Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Nucléaire iranien

Les Européens durcissent le ton

L'ambassadeur iranien auprès de l'AIEA, Mohammad Akhondzadeh. L'Europe veut déférer l'Iran devant le Conseil de sécurité de l'ONU.(Photo: AFP)
L'ambassadeur iranien auprès de l'AIEA, Mohammad Akhondzadeh. L'Europe veut déférer l'Iran devant le Conseil de sécurité de l'ONU.
(Photo: AFP)
Le discours, samedi, du président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, à la tribune des Nations unies, dans lequel il a notamment clamé «le droit inaliénable» de son pays à maîtriser l’ensemble du cycle du combustible nucléaire, a visiblement agacé la troïka européenne. Engagés depuis des mois dans des négociations avec le régime de Téhéran pour qu’il renonce à ses activités sensibles en échange d’une coopération nucléaire civile, commerciale et politique, Berlin, Londres et Paris ont en effet décidé de jeter l’éponge. Se rangeant à la position américaine, ils cherchent désormais à obtenir une saisine du Conseil de sécurité dans le but d’accroître la pression sur la République islamique.

Le dernier rapport de Mohammed al-Baradeï, le chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), sur l’état du programme nucléaire iranien, avait déjà donné le ton. Dans ce document d’une inhabituelle sévérité, remis le 3 septembre au Conseil des gouverneurs de l’Agence, le diplomate onusien prenait en effet acte de la reprise, le 5 août dernier, des activités de conversion de l’uranium sur le site d’Ispahan, préalable à un enrichissement de ce matériau qui peut être exploitable aussi bien à des fins civiles que militaires. Mais surtout il reprochait durement au régime de Téhéran de n’avoir pas permis de résoudre «après deux ans et demi d’inspections et d’enquêtes intenses de nombreuses questions en suspens». Ce constat ne faisait que confirmer l’échec des négociations entreprises depuis des mois par les trois Européens –Allemagne, France et Royaume-Uni– pour convaincre le régime des mollahs de renoncer à son programme nucléaire. Et s’il subsistait encore un vague doute, le discours du président Ahmadinejad à la tribune des Nations unies l’a définitivement levé. Dénonçant avec virulence «l’apartheid nucléaire» pratiqué par les pays occidentaux, le chef de l’Etat iranien confirmait l’intention de son pays de poursuivre ses activités nucléaires.

Dans ce contexte, le choix laissé aux Européens n’était donc que des plus limités. Après avoir longtemps privilégié la voie diplomatique, ils se sont donc résignés à aller plus loin en demandant la saisine du Conseil de sécurité, seul habilité à voter des sanctions contre la République islamique. Cette option, privilégiée depuis des mois par l’administration Bush qui s’est toujours montré suspicieuse à l’égard du régime de Téhéran, est toutefois loin de faire l’unanimité au sein du Conseil des gouverneurs, l’organe exécutif de l’AIEA qui seul à le pouvoir de saisir le Conseil de sécurité. Ainsi la Chine et la Russie, qui ont droit de veto aux Nations unies et qui ont entamé une fructueuse collaboration énergétique avec l’Iran, voient d’un très mauvais œil l’instauration de sanctions économiques contre leur partenaire. Douze des quatorze gouverneurs issus du Mouvement des non-alignés se sont pour leur part formellement prononcés contre une saisine du Conseil de sécurité. L’un d’eux, le représentant de l’Inde, Natwar Singh, a justifié leur position par le souhait «d’éviter un débat litigieux au Conseil de sécurité». Et même les Européens ne sont pas unis dans cette affaire. Ainsi l’Italie ou l’Autriche redoutent de possibles rétorsions de la part de Téhéran sur notamment le volume de leurs exportations.

Un «rudiment de résolution»

Cette incapacité à faire l’unanimité contre l’Iran est sans aucun doute à l’origine du laborieux travail de lobbying entrepris depuis lundi par les trois Européens (UE3) au siège de l’AIEA à Vienne. Un document, décrit comme «un rudiment de résolution», a d’ores et déjà été remis aux représentants des trente-cinq Etats qui siègent au Conseil des gouverneurs. Il invite cette instance à «signaler et notifier les infractions et les manquements» de l’Iran à l’égard du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) au Conseil de sécurité des Nations unies. Le texte ne recommande toutefois pas de sanctions, pour le moment, contre le régime de Téhéran mais demande au Conseil d’user de tout son poids pour convaincre l’Iran de se montrer plus coopératif. Et il propose également «une reprise des négociations avec l’UE3 si les conditions changent» bien sûr. Le ton étonnamment conciliant de ce projet de résolution montre, s’il en était besoin, la volonté de la troïka européenne de rallier à son texte le plus de pays possible. Berlin, Londres et Paris souhaitent en effet arriver à un accord par consensus, qui correspond à la voie classique de l’AIEA. Mais dans le cas où ils n’y parviennent pas, ils ont laissé entendre qu’ils seraient prêts à soumettre le document au vote du Conseil des gouverneurs.

Cette dernière alternative inquiète tout particulièrement le chef de l’AIEA, l’Egyptien Mohammed al-Baradeï, qui redoute qu’en cas de saisine du Conseil de sécurité, le régime iranien ne mette à exécution sa menace de se retirer du Traité de non-prolifération nucléaire comme l’avait fait avant lui la Corée du Nord après avoir été déférée devant le Conseil de sécurité. «L’Iran ne recherche pas la confrontation. Ses buts sont uniquement pacifiques», a encore plaidé lundi l’ambassadeur iranien à Vienne, Mohammad Akhondzadeh. Mais l’agacement affiché par l’UE3 et la volonté de ces pays de faire voter une résolution condamnant la République islamique a conduit à un durcissement de la position de Téhéran.

Le chef de l’Etat, Mahmoud Ahmadinejad, a ainsi haussé le ton, affirmant que l’Iran ne craignait pas le Conseil de sécurité des Nations unies. «Notre position reste la même et ne changera pas. Ils –les Occidentaux– font ce qu’ils doivent faire et nous faisons ce que nous devons faire», a-t-il déclaré à la télévision publique iranienne. Affichant une assurance inébranlable, il a estimé que le peuple iranien préservera non seulement ses droits et mais que rien de particulier ne se produira au Conseil de sécurité. Non sans ironie, le président iranien a rappelé que cette instance avait pour objectif d’assurer la sécurité dans le monde. Et d’ajouter : «si ce Conseil est transformé en un instrument aux mains de quelques puissances, devient comme toutes ces puissances toujours hostiles à l’Iran».

par Mounia  Daoudi

Article publié le 20/09/2005 Dernière mise à jour le 20/09/2005 à 14:48 TU