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Guinée-Bissau

Le retour de «Nino» Vieira

Joao Bernardo Vieira retrouve le fauteuil présidentiel.(Photo: AFP)
Joao Bernardo Vieira retrouve le fauteuil présidentiel.
(Photo: AFP)

A 66 ans, Joao Bernardo – «Nino» – Vieira retrouve le fauteuil présidentiel qu’il a tenu d’une main de fer de 1980 à 1999, avant d’en être chassé manu militari pour un exil de six ans au Portugal. Commandant en chef de la guerre de libération, conduite par Amilcar Cabral contre le Portugal, «Nino» a régné sans partage sur le Parti pour l’indépendance du Cap-Vert et de la Guinée-Bissau (PAIGC) comme sur les 36 120 kilomètres carrés de terre et d’eau légués, en 1974, par l’ancienne puissance coloniale. Le multipartisme concédé en 1991 n’avait rien changé à son mode de gouvernance. Il en a demandé publiquement «pardon», à son retour au pays, en avril dernier. Le 10 août, la Commission nationale des élections (CNE) l’a proclamé vainqueur contre le candidat du PAIGC, Malam Bacai Sanha, qui conteste les résultats de la présidentielle.


Déjà candidat du PAIGC contre Kumba Yala, qui avait remporté la victoire en 2000, Malam Bacai Sanha est à nouveau défait par l’ancien homme fort du parti de l’indépendance, «Nino» Vieira. Ce dernier a concouru en candidat «indépendant», pour la première fois de sa longue existence politique. Ce n’est pas pour autant que l’ancien président déchu est entré dans la bataille sans étiquette. Il est trop connu pour cela. En tout cas, selon la CNE, 78,55% des électeurs ont fait le déplacement aux urnes, le 24 juillet, pour trancher en sa faveur, au second tour d’une présidentielle à suspense. «Le candidat Joao Bernardo Vieira a été élu avec 216.167 voix, soit 52,35% des suffrages, contre 196.759 voix, soit 47,65% des suffrages pour Malam Bacai Sanha», a déclaré mercredi le président de la CNE, El Hadj Malam Mané. Bien avant cette annonce, le PAIGC avait dénoncé des fraudes, au détriment de son candidat malheureux, Malam Bacai Sanha. Mardi, après recomptage des bulletins, la CNE a estimé que les quelques irrégularités avérées étaient sans impact sur la victoire de Vieira.

«Les forces armées ne toléreront jamais les troubles autour de la présidentielle»

La veille de la proclamation des résultats définitifs, l’armée était une nouvelle fois montée au créneau pour signifier aux perdants qu’elle ne les laisserait pas manifester trop vivement leur amertume. A l’issue du premier tour, le 19 juin, les inquiétudes se focalisaient sur un autre ancien président, déchu par coup d’Etat en septembre 2003 et évincé par les urnes en 2005, Kumba Yalla. Le 28 juillet dernier, des milliers de partisans de Vieira et de Sanha s’étaient en outre exercés, les uns contres les autres, au maniement du gourdin et au lancement des projectiles les plus divers. Cette fois, «les forces armées ne toléreront jamais les troubles qui pourraient menacer la paix et la stabilité interne autour de la présidentielle», a lancé mardi le chef d’état-major, le général Tagmé Na Wai. Le même jour, le représentant de Sanha à la CNE répétait qu’il «n'acceptera aucun résultat si un recomptage de voix n'est pas réalisé dans les régions de Bissau, de Bafata et de Biombo». Mercredi, sitôt proclamés les résultats définitifs, le PAIGC a déposé un recours auprès du secrétariat de la Cour suprême. Elle dispose de six jours pour se prononcer.

«La lenteur de la commission électorale nous porte à penser que c'est bien le PAIGC qui a gagné les élections et que la victoire nous a été volée», persiste Sanha. Il a quand même demandé à ses partisans «d'être calmes et sereins car ce processus est très sérieux. Je ne veux pas de violence». Sans doute a-t-il également donné des assurances au président cap-verdien, Pedro Pires, envoyé spécial de l'Union africaine (UA), qui a quitté Bissau mercredi, après six jours de médiation, avec «le sentiment du devoir accompli». Pour sa part, l’heureux vainqueur s’affiche magnanime et déterminé à travailler dans l’intérêt d’une Guinée-Bissau tristement rangée parmi les dix pays les plus pauvres de la planète.

Vieira : «Seul, je ne peux rien faire»

Kumba Yalla lui ayant apporté son soutien électoral après sa défaite au premier tour, «Nino» Vieira tend cette fois la perche à Sanha. «J'invite mon adversaire au second tour à me rejoindre pour reconstruire notre pays. Je suis élu mais seul, je ne peux rien faire», déclare-t-il, en ajoutant : «Je suis revenu pour rester et travailler pour la paix, la stabilité et le développement de mon pays». Celui-ci est, depuis deux mois, en proie au choléra. L’épidémie a déjà fait 84 morts et contaminé plus de 5 000 personnes. Chinois et Portugais sont a pied d’œuvre contre la maladie, stigmate de la misère endémique qui sévit en Guinée-Bissau depuis l’indépendance. Dans ce pays qui manque structurellement de l’essentiel, dans le domaine sanitaire ou alimentaire, le choléra revient en effet à chaque saison des pluies.

Malgré leur dénuement, les Bissau-Guinéens étaient parvenus à forcer le respect général et à ébranler les certitudes coloniales du Portugal, avec le combat lancé par l’homme de Bafata, Amilcar Cabral, en 1963. Depuis l’assassinat, à Conakry (le 20 janvier 1973) du héros de l’indépendance - proclamée unilatéralement le 24 September 1973 et finalement reconnue par Lisbonne, le 10 septembre 1974 - les prétendants à la magistrature suprême n’ont jamais manqué de se réclamer de ces heures de gloire, «Nino» en tête, fort marri du désaveu du PAIGC. Jusqu’à présent, un certain style politico-militaire a en effet prévalu en Guinée-Bissau. Il a largement occulté les priorités économiques et tenu la population à l’écart de tous changements. Au plan intérieur, un quart du territoire national étant immergé, la communication n’est pas facile. Elle exige force de ponts et de bacs pour franchir bras de mer et rivières. Au plan régional, jusqu’à l’instauration du franc CFA à la place du peso, en mars 1997, la Guinée-Bissau est restée un isolat dans son bassin économique naturel où le Sénégal tient lieu de locomotive.

En 1998, la guerre civile n’a pas épargné les rares infrastructures léguées par la colonisation. En décembre 2003, les bailleurs de fonds internationaux ont dû mettre la main à la poche pour financer 80% du budget de l’Etat. Avec 10,67% de terres arables, une main-d’œuvre à l’écart de toute perspective de formation professionnelle, une population alphabétisée à 42% seulement, un taux de prévalence du sida de 10%, l’avenir ne brille pas vraiment pour le petit million et demi de Bissau-Guinéens (1 416 027 exactement). D’autant que les artisans des coups d’Etats à répétition se sont régulièrement disputés l’essentiel des ressources et que Bissau peine à croire que les turbulences militaires appartiennent désormais au passé. Cela suffirait pourtant au mieux-être de tous. Surtout que la hausse des cours des matières premières finira bien par rendre intéressants les gisements de pétrole ou de phosphate des 350 kilomètres de côtes bissau-guinéenne, un paradis touristique qui s’ignore.


par Monique  Mas

Article publié le 11/08/2005 Dernière mise à jour le 11/08/2005 à 17:01 TU