Iran
L’AIEA réprimande Téhéran
(Photo: AFP)
Ça ressemble à un conseil de classe, avec ses professeurs en colère réunis autour d’un cancre prêt à entendre distraitement une énième remontrance. C’est en réalité le dernier épisode du tumultueux feuilleton qui met en scène l’Iran à l’Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Au lendemain de la reprise des activités nucléaires ultra-sensibles de conversion dans la centrale d’Ispahan, l’Iran a tendu la joue une nouvelle fois pour recevoir une petite gifle de la part du « Board », les 35 membres du Conseil des gouverneurs. Malgré la menace brandie d’une saisine du Conseil de sécurité, l’AIEA a banni toute forme d’alarmisme, en réclamant le «maximum de retenue» aux Iraniens et Européens. Le chef de l'AIEA, Mohammed El-Baradei, a espéré que la reprise d'activités nucléaires très sensibles soit « un simple hoquet, pas une rupture permanente», tout en regrettant cette « action unilatérale». Avant d’ajouter : «Etablir la confiance entre les deux parties» après 18 ans de cachotteries est «un exercice à long terme. Je demande à toutes les parties d'exercer un maximum de retenue». Seule une résolution devrait être rendue à la fin de la réunion extraordinaire, prolongée d’un ou deux jours.
Dès mercredi, une fois toutes les caméras de surveillance installées, les scellés restés intacts depuis leur pose en novembre dernier, devraient être levés. L’Iran reste déterminé à ne pas se laisser amadouer par les gendarmes de la non-prolifération. Le nouveau président Mahmoud Ahmadinejad a fermement réaffirmé la souveraineté de l’Iran en matière nucléaire, estimant que l'offre de coopération faite vendredi par la troïka était «une insulte au peuple iranien». « Les Européens parlent comme si le peuple iranien était un peuple arriéré, comme si nous étions toujours au siècle passé quand ils dominaient notre pays», a-t-il déclaré lors d'un entretien téléphonique, lundi soir, avec le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, rapporte l’agence de presse Isna. «La reprise de la conversion à Ispahan est la volonté du peuple et ne constitue nullement une action illégale et unilatérale». Lundi, la communauté internationale s’était inquiétée de la nomination d’un homme intransigeant à la tête de la délégation négociant sur le dossier nucléaire, en la personne d’Ali Larijani, pour remplacer Hassan Rohani, jugé trop tendre par Téhéran.
« L’Iran veut le beurre et l’argent du beurre »
Malgré la virulence de ces propos, le nouvel homme fort de l’Iran a déclaré vouloir continuer à négocier avec les Européens dans le cadre des règles de l’AIEA. « Nous sommes prêts à poursuivre les négociations (avec les Européens), j'ai des initiatives et des propositions nouvelles que j'annoncerai après la formation de mon gouvernement» dans les prochains jours, a-t-il ajouté. Quelques heures avant le début de la session extraordinaire, le ministre de la Défense iranien, Ali Chamkhani martelait encore que la République islamique devait « résister » aux sommations internationales. Entourée de trois pays qui détiennent l'arme nucléaire sans autorisation, - Israël, Inde et Pakistan -, l’Iran compte plus que jamais utiliser ce programme pour se hisser au rang de puissance régionale.
Pour ce faire, Téhéran estime être dans son droit, et s’abrite derrière le TNP dont elle est signataire. Si le pays continue à assembler des centrifugeuses dans le dos de l’AIEA, on peut penser qu’il se limite pour l’instant aux activités de conversion. Mais, comme le redoute la communauté internationale, ces activités civiles sont toujours susceptibles d’être détournées à des fins militaires.
Pour le ministre français des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy, il est « encore possible de négocier ». Si aucun accord n’est trouvé in extremis, cette reprise marquera bel et bien une rupture de l’accord de Paris conclu le 14 novembre 2004 avec l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, ainsi que de l'accord de Téhéran du 21 octobre 2003, dans lequel l’Iran acceptait devant les trois Européens de suspendre l'enrichissement. « L’Iran oublie qu’il a signé le TNP, et veut le beurre et l’argent du beurre : être un bon élève de la communauté internationale, tout en poursuivant ses activités nucléaires », estime Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, et chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales (CERI). « Quelque soit la décision de l’AIEA, la question sera portée devant le Conseil de sécurité d’une manière ou d’une autre, le problème étant de savoir ce qui va en sortir dans la mesure où il n’y aura pas de consensus pour que des sanctions soient prises ». La Chine et la Russie pourraient notamment poser leur veto à des sanctions, dans la mesure ou elles détiennent l'une et l'autre des intérêts en République islamique.
par Julie Connan
Article publié le 09/08/2005 Dernière mise à jour le 10/08/2005 à 11:34 TU