Burundi
Consolider la paix
(Photo : AFP)
En quatre décennies d’indépendance, les rivalités pour contrôler les maigres ressources économiques du Burundi se sont soldées par des bains de sang récurrents. Dévastatrice au plan humain et matériel, une guerre civile de douze ans vient d’accoucher d’une nouvelle donne politique dominée par le Conseil national pour la défense de la démocratie (CNDD) et ses Forces pour la défense de la démocratie (FDD) désormais à parité avec les militaires tutsi dans la nouvelle armée nationale. Mais sans redistribution équitable des richesses, la paix reste hypothéquée. D’autant que tous les appétits ne sont pas satisfaits et que des armes restent en circulation.
Le chef des Forces nationales de libération du Parti pour la libération du peuple hutu (Palipehutu-FNL), Agathon Rwaza continue de jouer les irréductibles. Ces derniers temps, il a beaucoup servi de repoussoir aux deux principaux mouvements hutu qui se disputent le pouvoir, le Front pour la démocratie au Burundi (Frodebu) déchu par des militaires tutsi en 1993 et son concurrent du CNDD-FDD, grand vainqueur des dernières élections. Craignant, à raison, de perdre pied aux urnes, le Frodebu a régulièrement invoqué, voire, disent les mauvais esprits, instrumentalisé les rebelles FNL de Bujumbura rural, pour faire traîner en longueur la transition présidée par l’un des siens, Domitien Ndayizeye. Aujourd’hui, en position hégémonique dans toutes les institutions, le CNDD-FDD de Pierre Nkurunziza lance aux bailleurs de fonds «un signal fort pour montrer la détermination du gouvernement à arriver rapidement à la paix dans tout le pays». Il crée une commission pour régler la question des FNL.
«Pas encore de calendrier des pourparlers»
Une commission formée de huit membres, 4 militaires et 4 civils, «sera mise en place dès la semaine prochaine pour se tenir prête à négocier, à tout moment» avec les rebelles FNL. Pour le moment, «il n'y a pas encore de calendrier des pourparlers». Mais justement, à New-York, au «mini-sommet sur le Burundi» de mardi, le président Nkurunziza va «discuter de l'état d'avancement du processus de paix au Burundi, mais aussi de la question des FNL et de ce qu'il faut faire pour amener ce mouvement à la table de négociations». La représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies, Carolyn McAskie a déjà préparé le terrain, rappelant que «l’expérience a montré que les pays qui sortent des conflits y retombent dans les 5 ans qui suivent parce que les donateurs s’en détournent», sitôt la paix annoncée. L’Union africaine aussi a mobilisé son Conseil de paix et de sécurité (CSP), qui demande «un appui soutenu de la communauté internationale pour consolider les résultats enregistrés au Burundi», depuis le partage du pouvoir décidé à Arusha en août 2000 et les six scrutins organisés entre février et août dernier.
Bien sûr, l’attente à l’égard des dividendes de la paix est considérable parmi les civils ordinaires (toutes communautés confondues) qui ont payé le plus lourd tribut à la guerre. Elle l’est aussi pour les 16 000 anciens combattants des FDD déjà démobilisés, mais pas tous recasés dans l’armée ou la vie civile. Mais, comme par le passé, les premières récriminations proviennent de politiciens qui s’estiment mal servis dans la redistribution. Et cette fois, la traditionnelle fracture bipolaire hutu-tutsi se complique d’une rivalité hutu qui monte. Elle oppose l’historique Frodebu et ses «fils indignes», le CNDD-FDD de Pierre Nkurunziza et le CNDD («originel») de Léonard Nyangoma, l’initiateur de la lutte armée en 1993, après l’assassinat du premier président hutu du pays, Melchior Ndadaye, père fondateur du Frodebu.
Pendant la campagne électorale, le Frodebu s’est acharné en vain à semer le doute sur la loyauté hutu du CNDD-FDD. Nouveau venu aux affaires, parmi les partis de gouvernement, qu’il a ralliés en novembre 2003 seulement en renonçant à la lutte armée, le CNDD-FDD a eu beau jeu d’accuser le Frodebu de corruption, lui-même n’ayant pas eu le temps d’écorner son image. Pour le reste, le CNDD-FDD a beaucoup surfé sur ses capacités à défendre militairement la «cause» hutu et à protéger son électorat hutu. Il est aussi rapidement apparu un gagnant potentiel à nombre d’affairistes qui sont venus grossir in extremis sa composante tutsi, certains misant d’ailleurs sur différents partis dont ils ont financé les campagnes respectives.
Uprona et Frodebu se déclarent lésés
Prime supplémentaire au vainqueur, le CNDD-FDD a finalement profité des correctifs imaginés à Arusha pour augmenter la représentation tutsi et celle des femmes. Ses résultats aux législatives lui avaient déjà accordé 59 députés (sur 100). La cooptation lui en apporte sept de plus (soit un total de 64 sur 118), loin devant le Frodebu, en chute libre par rapport aux législatives de 1993 où il avait obtenu 80% des suffrages. Il devra se contenter de 25 députés. Dans le camp tutsi, l’ancien parti unique, l’Union pour le progrès national (Uprona) garde quand même 7% d’électeurs fidèles. Son concurrent, le Mouvement de réhabilitation du citoyen (MRC), passe la barre des 2% qui donne droit à une place à l’Assemblée nationale. Le MRC a fait profil bas pour entrer aussi au gouvernement. Le CNDD-FDD s’est montré bon prince. Il se cherche des alliés face au Frodebu et à l’Uprona qui se déclarent lésés.
Le 1er septembre, les vingt ministres, 13 hommes et 7 femmes, du nouveau gouvernement ont juré de «combattre toute idéologie et pratique de génocide et d'exclusion, de promouvoir et de défendre les droits et libertés de la personne et du citoyen». Conformément à la nouvelle Constitution, le cabinet compte au moins 30% de femmes et «au plus 60% de Hutu et 40% de Tutsi». Les démographes estiment généralement que les Hutu représentent 85% de la population et les Tutsi 14%, sans doute pour parvenir au chiffre rond de 1% pour les Twa et d’éviter le casse-tête des mariages mixtes. Sur cette base, Arusha a concocté un dosage en fonction de l’appartenance communautaire et non point politique, au grand dam des partis tutsi qui demandaient un dosage politico-ethnique. Dans ces conditions, le CNDD-FDD se taille la part du lion, avec 12 portefeuilles, parmi lesquels ceux de l’Intérieur et des Affaires étrangères. Sans surprise non plus, les réclamations ont été immédiates.
Après avoir épluché ses listes d’adhérents, le président de l’Uprona, Jean-Baptiste Manwangari, assure que son parti «avait droit à deux ministres» et que «malheureusement il n'en a aucun». Le nouveau pouvoir lui attribue pourtant, par exemple, le ministre de la Défense, le lieutenant général tutsi Germain Niyoyankana, chef d’état-major des armées et visiblement assimilé sinon encarté Uprona. De son côté, le secrétaire exécutif du Frodebu, Jean de Dieu Mutabazi, estime qu’avec «30 députés, nous aurions dû avoir cinq ministres» et non trois. Lui aussi demande réparation. En revanche, personne n’a soulevé d’objection sur les noms des deux vice-présidents approuvés par le Parlement le 29 août. Martin Nduwimana, un Tutsi de 47 ans issu de l’Uprona, et Alice Nzomukunda, une Hutu de 39 ans, du CNDD-FDD. Le premier sera chargé de la coordination des domaines politique et administratif, la seconde de l’économique et le social. Ils feront surtout de la figuration. Dans le nouveau puzzle burundais, l’ethnique et le genre finissent par occulter les véritables enjeux, politiques et surtout économiques.
par Monique Mas
Article publié le 12/09/2005 Dernière mise à jour le 12/09/2005 à 17:19 TU