Cuba
L'internationalisme médical

(Photo: Jose Goitia)
De notre envoyée spéciale à La Havane
Ils sont plusieurs milliers, une foule disciplinée, remplissant les gradins du stade couvert de la Cité des Sports de La Havane. Tous vêtus de leur blouse blanche de médecin ou d’infirmière, certains équipés d’un sac à dos kaki flambant neuf, rempli de médicaments de première urgence. Ces jeunes docteurs, dont une partie est là pour recevoir leur diplôme de fin d’études, sont réunis autour de Fidel Castro pour un discours radio télévisé du dirigeant cubain.
Ce lundi 19 septembre, Fidel Castro annonce la création d’un « Contingent International de médecins spécialisés en situations de désastres et de graves épidémies », destiné à intervenir en cas de catastrophes naturelles à l’étranger. Le nom est déjà trouvé: ce sera le contingent « Henry Reeve », du nom d’un jeune nord-américain qui avait participé aux luttes indépendantistes cubaines à la fin du XIXe siècle.
Ce contingent, qui comprendra plus de 3 000 personnes, reprend en l’agrandissant, la formation initiale de 1 586 médecins que Cuba a proposé comme aide aux Etats-Unis, le 4 septembre dernier. Au lendemain du passage de Katrina, qui a dévasté la Nouvelle-Orléans, Cuba avait proposé d’envoyer immédiatement sur place d’abord 1 100 puis 1586 médecins, accompagnés de 34 tonnes de médicaments.
« Ceci est une offre sincère de paix, sans conditions, nous prenons tous les frais à notre charge, même le transport » avait répété Fidel Castro lors de plusieurs apparitions à la télévision cubaine.
Un médecin cubain sur quatreLe fait d’envoyer des médecins à l’étranger n’a rien d’exceptionnel à Cuba, malgré la déstabilisation que cela entraîne, mathématiquement, pour le système de santé national. Actuellement, plus d’un médecin cubain sur quatre (17 000 médecins sur 66 000 en tout) exerce à l’étranger, que ce soit massivement comme au Venezuela —où plus de 14 000 médecins pratiquent leur spécialité dans des zones marginales—, ou de façon plus ponctuelle, comme lorsque l’ouragan Mitch avait dévasté l’Amérique centrale en 1998. Cuba avait alors envoyé dans l’urgence des centaines de médecins, face à la pénurie de praticiens sur place. Des accords avaient ensuite été signés avec le gouvernement cubain, à travers lesquels des missions continuaient à fonctionner dans ces pays.
Ainsi, début septembre, la décision du gouvernement du Honduras de mettre un terme à l’un de ces accords a entraîné une protestation massive de tous les maires du pays, devant laquelle le gouvernement a dû reculer. Les 300 médecins cubains, qui travaillent en majorité dans des zones rurales sans autres accès aux soins, resteront donc au Honduras un an de plus.
De même, à Haïti, les 550 médecins cubains en mission sur place ont continué leur travail sans interruption dans tout le pays, malgré la situation politique chaotique des deux dernières années.
Guerre froide
Cet internationalisme médical, de première importance pour les pays pauvres auxquels il s’adresse d’habitude, est plus surprenant quand il se tourne vers les Etats-Unis. Fidel Castro a largement répété que son offre généreuse était dépolitisée et répondait à une préoccupation humanitaire. « Personne ne penserait qu’une telle aide puisse être considérée comme une offense ou une humiliation » s’est étonné le dirigeant cubain lundi.
Mais quand il s’agit des relations entre Cuba et les Etats-Unis, il est difficile de passer outre la politique, d’un côté comme de l’autre. C’est d’ailleurs ce qu’a montré La Havane en refusant l’aide financière des Etats-Unis (ainsi que celle de l’Union européenne, avec laquelle elle est en froid) après le passage du cyclone Dennis, en juillet.
La guerre froide qui persiste entre La Havane et Washington depuis 46 ans, faite de déclarations et de gestes symboliques, s’incarne étrangement dans ce nouvel épisode : d’un côté, un beau geste, en apparence absolument généreux, auquel répond un silence, en apparence absolument indifférent, de l’autre.
Car les Etats-Unis n’ont toujours pas répondu directement à la proposition de Cuba. Seul le porte-parole de la Maison blanche, Scott McClellan, a commenté qu’en ce qui concernait l’offre cubaine, il espérait plutôt « que Castro offre la liberté à son peuple ». Une réponse indirecte, qui n’a pas été reprise par les médias cubains.par Sara Roumette
Article publié le 23/09/2005 Dernière mise à jour le 23/09/2005 à 13:08 TU