Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Religion

L’Amérique latine, le bastion catholique grignoté

La cathédrale de Brasilia, la capitale futuriste du Brésil.(Photo : Catherine Monnet/RFI)
La cathédrale de Brasilia, la capitale futuriste du Brésil.
(Photo : Catherine Monnet/RFI)
De nombreux jeunes catholiques d’Amérique Latine se rendent à Cologne avec l’espoir que les JMJ donnent l’impulsion à une modernisation de l’Eglise. Alors que ce continent fournit environ la moitié des fidèles catholiques à travers le monde, l’Eglise romaine en Amérique latine ne cesse de voir son bastion pris d’assaut par les nouveaux mouvements religieux. Reportage de notre envoyée spéciale, à Brasilia et Mexico.

Des trombes d’eau inondent Brasilia et la nuit vient de tomber sur la capitale et son «avenue des Religions». Dans cette ville créée de toute pièce par l’architecte Oscar Niemeyer et l’urbaniste Lucio Costa à la fin des années 50, chaque activité est regroupée par quartier et les églises comme les banques ou les ministères ont leur «quadra*». Dans le noir et entre deux coups d’essuie-glace, il est difficile de distinguer les pancartes qui annoncent la présence d’une église méthodiste, où là, un peu plus loin, d’une grande mosquée financée par les Wahhabites radicaux. Quelques centaines de mètres plus loin, un autre panneau affiche l’entrée de «l’école de l’Ange Gardien» ou celui du temple de «l’Assemblée de Dieu» (des évangélistes radicaux), qui jouxte un «Centre culturel missionnaire» et un bâtiment qui accueille «Les Sœurs Oblates du Petit Jésus». Les conditions météorologiques ne permettent pas d’apercevoir les noms les plus farfelus des nombreuses sectes qui ont pignon sur la longue avenue W4 Norte.

Vue sur le site de rituel en extérieur, qui est en forme d'étoile.
(Photo : Catherine Monnet/RFI)

La capitale futuriste qu’est Brasilia et dont le plan rappelle la forme d’un avion –ou d’une croix, selon certains- est connue pour avoir attiré toutes sortes de mouvements «new age» ou simplement sectaires. Le Brésil, le plus grand pays catholique du monde, comme ses voisins sud-américains, est confronté au même phénomène : l’Eglise romaine se voit de plus en plus concurrencée par les nouveaux mouvements religieux. Les temples baptistes, pentecôtistes ou d’autres obédiences se multiplient sur l’ensemble du continent. Mais à Brasilia, le long de cette avenue, cette tendance est plus visible qu’ailleurs, même de nuit et par temps de pluie tropicale.

L'église Don Bosco à Brasilia est vide alors que les temples des nouvelles religions se remplissent.
(Photo : Catherine Monnet/RFI)
«Le Brésil et le Mexique sont des territoires de combat religieux», assure Bernando Baranco, sociologue des religions à Mexico. C’est au Brésil, où 3 habitants sur 4 sont catholiques, qu’est née la très influente Eglise universelle du Royaume de Dieu, qui s’est transformée en quelques années en une véritable multinationale grâce à son prosélytisme offensif. Quant au Mexique, (où 90% de la population est catholique), sa frontière avec les Etats-Unis –qui produisent les principaux nouveaux mouvements religieux- en font un terrain de choix, selon Bernando Baranco: «le Mexique, c’est la porte d’entrée du continent sud américain pour tous ces nouveaux mouvements religieux et en même temps, les catholiques font du Mexique un espace prioritaire et tentent d’exporter vers les Etats-Unis le culte populaire de la vierge de Guadalupe via les immigrants. Ce n’est pas un hasard si le Pape Jean-Paul II est venu ici cinq fois». C’est ce même pape pourtant qui a favorisé la montée des nouveaux mouvements religieux en Amérique latine. «Le Vatican, la curie, sous l’influence de Jean-Paul II, ont exclu la théologie de la libération, ce catholicisme social tourné vers les pauvres et luttant contre l’injustice», explique Bernando Baranco et «en excluant ces tendances, le Vatican a laissé une espèce de vide, un espace que les différents nouveaux mouvements religieux ont su remplir».

«En plus d’être prêtre, je fais de la radio. Je me considère comme un communicateur et un éducateur populaire. Je suis fidèle à Dieu quand je suis fidèle à son peuple.»
Le père Séna, un prêtre communicateur guidé par la théologie de la libération
Par Catherine Monnet (diffusion le 12/08/05)  [16/08/2005] 4 min 15 sec
Real    Windows

Dans la petite salle surchauffée située au premier étage de l’église chrétienne «Interdénominationnelle», dans le centre de Mexico, plusieurs femmes venues prier ici sont connues pour être d’anciennes catholiques. «Nous avons 150 nouvelles conversions par semaine rien que dans cette église et 30 autres nouveaux convertis dans chacune de nos 2 000 autres églises à travers le Mexique», assure le pasteur Aron Cortes, qui se dit aujourd’hui à la tête de 250 milles âmes.

Au Mexique, la population traditionnellement très catholique économise pour dresser des autels dans leur maison.
(Photo : Catherine Monnet/RFI)
Si les chiffres sont difficilement vérifiables, le responsable de ce mouvement pentecôtiste, fondé dans la ville de Mexico en 1920, estime que les gens qui viennent vers son église «sont en quête de spiritualité et que par rapport à l’église catholique traditionnelle, nous, nous offrons la possibilité aux individus de se développer intégralement. Nous donnons un sens à leur vie en ces temps si difficiles, de désintégration sociale, de lutte, de misère et de catastrophes».

«Les femmes écoutent le témoignage de ce que Dieu a fait dans leur vie. Cette femme explique que sa fille était malade du genou et du pied et que Dieu la guérit.»
L’église interdénominationnelle, des réponses évangélistes pour les femmes mariées
Par Catherine Monnet (diffusion le 10/08/05)  [16/08/2005] 4 min 20 sec
Real    Windows

Karen, 24 ans, se joint tous les mardi et tous les jeudi au groupe de prière des femmes mariées. «Ce que j’aime dans cette église, c’est qu’il y a un enseignement particulier pour chaque groupe. On répond aux doutes des personnes âgées, des jeunes ou des femmes mariées comme moi». La femme du pasteur vient justement d’achever une prière pour toutes les femmes qui «connaissent chaque mois la difficile épreuve des menstruations». Auparavant, une autre prière avait été faite pour le mari défunt d’une des fidèles. La lecture de passages choisis de l’évangile est entrecoupée de chants, de nombreux «Alléluia» et de «Gloire à Dieu !» ainsi que de prières collectives qui, deviennent, au fur et à mesure, chaque fois plus intenses, plus ferventes. Certaines femmes pleurent, d’autres s’agenouillent en psalmodiant, l’une d’elles vient même s’allonger de tout son long sur l’estrade et embrasse le sol. Le calme revenu, les fidèles «témoignent de ce que Dieu a fait dans leur vie». Ainsi une femme explique que sa fille souffrait du pied et du genoux et qu’elle devait se faire opérer. Mais que «grâce à Dieu, son genou a été guéri». «Gloire à Dieu !», conclut la pasteure, «nous allons chanter ce témoignage du pouvoir de Dieu, car nous avons tous été témoins de son merveilleux pouvoir».

«Ici, c’est un sas de préparation pour un nouveau rituel. Nous allons faire des manipulations d’énergie pour guérir des maladies qui ont un fond spirituel.»
La secte de la Vallée de l’Aube
Par Catherine Monnet (diffusion le 11/08/05)  [16/08/2005] 4 min 20 sec
Real    Windows

Le miracle de la guérison, l’extase, la transe, «tout ce type de choses qui se produisent dans les actes liturgiques sont des actes d’irrationalité symbolique qui donne une expression métaphysique, c’est-à-dire que Dieu s’exprime en direct, que Dieu accompagne tous ces gens qui sont exclus et qui demandent des réponses immédiates», explique Bernando Baranco. Pour ce spécialiste des religions, «la spiritualisation de la foi, avec ses miracles, ses moments de catharsis, de rires, de pleurs, permet la libération de l’énergie des exclus». Et en Amérique latine où la pauvreté touche près de la moitié de la population, où l’exclusion économique est très forte, où il y a une grave crise de certitude, «ce type de liturgie permet de se reconnecter à l’univers, de redevenir quelqu’un». Ce ne sont pas que les mouvements pentecôtistes qui promettent aux croyants de redevenir quelqu’un. Pour guérir et retrouver leur équilibre, certains Brésiliens choisissent de se rendre à une cinquantaine de kilomètres de la capitale Brasilia, dans une curieuse petite ville qui abrite une secte du même nom : la «Vale do Amanhecer», la Vallée du Soleil levant ou la Vallée de l’Aube.

Les portraits de la Tante Nieva, fondatrice de la secte, sont partout.
(Photo : Catherine Monnet/RFI)
Non loin du panneau signalisant l’entrée de cette commune d’environ 30 milles âmes, en plein milieu d’un carrefour, un groupe forme un cercle et prie les mains en l’air. Ils font le «travail d’abatta» qui permet de rééquilibrer les énergies physiques et spirituelles, explique Jo, qui vit dans la vallée de l’Aube depuis 23 ans. Patiemment Jo tente de donner les clés de la doctrine créée par Tante Nieva. Il parle de «phalanges», «d’endoctrineur», «d’Urisis soleil, d’Urisis lune, du prince Maya et de force 108». Très vite, le non-adepte en perd son latin. Ce qui est simple à retenir en revanche c’est que Tante Nieva –dont on voit de grands portraits un peu partout dans la ville- est la fondatrice de ce mouvement qui a pour nom officiel : «Oeuvres sociales de l’ordre spiritualiste chrétien». Tante Nieva était une camionneuse avec des talents de médium qui a, un jour, croisé «l’Indien à la Flèche blanche». De cette rencontre surnaturelle est née une doctrine qui mêle la religion catholique, l’Orient, les Incas, les Indiens, l’Egypte antique et l’histoire coloniale du Brésil.

Les adeptes pratiquent le «travail de l'abatta» en plein milieu d'un carrefour.
(Photo : Catherine Monnet/RFI)

Ce curieux mélange se retrouve dans les tenues vestimentaires plutôt particulières des adeptes : les femmes sont habillées comme des princesses moyenâgeuses et ressemblent même aux fées de nos enfances avec leurs robes longues très colorées et leur coiffes de tulle plein de paillette. Les hommes ont des airs de chevaliers des croisades mais le haut col de leurs capes sombres rappelle aussi les films de Dracula.

Dans le temple de la Vallée de l'Aube, chaque couleur, chaque symbole a un sens.
(Photo : Catherine Monnet/RFI)

Chaque forme, chaque symbole, chaque accessoire –ceinture, chaîne, croix- a bien sûr un sens pour les adeptes, comme chaque couleur peinte dans le temple de la vallée de l’Aube : le jaune, c’est «l’énergie du savoir», le noir évoque «les forces occultes», le lilas représente «la cure des muets, des sourds et de tous les incompris du monde» etc. Dans le temple justement, c’est Itamir, «arcane endoctrineur qui a aussi pour mission de recevoir les visiteurs» qui sert de guide et qui précise que les gens qui viennent à la Vallée de l’Aube sont en quête de spiritualité, de douceur, de réconfort et d’harmonie. La priorité ici, «c’est la cure désobsessive de l’esprit». La vallée de l’Aube n’offre pas de guérison miraculeuse, «c’est la foi qui permettra aux adeptes de guérir leur douleurs spirituelles qui ont finit par devenir des douleurs physiques».

Les adeptes de la Vallée de l'Aube travaillent par paire.
(Photo : Catherine Monnet/RFI)
Si les mouvements évangélistes recrutent principalement au sein des catégories pauvres de la population, la Vallée de l’Aube revendique des fidèles de toute catégorie sociale et compte même des députés de Brasilia dans ses rangs. En tout cas, personne, dans la capitale, ne trouve rien à redire sur cette étrange doctrine. Et ce n’est pas seulement parce que les Brésiliens sont traditionnellement très tolérants envers toutes les religions. La Vallée de l’Aube ne dérange guère : contrairement aux cultes évangélistes qui réclament, en moyenne, 10% du salaire des fidèles, Tante Nieva n’a pas imposé de donations financières obligatoires. Qui plus est, la secte prône le respect d’autrui et la tolérance envers les autres religions et pose comme seule interdiction la consommation de drogue et d’alcool.

Quoiqu’il en soit, rien ne semble s’opposer, pour l’instant, à la croissance exponentielle de ces nouveaux mouvements religieux en Amérique latine. Les experts en religion s’accordent à dire que l’Eglise romaine manque de réactivité et ne sait toujours pas s’adapter aux évolutions de la société, contrairement aux évangélistes. Et sur le continent, le nouveau pape est loin de faire l’unanimité. Joseph Ratzinger a combattu la théologie de la Libération avec Jean-Paul II et a contribué à son éradication. «Il a des préjugés sur l’Amérique latine en raison notamment du vieux débat sur la théologie de la Libération», confirme Bernando Baranco, qui précise : «Joseph Ratzinger ne connaît absolument rien de la pratique religieuse qui existe sur le continent. Il n’est pas un pasteur, c’est plutôt un pape intellectuel, académique qui est euro-centriste». Et c’est pourquoi, d’après lui, Benoît XVI pourra être «un désastre pour l’Amérique latine».

«Joseph Ratzinger pourra être un désastre pour l’Amérique Latine, car il ne connaît pas la pratique religieuse du continent, c’est un intellectuel qui est très euro-centriste.»
Interview de Bernando Baranco, sociologue des religions à Mexico
Par Catherine Monnet (diffusion le 08/08/05)  [16/08/2005] 4 min 05 sec
Real    Windows



par Catherine Monnet

Article publié le 20/08/2005 Dernière mise à jour le 20/08/2005 à 10:24 TU

* Bloc de maisons