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Liban

Detlev Mehlis veut une rallonge de deux mois

Le magistrat allemand Detlev Mehlis, le premier septembre 2005.Photo : AFP
Le magistrat allemand Detlev Mehlis, le premier septembre 2005.
Photo : AFP
La commission d’enquête internationale sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri veut prolonger sa mission de deux mois. Entre une enquête qui piétine et de nouveaux indices spectaculaires, les avis divergent pour expliquer cette décision surprenante.

De notre correspondant à Beyrouth

Désinformation, guerre des rumeurs et absence presque totale de communication de la part de la commission internationale rendent extrêmement difficile tout pronostic sur les résultats de l’enquête sur l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, tué le 14 février dernier dans un attentat à la camionnette piégée.

Le magistrat allemand Detlev Mehlis et ses 150 collaborateurs d’une quinzaine de nationalités sont à pied d’œuvre depuis la mi-juin. Ils ont déjà entendu près de 350 témoins, recommandé l’arrestation de quatre généraux libanais qui dirigeaient les services de sécurité à l’époque de l’attentat, dont le chef actuel de la Garde présidentielle, et ont recueilli, à Damas, les dépositions de sept responsables militaires et politiques syriens. Fuites et analyses médiatiques s’accordaient à dire que les enquêteurs mandatés par le Conseil de sécurité de l’Onu avaient réussi à percer le mystère de l’assassinat de Hariri et à identifier les commanditaires et les exécutants de ce crime qui a plongé le Liban dans une grave crise politique et sécuritaire. Dans un suspense à couper le souffle, les Libanais attendaient le 21 octobre, date à laquelle Mehlis devait remettre son rapport à Kofi Annan et «révéler la vérité» sur l’assassinat. Le quotidien Al-Moustaqbal, qui appartient à la famille Hariri, a même commencé, le 15 septembre, un compte en rebours en Une.

Des doutes surgissent

Mais la semaine dernière des doutes sont apparus sur la capacité de la commission internationale à faire toute la vérité sur l’attentat. Après une réunion de travail avec Mehlis et ses principaux collaborateurs, le ministre de la Justice Charles Rizk, proche du président de la République Emile Lahoud, laissait entendre qu’à ce stade, la commission ne détenait pas des preuves irréfutables lui permettant d’établir un acte d’accusation incriminant les quatre généraux et des responsables syriens. Dans des propos qui lui étaient attribués par la presse, M. Rizk déclarait que les enquêteurs avaient besoin d’une année pour parvenir à des résultats concluants, s’attirant les foudres des partisans des Hariri qui l’ont accusé de vouloir «piéger» le travail de la commission. Les médias internationaux aussi se sont mis de la partie. L’agence Reuters écrivait que la commission accuserait certains responsables syriens d’être impliqués dans le crime. Un journal allemand citant des sources proches de l’Onu assurait, au contraire, que Damas ne serait pas directement pointé du doigt. Trois jours plus tard, le Premier ministre Fouad Siniora, un des plus fidèles lieutenants de Hariri, recevait Mehlis. Le lendemain, il affirmait que le magistrat allemand envisageait de prolonger sa mission jusqu’au 15 décembre, c'est-à-dire au terme des six mois que lui a accordé le Conseil de sécurité.

Pour certains milieux politiques et juridiques, l’extension du mandat signifie que la commission ne possède pas encore des éléments suffisants et des preuves solides pour établir un rapport final désignant les commanditaires et les exécutants du crime. Selon eux, les informations fournies par le principal témoin à charge se sont avérées fausses ou légères. Les autorités syriennes ont réussi à décrédibiliser ce témoin qui s’était présenté comme étant le chef du cabinet de l’ancien patron des renseignements militaires syriens, le général Hassan Khalil, remplacé quelques jours après l’assassinat de Hariri par le général Assef Chaoukat, beau-frère du président Bachar el-Assad. A Damas, Mehlis s’est vu remettre un dossier complet sur ce témoin, identifié comme étant Mohammed Zouhair Siddiq, un déserteur syrien faisant l’objet de plusieurs mandats d’arrêt pour falsification et escroquerie.

L’option de l’explosion télécommandée

L’audition des «témoins» syriens n’a pas donné les résultats escomptés. Entendus par Mehlis et ses collaborateurs, le ministre syrien de l’Intérieur et ancien chef des SR au Liban, Ghazi Kanaan, son successeur Rustom Ghazalé et ses deux adjoints à Beyrouth Jameh Jameh et Mohammed Khallouf étaient «très à l’aise», selon des sources bien informées. Les auditions se sont déroulées en présence d’avocats et de fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et les dépositions ont été consignées, traduites en arabes, et signées par un membre de la commission et le témoin entendu.

Selon ces mêmes milieux, au Liban, où les quatre généraux n’ont pas fait de révélations majeures malgré plus d’un mois d’incarcération, les investigations ne progressent pas. Les enquêteurs ont pu seulement prouver que c’est bien le chef de la Garde présidentielle, le général Moustapha Hamdane, qui a ordonné le nettoyage de la scène du crime. «C’est dans le but d’ouvrir la route empruntée tous les jours par le président Lahoud», s’est défendu Hamdane. La commission a également constaté, grâce à la levée du secret bancaire des comptes des suspects, que l’un des officiers avait procédé au virement d’une somme importante à l’étranger. Mais cela n’est pas suffisant pour les accuser de l’assassinat de Hariri.

Cependant, d’autres milieux pensent, au contraire, que la prolongation du mandat de la commission s’explique par l’apparition de nouveaux indices «précieux» nécessitant un délai supplémentaire pour être vérifiés.

Un examen minutieux de tous les appels de portables avant, pendant et après l’attentat a permis de faire des découvertes spectaculaires. Ainsi, les experts de la commission ont constaté que six numéros provenant de cartes prépayées achetées au Liban-Nord quelques jours avant le crime sont entrés en fonction dans l’heure qui a précédé l’attentat dans le secteur où Hariri a été assassiné. Les propriétaires de ces numéros étaient également en contact permanent entre eux quelques minutes après l’explosion avant de s’évaporer dans la nature. Les enquêteurs en ont déduit que ces personnes étaient directement impliquées dans l’attentat.

La piste du téléphone portable a poussé la commission à perquisitionner les sièges des deux opérateurs de téléphonie mobile du pays où une vingtaine d’employés ont été interpellés. Dans l’une des sociétés, de nombreuses anomalies ont été constatées. Un relais de cellulaire situé non loin du lieu de l’attentat n’était pas indiqué sur le relevé fourni par un employé. Sur le terrain aussi ce relais de communications avait été démonté. Les enquêteurs pensent que cette installation a été utilisée pour brouiller le système de protection électronique anti-explosif qui équipait le convoi de Hariri. Elle aurait même été testée à la veille de l’attentat. C’est donc la thèse de l’explosion télécommandée qui revient en force et celle de l’attaque-suicide, considérée pendant des mois comme la plus plausible, qui tombe à l’eau.

Avec ces nouveaux éléments surprenants, pas étonnant que Detlev Mehlis ait besoin de plus de temps pour faire la lumière sur l’un des assassinats les plus spectaculaires de l’histoire du Liban. Le magistrat allemand va passer les dix prochains jours entre Paris, Vienne et New York. Il pourrait publier, le 21 octobre, un second rapport préliminaire comme celui du mois d’août et poursuivre son enquête jusqu’au 15 décembre. Entre-temps, il pourrait repasser en Syrie pour y entendre de nouveaux témoins. Autre possibilité: il rédige ses conclusions finales avec ce qu’il a en main et reste à Beyrouth pour aider le juge d’instruction libanais à préparer son acte d’accusation.

Quoi qu’il en soit, les Libanais, qui vivent depuis des mois au rythme de l’enquête internationale, commencent à se faire à l’idée que la «vérité» sera moins éclatante qu’ils ne le pensaient.  


par Paul  Khalifeh

Article publié le 04/10/2005 Dernière mise à jour le 04/10/2005 à 12:45 TU