objet d’un mandat d’arrêt international.

C’est inédit en France: un étranger va être jugé pour des crimes commis hors du territoire national sur des victimes étrangères. Le procès du commandant mauritanien Ely Ould Dah, 42 ans, s’ouvre jeudi à Nîmes, dans le sud de la France, devant la Cour d’assises du Gard. Il comparaît pour des «faits de violences, graves en ce qu’elles ont été commises avec acharnement, cruauté, usage de supplice, (et) sont constitutifs de tortures ou actes de barbaries». Absent à l’audience, en fuite depuis cinq ans, il est jugé par défaut.

En juin 1999, Ely Ould Dah, alors capitaine de l’armée mauritanienne, suit un stage de perfectionnement dans le sud de la France lorsqu’il est reconnu par deux de ses victimes, réfugiées en France, comme leur tortionnaire. Les faits remontent aux années 1990-91. A l’époque, selon l’accusation, Ely Ould Dah est officier de renseignements de la base de la prison de Jreida. Il est notamment chargé d’auditionner les centaines de militaires d’origine négro-africaine arrêtés et suspectés d’avoir participé l’année précédente à une tentative de coup d’Etat contre le président mauritanien, Maaouiya Ould Taya. En fait d’interrogatoires, l’arrêt de renvoi devant la Cour d’assises détaille la liste des sévices auxquels sont soumis les prisonniers : «la suspension par les membres, la noyade ou l’ensevelissement, à l’aide de matraques, cordes mouillées, câbles électriques et armes à feu».

Avec la «complicité des autorités françaises»

Avec l’aide des organisations de défense des droits de l’Homme, la justice française est alertée, une information judiciaire est ouverte et le capitaine mauritanien est interpellé, inculpé et écroué le 2 juillet 1999 par un juge de Montpellier pour «trouble à l’ordre public national et international à caractère raciste». Remis en liberté sous contrôle judiciaire le 28 septembre, il quitte la France en avril 2000, avec la «complicité des autorités françaises», déclare l’avocat de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme Patrick Baudouin. Et il regagne Nouakchott, où il est accueilli en héros. Bénéficiaire d’une loi d’amnistie dans son pays, il est aujourd’hui l’objet d’un mandat d’arrêt international.

Tout au long des années qui suivent, la défense de l’officier multiplie les recours visant à retarder la procédure. Finalement, le 8 juillet 2002, la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Nîmes ordonne la mise en accusation de Ely Ould Dah devant la Cour d’assises du Gard. Son pourvoi en cassation est rejeté le 24 octobre.

Le juge invoque la Convention internationale contre la torture

Parties civiles, la FIDH et la LDH (Ligue des droits de l’Homme), qui ont donc été dés l’origine de l’affaire les porte-parole des plaignants, estiment que ce procès constitue la première application en France du fondement de la «compétence universelle». Celle-ci autorise chaque pays à juger les crimes les plus graves, où qu’ils soient commis et quelle que soit la nationalité de leur auteur ou victime. C’est, par exemple, en vertu de ce principe qu’avait été arrêté le général Pinochet, lors de son passage à Londres, en 1998. Dans son ordonnance de renvoi devant la Cour d’assises du Gard, le juge invoque la Convention internationale contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, en vigueur dans le code pénal français depuis 1994.

Ce dossier a fait grand bruit et passablement empoisonné les relations entre Paris et Nouakchott. Au déclenchement de l’affaire, en 1999, les autorités mauritaniennes décident de geler la coopération militaire entre les deux pays. Les stagiaires mauritaniens sont rappelés. Le visa devient obligatoire pour les Français désireux de se rendre en Mauritanie. Apparemment la tournure prise par les événements semblent rassurer la partie mauritanienne et la coopération militaire, qui «a l’âge de l’armée mauritanienne et qui a concerné tous les aspects militaires», déclare le ministre mauritanien de la Défense, a pu reprendre sans encombre. Mardi 28 juin, Paris et Nouakchott ont signé une convention portant sur l’informatisation des services de l’armée mauritanienne dans le cadre d’un projet de partenariat sur trois ans.

Ely Ould Dah risque une peine maximale de 10 ans d’emprisonnement.


par Georges  Abou

Article publié le 30/06/2005 Dernière mise à jour le 30/06/2005 à 15:54 TU