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Droits de l'homme

Les geôles fantômes de Washington

La base américaine de Guantanamo Bay. <EM>Amnesty international </EM>dénonce l'existence de prisons secrètes où seraient également torturés des prisonniers soupçonnés d'activité terroriste.(Photo : AFP)
La base américaine de Guantanamo Bay. Amnesty international dénonce l'existence de prisons secrètes où seraient également torturés des prisonniers soupçonnés d'activité terroriste.
(Photo : AFP)
Dans un nouveau rapport, Amnesty International dénonce l’existence de lieux de détention tenus secrets par l’armée et les services secrets américains. Dans des zones de non-droit situées à l’étranger, surtout au Maghreb et au Proche-Orient, les personnes suspectées d’activité terroriste seraient torturées en toute impunité sur ordre des Etats-Unis. Si les témoignages se multiplient pour mettre en lumière ces violations du droit international, les autorités américaines nient tout en bloc.

On connaissait Guantanamo Bay à Cuba, la base aérienne de Bagram en Afghanistan, ou Abou Ghraib en Irak. Il faudra désormais compter avec des lieux de détention tout aussi inhumains, mais tenus secrets par les autorités américaines, soucieuses de sauver la face, en matière de droits de l’homme.  

Pour tirer la sonnette d’alarme, Amnesty International a recueilli les témoignages de deux amis yéménites, tenus captifs, sans inculpation ni jugement, pendant plus d’un an et demi, dans un lieu de détention effacé des cartes mais contrôlé par les autorités américaines. Salah Nasser Salim Ali et Muhammad Faraj Ahmed Bashmilah, résidants tous deux en Indonésie, ont été arrêtés séparément, l’un en août 2003 à Djakarta, l’autre en Jordanie, deux mois plus tard. Au lieu d’être renvoyés au Yémen, comme prévu, ils ont été envoyés dans un centre de détention des services de renseignements en Jordanie, où ils ont été torturés pendant quatre jours. Selon l’organisation des droits de l’homme, Salah Nasser Salim Ali a été insulté et roué de coups, suivant la méthode de la falaqa, qui consiste à frapper la plante des pieds de la victime. Ses bourreaux jordaniens lui ont également craché dessus, en le menaçant de sévices sexuels et de décharges électriques, rapporte Amnesty. Le second témoin traumatisé n’a quant à lui pas réussi à raconter en détail les sévices subis.

Au terme de ces quatre jours de torture, les deux hommes déclarent avoir été transférés dans un autre centre de détention à bord d’un petit avion. Pendant le vol de trois heures et demi, ils étaient accompagnés par des gardes, selon eux, étasuniens. Dans ce système de «restitution extraordinaire», la CIA utilise souvent des avions privés, sans inscription, pour transférer les suspects arrêtés vers d’autres pays. Pendant six à huit mois, détenus séparément dans une «prison souterraine à l’ancienne entourée de hauts murs», ils ont été «interrogés à propos de personnes qu’ils étaient susceptibles de connaître ainsi que de leurs activités en Afghanistan et en Indonésie». Au terme d’un nouveau transfert en avion et en hélicoptère, les deux hommes atterrissent dans un lieu de «détention moderne spécialement conçu et géré par les autorités américaines», qui, selon toute vraisemblance, ne serait pas Guantanamo Bay.

Une torture sous-traitée

«Nous craignons que le récit de ces deux hommes ne donne qu’un aperçu de la situation générale des détentions secrètes par les autorités américaines dans le monde entier», explique Sharon Critoph, chercheuse d’Amnesty pour l’Amérique du Nord. Après plus de dix-huit mois d’isolement, enchaînés et menottés, Salah Nasser Salim Ali et Muhammad Faraj Ahmed Bashmilah ont été libérés pour rejoindre cette fois les geôles yéménites, sans qu’aucune charge ne pèse contre eux.

Parmi les prisonniers victimes de «disparitions forcées» figurent essentiellement des personnes soupçonnées d’être en lien avec des groupes islamistes ou terroristes. Amnesty rapporte ainsi le cas d’un citoyen canadien d’origine syrienne, Maher Arar, accusé d’être un membre d’Al-Qaïda, et expulsé des États-Unis vers la Syrie en octobre 2002. Après avoir été interrogé et battu à l’aéroport d’Amman, il a été transféré en Syrie où il a été maintenu en détention secrète et torturé. Il a été renvoyé un an plus tard au Canada, sans inculpation.

Un système de « disparitions forcées »

Cette pratique de torture «sous-traitée», autrement appelée «disparition forcée», est considérée en soi comme un acte de torture, par le Comité des droits de l’homme des Nations unies. Ces prisons fantômes, situées à travers le monde, constituent des lieux de non-droit parfait, où la torture physique et psychologique est monnaie courante. «Les États-Unis détiennent en secret un nombre indéterminé de personnes qui sont incarcérées dans des lieux inconnus, sans contact avec le monde extérieur et dans des conditions dont on ignore tout», lit-on dans le rapport. De tels centres auraient été ouverts dans plusieurs pays, même ennemis des Américains, dans le cadre de la «guerre contre le terrorisme». L’association cite en exemple la Jordanie, le Pakistan, l’Égypte, la Thaïlande et l’Afghanistan, ainsi que la base britannique de Diego Garcia dans l’Océan indien, connue pour être un centre de torture à part entière, où naviguent également deux navires-prisons. Mais on parle également de la Bosnie, de la Lybie, du Kenya, de l’Indonésie et de la Malaisie. Chaque pays aurait même ses propres méthodes. Selon l’organisation American Civil Liberties Union, entre 100 et 150 personnes auraient été livrées de cette manière depuis les attentats du 11 septembre 2001.

Face à la multiplication des témoignages, la CIA reste de marbre, et radote : «Nous ne pratiquons pas la torture». Et le chef des services secrets, Peter Gross d’ajouter : «Aujourd’hui, nous n’utilisons aucune technique qui aille à l’encontre de la loi, ou qui puisse être considérée comme de la torture». Pour sa défense, Washington affirme s’assurer que les suspects qu’elle fait interroger dans d’autres pays ne sont pas torturés. Un porte-parole du centre de détention de Guantanamo Bay a en outre assuré qu’aucune forme de transfert n’était pratiquée par le département de la Défense. Malgré les dénonciations de plus en plus vives, ce système de sous-traitance pourrait se transformer en système de «sous-sous-traitance». Selon le quotidien britannique Times de mardi, la Grande-Bretagne aurait ainsi demandé à la CIA d’interroger les terroristes présumés, incarcérés dans ses prisons secrètes, «pour aider à identifier le cerveau des attentats de Londres».


par Julie  Connan

Article publié le 04/08/2005 Dernière mise à jour le 04/08/2005 à 17:49 TU