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L’AIEA à l’épreuve du piège iranien

Les scellés ont été levés mercredi à l'usine iranienne d'Ispahan, deux jours après la reprise par l'Iran de ses activités nucléaires prohibées par l'AIEA.Photo : AFP
Les scellés ont été levés mercredi à l'usine iranienne d'Ispahan, deux jours après la reprise par l'Iran de ses activités nucléaires prohibées par l'AIEA.
Photo : AFP
La session extraordinaire de l’AIEA, suspendue mardi soir faute de consensus, n’a pas repris mercredi comme prévu, malgré la détermination de la troïka à commettre un texte de compromis pour appeler une ultime fois l’Iran à la négociation. Mais l’exécutif de l’organisation peine à trouver un consensus sur une résolution ferme, face aux pressions de la Russie, de la Chine et des Non-alignés. En toile de fond, l’enjeu énergétique biaise également les discussions qui risquent de s’étendre sur plusieurs jours. Même si l’UE3 (France, Grande-Bretagne et Allemagne) et la République islamique espèrent encore parvenir à une solution négociée, la levée des scellés à l’usine d’Ispahan réalisée mercredi sonne la reprise totale des activités de conversion de l’uranium.

«C’est annulé», a sobrement déclaré le porte-parole de l'Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Peter Rickwood, mercredi midi, à Vienne. La réunion extraordinaire de l’organisation, convoquée par les Européens, a de nouveau été ajournée, après avoir été suspendue mardi soir, faute de consensus. Un tel report n’augure rien de bon, au moment où l’organisation internationale cherche un consensus sur les mesures à prendre contre la reprise des activités nucléaires civiles par le régime des mollahs.

Seul événement de la journée, les inspecteurs de l’AIEA ont assisté, passifs, à la levée des scellés qu’ils avaient posés en novembre dernier sur le site de conversion d'uranium d'Ispahan. L’usine située au centre du pays devait quelques heures plus tard reprendre ses activités ultra-sensibles à plein régime. Soucieux de ne pas passer pour un hors-la-loi auprès de la communauté internationale, l’Iran s’est félicité de l’installation des caméras de surveillance sur le site. «La meilleure garantie objective» que le pays peut donner, « c'est le regard infaillible des caméras de l'AIEA», a ainsi déclaré Alaeddine Boroujerdi, président de la commission parlementaire des Affaires étrangères. Il en a profité pour appeler les pays européens à accepter aussi cette réalité.

Malgré ces déclarations de bon-vouloir, l’AIEA, échaudée par dix-huit années de cachotteries nucléaires, redoute toujours le risque de prolifération. Mais face aux menaces de résolution, l’Iran continue à défendre son «droit inaliénable» à développer un programme civil, arguant que la conversion est autorisée par le TNP. Malgré sa place de 2e producteur mondial de gaz et 3e de pétrole, le pays justifie ses activités nucléaires par la volonté de diversifier ses ressources d’énergie. A en croire les récentes déclarations du porte-parole du Conseil suprême de la sécurité nationale, Ali Aghamohammadi, le pays ne devrait pas «pour le moment» enclencher la prochaine étape d’enrichissement de l’uranium dans son usine de Natanz.

Le poids des Non-alignés

Si les 35 membres du Conseil des gouverneurs de l’AIEA ne trouvent pas rapidement un consensus, Téhéran n’aura plus grand-chose à craindre, dans la mesure où la menace de saisine du Conseil de sécurité de l’Onu brandie par les Etats-Unis semble écartée pour un moment. Il semble que les pays non-alignés (NAL), - dont fait partie l’Iran, au côté de son allié syrien - , soient à l’origine du blocage de l’organisation onusienne. Selon un diplomate proche de l’AIEA, interrogé par l’AFP, ces derniers «ne veulent pas d’une résolution formelle sur l’Iran». Des pays comme l'Afrique du Sud, l'Argentine, le Brésil, inquiets pour leurs propres ambitions nucléaires, préconisent davantage une résolution appelant à une reprise des négociations, qu’un texte réclamant la suspension de toute activité.

Car tout l’enjeu des discussions au sein du «Board» tient bien au degré des sanctions à prendre pour rester crédible. Les Européens souhaiteraient un texte relativement fort, pour ne pas perdre la face et ne pas tirer un trait sur deux années de négociations. Les Etats-Unis et Israël, qui soutiennent officiellement la diplomatie européenne sur le dossier, veulent tacitement aller plus loin, et obtenir le démantèlement des usines d’Ispahan et de Natanz. Quant aux NAL, ils se déclarent derrière l’Iran. Mardi, la représentante de la Malaisie, Rajmah Hussain, avait ainsi appelé les membres de l’AIEA à «faire une distinction entre les obligations légales des Etats membres quant aux garanties» de non-prolifération et «leurs engagements volontaires».

Le double-discours russe

Acteurs clefs de la négociation et détenteurs du veto au Conseil de sécurité, la Russie et la Chine sont également susceptibles de vouloir retarder la rédaction de la résolution. Moscou, devenu maître du double discours en offre encore une preuve flagrante. Moscou qui fournit le combustible à la centrale de Bouchehr, au sud de l’Iran, à hauteur de 800 millions de dollars, a pourtant tenu à se joindre aux censeurs de Téhéran, en lui demandant mardi d’arrêter «immédiatement» sa conversion d’uranium. 

De même, la Chine soutient l’Iran, devenu ces derniers temps un de ses partenaires énergétiques privilégiés. Depuis novembre 2004, le géant chinois du pétrole Sinopec Group jouit d’un accord de 70 millions de dollars selon lequel il doit acheter 250 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié pour 30 ans et développer le grand champ pétrolifère iranien Yadavaran, à l’ouest du pays. En échange, l’Iran s’est engagé à exporter vers la Chine quelque 150 000 barils de pétrole brut par jour pendant 25 ans au prix de marché.

En définitive, toute cette crise peut se comprendre à l’orée du problème énergétique. Aucun pays ne peut prendre le risque d’infliger des sanctions efficaces à l’Iran, - celles portant liées à son secteur énergétique -, dans la mesure où leurs répercutions pénaliseraient tous les consommateurs de brut, à commencer par les Etats-Unis ou la Chine, et causeraient une hausse des cours phénoménale.


par Julie  Connan

Article publié le 10/08/2005 Dernière mise à jour le 10/08/2005 à 17:14 TU

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Lucas Menget

Journaliste à RFI

«Ce n'est pas parce que les ingénieurs iraniens enlèvent les scellés qu'ils vont se mettre immédiatement à la fabrication d'une bombe atomique.»

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