Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Irak

Tortures : un an de prison pour le soldat Sivits

Le soldat Jeremy Sivits (en bas à gauche) face à la cour martiale. 

		(Photo: AFP)
Le soldat Jeremy Sivits (en bas à gauche) face à la cour martiale.
(Photo: AFP)
Le premier soldat américain inculpé dans l’affaire des sévices infligés aux prisonniers irakiens dans la prison d’Abou Ghraib, Jeremy Sivits, a comparu devant la cour martiale, à Bagdad, le 19 mai. Il a été condamné à un an de prison, a été chassé de l’armée et dégradé. Il avait décidé de plaider coupable et avait affirmé qu’il n’avait pas agi sur ordre. Une version des faits qui n’est pas partagée par les six autres accusés qui doivent bientôt comparaître devant la justice militaire.
Image de la salle où s'est tenu le procès en cour martiale du soldat Sivits. 

		(Photo: AFP)
Image de la salle où s'est tenu le procès en cour martiale du soldat Sivits.
(Photo: AFP)

Jeremy Sivits, soldat de 1ère classe de 24 ans, gardien dans la prison d’Abou Ghraib, a nié durant son procès à Bagdad, le 19 mai, être l’auteur de l’une des photos les plus choquantes des tortures pratiquées sur les prisonniers irakiens diffusées par les médias: celle qui montre une pyramide d’hommes nus. Il a, par contre, reconnu sa participation aux sévices et aux humiliations infligés aux détenus qui lui avait valu d’être inculpé pour maltraitance, cruauté, manquement au devoir, et complot en vue d’imposer des mauvais traitements à des subalternes et des prisonniers. Dans le grand déballage sur les pratiques brutales et humiliantes des militaires américains chargés de la surveillance de la prison d’Abou Ghraib, Jeremy Sivits a pris le parti de reconnaître les faits et de collaborer avec les enquêteurs pour obtenir une peine plus légère. Il a même accepté de témoigner à charge contre les autres inculpés.

Il a donc avoué avoir participé et été témoin de nombreux abus perpétrés dès octobre 2003 dans l’établissement pénitentiaire de la périphérie de Bagdad. Il a mis en cause plusieurs membres de la police militaire en poste dans la prison qui font partie des 6 autres soldats qui doivent comparaître en cour martiale dans cette affaire de tortures. Le soldat Sivits a ainsi affirmé que le caporal Charles Graner était «toujours à plaisanter... comme si ça [les tortures] lui plaisait» et qu’il avait entre autres recouvert la tête d’un détenu avec un sac avant de lui donner un coup de poing sur la tempe tellement fort que l’homme avait perdu connaissance. Il a aussi accusé le caporal-chef Javal Davis d’avoir marché sur les doigts et les orteils de prisonniers nus qui avaient été forcés de s’entasser les uns sur les autres, les faisant hurler de douleur. Il a encore décrit le comportement sadique du sergent Ivan Frederick qui obligeait les prisonniers à se masturber devant lui.

Actes isolés ou pratiques systématiques?

Mais le soldat Sivits a nié toute implication de sa hiérarchie dans ces pratiques. Au contraire, il a affirmé que les auteurs des tortures auraient été «éreintés» par leurs chefs si ces derniers avaient été au courant, ajoutant même: «S’ils avaient vu ce qui se passait, nous aurions dû payer le prix fort». Cette version des faits est à l’opposé de celle que les autres accusés ont choisi de défendre. Graner, Davis et Frederick qui sont les trois prochains à devoir passer en cour martiale, ont pour le moment, refusé de plaider coupable. Ils affirment même qu’ils n’ont fait qu’appliquer des méthodes recommandées par les responsables du renseignement militaire. Cette version est aussi défendue par la générale Janis Karpinski, directrice de la prison au moment des faits et désormais suspendue de ses fonctions, qui a déclaré: «On leur a donné des instructions et ils ont cru que les photos allaient être utilisées à d’autres fins pour interrogatoire».

D’autres éléments vont dans le même sens et semblent dénoncer des pratiques institutionnalisées et avalisées par les plus hauts gradés, voire par le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, lui-même. Un membre du renseignement militaire, le sergent Samuel Provence a déclaré, à propos de cette affaire, à la chaîne de télévision américaine ABC: «Ce qui m’a surpris c’est le silence, le silence collectif de tant de gens impliqués. On leur a demandé de ne pas parler». Des organisations humanitaires ont aussi accrédité la thèse de pratiques systématiques. Le Comité international de la Croix-Rouge, Amnesty International ou Human Rights Watch affirment qu’il ne s’agit pas d’actes isolés et que la hiérarchie était au courant. Le directeur exécutif de cette dernière ONG, Kenneth Roth, a d’ailleurs envoyé à ce propos une lettre au président américain George W. Bush dans laquelle il écrit: «Les sévices et humiliations sexuelles des détenus d’Abou Ghraib ne sont qu’une partie du problème. Ce qui est plus troublant est que ces sévices sont venus clairement de décisions approuvées par votre administration qui autorisaient des techniques d’interrogatoire qui violent la loi internationale».

Même si la CIA et le Pentagone ont démenti ces accusations, le débat est loin d’être clos aux Etats-Unis. La commission de Forces armées du Sénat américain poursuit d’ailleurs son enquête pour établir les faits sur la question des responsabilités dans ces actes de tortures. Elle doit dans ce but auditionner, le 19 mai, le général John Abizaid, chef du commandement central américain en Irak et le général Ricardo Sanchez, chef des forces terrestres de la coalition.

Dans le cadre des efforts déployés par les autorités américaines pour montrer leur détermination à faire la lumière sur cette affaire et à sanctionner les responsables des tortures contre les prisonniers irakiens, le procès du soldat Sivits, premier du genre, a été ouvert aux médias, arabes notamment. Des journalistes ont ainsi été autorisés à assister à l’audience mais n’ont pas obtenu le droit de retransmettre des images ou des éléments sonores. C’est donc publiquement que la cour martiale a condamné Jeremy Sivits à un an de prison. Elle a aussi décidé de le chasser de l’armée et de le dégrader. Ce verdict ne fait preuve a priori d’aucune clémence. Sivits, étant celui des inculpés contre lequel les chefs d’inculpation retenus étaient les moins graves et ayant accepté de collaborer, encourait un an au maximum. Mais il risque de ne pas satisfaire pour autant les Irakiens, choqués par des images humiliantes, et dont certains réclamaient la peine de mort pour les accusés.


par Valérie  Gas

Article publié le 19/05/2004 Dernière mise à jour le 19/05/2004 à 14:56 TU

Audio

Anne Toulouse

Envoyée spéciale permanente à Washington

«Dans la mesure où on ne peut pas contester les faits... le système de défense est que les soldats n'ont fait qu'obéir aux ordres.»

[19/05/2004]

Articles