Social
Fronde syndicale contre les modifications du droit du travail
(Photo : AFP)
Après leur réunion avec Gérard Larcher, le ministre délégué à l’Emploi, plusieurs syndicats ont annoncé de quelle manière ils allaient riposter aux mesures prévues pour favoriser les embauches et qu’ils rejettent, les estimant trop libérales. Les organisations syndicales ont l’intention de lancer des recours juridiques en s’appuyant sur plusieurs textes internationaux qui réglementent le travail. La charte des droits fondamentaux, le traité de Nice, seront appelés à la rescousse pour ce qui concerne la réglementation européenne. Les syndicalistes veulent également s’appuyer sur des règles édictées par l’Organisation internationale du travail.
C’est le contrat nouvelle embauche qui suscite la plus grande opposition des syndicats. Et avant même d’avoir un avis juridique international sur le recul des droits offerts par ce nouveau contrat, les organisations syndicales comptent d’abord sur une grande instance française en matière de législation : le Conseil d’Etat. Il pourrait bien refuser la mise en place de ce nouveau contrat, parce que la procédure de licenciement qu’il prévoit s’éloigne trop du droit français du travail.
«Rompre un contrat de travail sans motif»
«Jusqu’en 2007, les entreprises vont vivre dans l’insécurité la plus complète, dans l’attente des décisions des juridictions». C’est ainsi que Jean-Claude Quentin, le représentant du syndicat FO, analyse la situation dans le contexte de ces recours internationaux qui prendront du temps. Le principal argument de FO, c’est que «pour la première fois, le gouvernement introduit dans le droit français la possibilité pour l’employeur de rompre un contrat de travail sans motif et donc d’ôter toute chance pour le salarié d’obtenir raison en contestant la validité de la rupture, puisqu’il n’en connaîtra pas la cause. Cela aura pour effet, dans les années qui viennent, d’insécuriser juridiquement tous les contrats établis sur ce principe».
Sans attendre les résultats de ces recours juridiques, les syndicats français ont l’intention d’organiser une riposte dans la rue, à la rentrée. «Le gouvernement a réussi à fédérer l’ensemble des organisations syndicales» contre son projet, commentait Jack Tord, le représentant de la CGT, à l’issue de la réunion avec le ministre délégué au Travail.
Une précarisation accrue
Le gouvernement et les syndicats ne sont d’accord quasiment sur rien en ce qui concerne les nouvelles pistes pour faire baisser le chômage en France. Mais c’est le contrat nouvelle embauche qui suscite le rejet le plus fort des syndicats. Ils dénoncent une précarisation accrue des travailleurs puisque pendant deux ans, la personne embauchée dans le cadre d’un contrat nouvelle embauche, ne saura pas à quelle date son contrat pourrait prendre fin. Actuellement, ce n’est pas le cas ni des CDD (contrats à durée déterminée), ni des missions temporaires effectuées par le biais de l’intérim. Une personne embauchée avec un CNE pourra être licenciée sans motif pendant deux ans.
Gérard Larcher a cherché à encadrer la mise en place de ce nouveau contrat de travail. Le CNE sera assorti d’un préavis de départ et d’une indemnité de rupture de contrat. Cette dernière ressemblera à au dédommagement instauré pour la précarité des CDD, 10% du salaire de bonus en fin de contrat. Le gouvernement espère que ce nouveau contrat, le CNE, beaucoup plus souple, lèvera les freins à l’embauche dans les petites entreprises. «On peut raisonnablement espérer 70 000 à 80 000 emplois créés au bout de dix-huit mois», estime Gérard Larcher.
Le patronat voudrait plus de CNE
Le patronat soutient le projet gouvernemental d’assouplissement du droit du travail et souhaite que la flexibilité soit encore plus grande dans les contrats de travail. Le Medef voudrait que les CNE, en principe destinés aux petites entreprises employant moins de 20 salariés, soient étendus à toutes les entreprises, quelque soit leur taille. Denis Gautier-Sauvagnac, le représentant du patronat, parle «d’opportunité supplémentaire dans un pays où les entreprises ont peur d’embaucher». Pour Denis Gautier-Sauvagnac, «il vaut mieux être en CNE qu’au chômage».
Les syndicats ne croient pas que le gouvernement revienne en arrière sur ces projets. Ils seront d’ailleurs présentés en Conseil des ministres le 2 août prochain puis définitivement adoptés par la législation française par le biais des ordonnances, début septembre.
Cette ultime séance de négociation entre les partenaires sociaux est intervenue alors que le décret renforçant le contrôle des chômeurs était publié. Ce décret prévoit des sanctions graduées en cas de refus d’un emploi ; un refus sans motif légitime d’une offre d’emploi pourra entraîner une réduction de 20% des indemnités chômage. Cette réduction pourra atteindre 50% des indemnités en cas de refus répété et même aller jusqu’à leur suppression totale . Ce décret prévoit la mise en place d’un parcours de recherche d’emploi organisé et encadré par l’ANPE. Les chômeurs devraient être mieux pris en charge dans leurs démarches pour trouver du travail.
Un contrôle accru des chômeurs
Le gouvernement a longuement hésité avant de renforcer le contrôle des chômeurs, un sujet jugé sensible. Concernant les démarches pour retrouver un emploi, le décret indique qu’elles devront présenter «un caractère réel et sérieux». Plusieurs syndicats se sont inquiétés de cette expression pouvant donner lieu à interprétation. «Je ne vois pas comment on peut traiter équitablement des chômeurs en prenant en compte des critères subjectifs. La sanction, par exemple, pourra être différente d’un département à l’autre» a déclaré Jean-Claude Mailly, secrétaire général du syndicat FO.
Dominique de Villepin a justifié ce contrôle accru des demandeurs d’emploi estimant qu’il fallait, dans la lutte contre le chômage, que «la responsabilité joue dans les deux sens. Notre optique n’est pas celle d’une sanction. Sanction, oui, pour les abus. Pour les demandeurs d’emploi, c’est bien au contraire l’accompagnement. Faire en sorte qu’ils puissent retrouver un emploi», a déclaré le Premier ministre.
Deux petites modifications
Concernant ses projets d’ordonnances pour l’emploi, le gouvernement a apporté deux précisions «pour tenir compte des observations faites par les partenaire sociaux» au cours de la réunion avec Gérard Larcher. L’ordonnance prévoyant de ne pas tenir compte des salariés de moins de 26 ans dans le calcul des seuils sociaux sera limitée dans le temps. Ces seuils sociaux donnent des obligations différentes aux entreprises lorsqu’elles passent le seuil des 10, 20, ou 50 salariés, obligations en matière financière ou de représentation du personnel. Cette ordonnance sera applicable jusqu’au 31 décembre 2007 et fera à ce moment-là l’objet d’une évaluation. Par ailleurs le délai de carence pour le réemploi d’un salarié après la rupture d’un contrat nouvelle embauche sera porté de deux à trois mois. Une manière de limiter les abus dans le recours à ce nouveau contrat de travail. Le conseil d’Etat doit se prononcer la semaine prochaine sur ces projets d’ordonnances.
par Colette Thomas
Article publié le 22/07/2005 Dernière mise à jour le 22/07/2005 à 17:28 TU