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Soudan

Hassan Tourabi revient sur la scène politique

Hassan Tourabi a formé une cohalition avec Sadek al-Mahdi.(Photo: AFP)
Hassan Tourabi a formé une cohalition avec Sadek al-Mahdi.
(Photo: AFP)
Conformément à l’accord de paix du 9 janvier dernier qui organise le partage du pouvoir entre Khartoum et ses anciens rebelles sudistes de l’Alliance pour la libération du Soudan, l’APLS de John Garang, une Constitution de transition doit être signée le 9 juillet prochain. A cette date, le président Omar al-Béchir a promis de lever l’état d’urgence. Celui-ci est en vigueur depuis le coup d’Etat qui a porté le général al-Béchir au pouvoir en 1989. Jeudi, à la date anniversaire de cet événement, le général-président a libéré son ancienne éminence grise islamiste, Hassan Tourabi. Chef d’un parti d’opposition, le Congrès populaire (CP), Tourabi était assigné à résidence depuis plus d'un an, Khartoum l’accusant de collusion avec les rebelles du Darfour et de participation à une tentative de coup d'Etat.

A 73 ans – il est né en 1932 à Kassala, au nord du Soudan –, Hassan Tourabi reste une figure de proue de l’islam politique et une épine dans le pied militaro-islamiste de son obligé, Omar al-Béchir, arrivé au pouvoir grâce à lui. Depuis mars 2004, Hassan Tourabi attendait un hypothétique procès derrière les murs de la bâtisse gouvernementale où Omar al-Béchir avait une fois de plus tenté d’étouffer son charisme islamiste tout en évitant d’en faire un martyr. L’influent Tourabi avait en effet continué de saper son pouvoir présidentiel pendant les six mois de liberté qu’il avait connu en 2003, au terme de trente-deux mois de maison d’arrêt. La précédente arrestation aussi avait été motivée par une joute d’influence entre les deux hommes.

Jeudi, à peine franchi le seuil de sa résidence surveillée, au nord de Khartoum, où il a multiplié jeûnes et contacts divers, Hassan Tourabi a repris d’une main ferme le flambeau de son Congrès populaire (CP). En le libérant, al-Béchir a en effet également restauré la légalité de son parti. Et début juin, Tourabi a formé une Coalition des forces nationales (CFN) entre le CP et al-Oumma, le parti de son beau-frère, Sadek al-Mahdi, qu’il aida jadis à renverser au profit d’Omar al-Béchir. Al-Mahdi a donc accueilli solennellement Tourabi au siège du CP, dans un quartier de Khartoum où attendaient plusieurs centaines de militants. «Le problème n'est pas ma propre liberté personnelle, mais celle du peuple», a déclaré Tourabi, déplorant la censure de la presse et les restrictions toujours imposées à l’expression politique.

L'état d'urgence ne sera pas levé au Darfour et à l'Est

Jeudi, le général al-Béchir a annoncé que «l’état d'urgence sera levé immédiatement après la signature de la constitution transitoire, sauf pour les Etats du Darfour [à l’Ouest], de la mer-Rouge et de Kassala [à l’Est]». Hassan Tourabi aurait justement la main dans ces régions troublées, ce qui a motivé sa dernière arrestation. Quoi qu’il en soit, cette nouvelle querelle n’est pas sans lien avec les précédentes, celles de 1999 et de 2000 en particulier. A l’époque, Tourabi dirigeait le Parti du congrès national (PCN) d’al-Béchir. Mais il militait pour la limitation des pouvoirs présidentiels et contre la réélection d’al-Béchir. Il n’est pas parvenu à ses fins.

Vieux routier de la politique soudanaise - il est actif comme «Frère musulman» depuis le milieu des années soixante -, Hassan Tourabi a régulièrement servi de repoussoir islamiste ou au contraire d’hameçon à chaque fois que s’est fait sentir le besoin d’intégrer tout ou partie des courants de l’islam politique soudanais, pour barrer la route des communistes ou faire «l’union» contre le Sud ou l’étranger. Depuis le maréchal Jaafar al-Nimeyri (1969-1985), Tourabi est sans cesse passé de la prison au gouvernement, de la résidence surveillée à  l’ombre rapprochée du pouvoir. Après l’avoir combattu, il s’était finalement trouvé au diapason du maréchal al-Nimeyri lorsque ce dernier instaura en 1983 la sharia, qui a catalysé la guerre civile entre le Nord musulman et le Sud animiste et chrétien. Pour les mêmes raisons, Tourabi avait plus tard contribué à l’accession au pouvoir d’al-Béchir. Ce dernier s’est finalement effrayé de ses dons de persuasion et de son habileté politique. Il lui reproche notamment de contester l’action des milices gouvernementales au Darfour. Il accuse même Tourabi de nourrir des relations avec le Mouvement justice et égalité (MJE) dans l’Ouest et d’être aussi derrière le conflit qui émerge à l’Est du pays.

Al-Bachir et Garang vont cogérer le Soudan

Le président al-Béchir s’apprête à cogérer le Soudan avec un vice-président, John Garang. Pendant six ans, les deux hommes seront souverains dans leurs zones d’influence respectives. A terme, les Sudistes seront appelés à se prononcer sur une autodétermination qui n’intéresse plus vraiment leur chef de guerre. Aujourd’hui, chacun des anciens belligérants est partisan d’un Soudan unifié, pourvu qu’il le soit à sa manière. En attendant, la transition suivra son cours malgré les embûches posées par les nouveaux candidats au pouvoir surgis en 2003 au Darfour et plus récemment à l’Est. Le 18 juin, Khartoum a signé au Caire un accord de réconciliation avec l’opposition en exil réunie sous l’étiquette de l'Alliance nationale démocratique (AND). Pour sa part, Tourabi a choisi de rester dans l’opposition à la tête de la coalition formée avec al-Mahdi.

Tout comme la nouvelle coalition, le parti de Tourabi s’affiche national plutôt qu’exclusivement promoteur de la «charte islamique», comme les deux Fronts successifs qu’il a animé dans les années soixante et quatre-vingt. Hassan Tourabi n’a pas pour autant édulcoré l’islam rigoureux qu’il préconise. Mais il a choisi de mettre plutôt en avant son nationalisme arabo-musulman. Ce combat contre «l'hégémonie américano-sioniste» lui a déjà valu d’être sur les listes noires de l’Occident profane. Il a aussi régulièrement contrarié les ambitions diplomatiques d’al-Béchir, un obscur officier fraîchement promu général lorsqu’il fut porté à la présidence manu militari sur les conseils de Tourabi. En ce temps-là, Hassan Tourabi s’était vu un destin planétaire. En avril 1991, il avait lancé une internationale islamiste en créant une Conférence populaire islamique. Khartoum a fermé ses locaux en février 2000.

Jouer les figurants dans un gouvernement de transition n’intéresse guère Hassan Tourabi. Il se fait une plus haute idée de sa vocation de maître à penser. Jusqu’à présent, il a toujours été éjecté des allées du pouvoir pour avoir voulu en tirer les ficelles. Avec la transition, il revient sur la scène politique.


par Monique  Mas

Article publié le 01/07/2005 Dernière mise à jour le 01/07/2005 à 17:17 TU